Miracle à Speedy Motors

Qu'Obed Ramotswe demeure dans les mémoires et que les gens continuent à parler de lui la toucha. On avait pas besoin d'être célèbre pour ne pas être oublié au Botswana ; il y avait dans l'histoire du pays, une place pour chacun d'entre nous.
- C'était un homme très bon, reprit-elle.Il aimait son aimait son pays.
Elle n'avait pas eu l'intention de prononcer une épithaphe, mais elle s'aperçut qu'elle venait précisémentde le faire. Et elle songea : Si ton esprit est quelque part, ce doit être ici, parmi ton bétail, et tu as peut être entendu ce que je viens de dire...

-Les ancêtres, commença- t-il d'un ton solennel, les ancêtres...
Elle attendit la suite, mais il garda le silence, comme vaincu par la gravité du sujet, ou le poids des ancêtres, peut-être.
-Moi je pense qu'ils sont avec nous, confia -t-elle alors je pense qu'il sont là, tout autour de nous. Ce qu'ils ont fait . Leur voix. Les souvenirs qu'ils nous ont laissé. Tout est là.
Il releva les yeux avec l'air d'un homme à qui l'on vient de révéler une découverte fondamentale, une annonciation.

Elle guida Charlie sur la route étroite qui menait chez elle. Si elle avait espéré que la pluie avait été moins virulente dans ce secteur de la ville, elle dut constater, à la vue des immenses flaques d'eau brunâtre qui s'étendaient de part et d'autre de la chaussée et, par moments, sur celle-ci qu'il n'en était rien. Peut-être même l'averse s'était-elle abattue là avec plus de force encore.
- C'est ici que j'habite, déclara-t-elle d'un ton résigné en désignant sa maison.
- C'est joli, commenta Charlie. Ca ne me déplairait pas d'habiter dans une maison comme ça. En ce moment, je loge...
Il s'interrompit. Tous deux venaient de découvrir le lit et ils regardèrent fixement le meuble détrempé, pathétique, adossé au mur.
- Il est fichu, gémit Mma Makutsi. Complètement fichu.
Il n'y eut aucun signe de l'effronterie mordante de Charlie tandis qu'ils quittaient ensemble le camion et remontaient la courte allée menant à la maison.
- Je suis désolé, Mma, dit l'apprenti. Je ne crois pas que la pluie ait fait beaucoup de bien à ce lit. Il était vieux ?
Mma Makutsi fixa le meuble qui avait fait sa fierté et sa joie.
- Il était tout neuf, articula-t-elle d'une voix faible. je n'avais pas encore dormi dedans. Pas une seule fois.
Charlie caressa la surface veloutée de la tête de lit en coeur. Bien qu'il n'exerçât aucune pression, le tissu gonflé mollit sous ses doigts, révélant le rembourrage détrempé. L'apprenti en saisit un morceau et le tordit, avant de le lâcher.
- C'est quoi, ce truc rouge, Mma ? demanda-t-il. Ou plutôt, c'était quoi ?
- Un coeur, souffla Mma Makutsi. La tête de lit était un coeur.
- Pourquoi? Pourquoi dormir sous un coeur ?
Mma Makutsi ne répondit pas. Elle avait contourné le meuble pour en examiner les côtés. La pluie, remarqua-t-elle, avait tout imbibé et le bas du matelas laissait échapper un écoulement régulier.
Elle hésita à lever les yeux vers le coeur de velours, mais lorsqu'elle s'y décida enfin, elle vit que l'eau qui gouttait de cette partie du lit était rouge comme du sang. Alors, dans son chagrin, elle murmura à Charlie :
- Regarde, le coeur saigne...
A ces mots, Charlie lui posa une main légère sur l'épaule. C'était un geste de sympathie assez insolite venant de ce jeune homme, qui n'était d'ordinaire que moqueries et fanfaronnades, mais qui, confronté à présent à cette tragédie, se révélait capable de compréhension et compatissait.

Il y avait du doute dans sa voix; elle ne pensait pas que les morts, ou même les ancêtres, puissent souhaiter nous punir, quelles que fussent nos transgressions. Il était bien plus probable qu'il y avait de leur part de l'amour, beaucoup d'amour,qui tombait d'en haut comme la pluie et changeait le coeur des méchants, le transformait.

Mma Ramotswé était son amie, une très vieille amie de surcroît, et il existait peu de sujets que l'on ne pût évoquer en présence d'une vieille amie. Il y en avait cependant quelques uns : par exemple : il ne fallait jamais critiquer, même de façon légère, l'époux d'une amie, ses enfants, ses goûts en matière de musique, son chien, ses possessions en général, la manière dont elle s'habillait en particulier, les vêtements que portaient ses enfants ( ou son époux ), ou encore sa cuisine. En dehors de cela on pouvait parler de tout.
Cependant, pouvait-elle s'appesantir, face à Mma Ramotswé, sur le bruit que produisait la petite fourgonnette blanche ?