AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070743551
225 pages
Gallimard (12/01/1996)
4.09/5   11 notes
Résumé :
Dans l'œuvre d'art ou dans la théorie comme dans la chose sensible, le sens est inséparable du signe.
L'expression, donc, n'est jamais achevée. La plus haute raison voisine avec la déraison. " Cette tension essentielle ainsi formulée par l'auteur sous-tend l'ensemble des essais réunis ici sous trois grandes perspectives : celle de l'art, celle de la philosophie et celle de la politique. L'étude consacrée à Cézanne comme celle qui analyse le cinéma du point de... >Voir plus
Que lire après Sens et non-sensVoir plus
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Le sens que Cézanne dans ses tableaux donnera aux choses et aux visages se proposait à lui dans le monde même qui lui apparaissait, Cézanne l'a seulement délivré, ce sont les choses mêmes et les visages mêmes tels qu'il les voyait qui demandaient à être peints ainsi, et Cézanne a seulement dit ce qu'ils voulaient dire. Mais alors où est la liberté ? Il est vrai, des conditions d'existence ne peuvent déterminer une conscience que par le détour des raisons d'être et des justifications qu'elle se donne, nous ne pouvons voir que devant nous et sous l'aspect de fins ce qui est nous-mêmes, de sorte que notre vie a toujours la forme du projet ou du choix et nous apparaît ainsi comme spontanée. Mais dire que nous sommes d'emblée la visée d'un avenir, c'est dire aussi que notre projet est déjà arrêté avec nos premières manières d'être, que le choix est déjà fait à notre premier souffle. Si rien ne nous contraint du dehors, c'est parce que nous sommes tout notre extérieur. Ce Cézanne éternel que nous voyons surgir d'abord, qui a attiré sur l'homme Cézanne les événements et les influences que l'on croit extérieurs à lui, et qui dessinait tout ce qui lui est advenu, — cette attitude envers les hommes et envers le monde qui n'avait pas été délibérée, libre à l'égard des causes externes, est-elle libre à l'égard d'elle-même ? Le choix n'est-il pas repoussé en deçà de la vie, et y a-t-il choix là où il n'y a pas encore un champ de possibles clairement articulé, mais un seul probable et comme une seule tentation ? Si je suis dès ma naissance projet, impossible de distinguer en moi du donné et du créé, impossible donc de désigner un seul geste qui ne soit qu'héréditaire ou inné et qui ne soit pas spontané, — mais aussi un seul geste qui soit absolument neuf à l'égard de cette manière d'être au monde qui est moi depuis le début. C'est la même chose de dire que notre vie est toute construite ou qu'elle est toute donnée. S'il y a une liberté vraie, ce ne peut être qu'au cours de la vie, par le dépassement de notre situation de départ, et cependant sans que nous cessions d'être le même, — tel est le problème. Deux choses sont sûres à propos de la liberté : que nous ne sommes jamais déterminés, — et que nous ne changeons jamais, que, rétrospectivement, nous pourrons toujours trouver dans notre passé l'annonce de ce que nous sommes devenus. C'est à nous de comprendre les deux choses à la fois et comment la liberté se fait jour en nous sans rompre nos liens avec le monde.
Commenter  J’apprécie          20
Sa soif de vivre, il ne lui restait plus qu'à l'employer dans l'investigation et la connaissance du monde, et, puisqu'on l'avait détaché, il lui fallait devenir cette puissance intellectuelle, cet homme de l'esprit, cet étranger parmi les hommes, cet indifférent, incapable d'indignation, d'amour ou de haine immédiats, qui laissait inachevés ses tableaux pour donner son temps à de bizarres expériences, et en qui ses contemporains ont pressenti un mystère. Tout se passe comme si Léonard n'avait jamais tout à fait mûri, comme si toutes les places de son cœur avaient été d'avance occupées, comme si l'esprit d'investigation avait été pour lui un moyen de fuir la vie, comme s'il avait investi dans ses premières années tout son pouvoir d'assentiment, et comme s'il était resté jusqu'à la fin fidèle à son enfance. Il jouait comme un enfant. Vasari raconte qu' « il confectionna une pâte de cire, et, tandis qu'il se promenait, il en formait des animaux très délicats, creux et remplis d'air ; soufflait-il dedans, ils volaient ; l'air en sortait-il, ils retombaient à terre. Le vigneron du Belvédère ayant trouvé un lézard très curieux, Léonard lui fit des ailes avec la peau prise à d'autres lézards et il les remplit de vif-argent, de sorte qu'elles s'agitaient et frémissaient dès que se mouvait le lézard ; il lui fit aussi, de la même manière, des yeux, une barbe et des cornes, il l'apprivoisa, le mit dans une boîte et effarouchait, avec ce lézard, tous ses amis » . Il laissait ses œuvres inachevées, comme son père l'avait abandonné. Il ignorait l'autorité, et en matière de connaissance, ne se fiait qu'à la nature et à son jugement propre, comme le font souvent ceux qui n'ont pas été élevés dans l'intimidation et la puissance protectrice du père. Ainsi même ce pur pouvoir d'examen, cette solitude, cette curiosité qui définissent l'esprit ne se sont établis chez Vinci qu'en rapport avec son histoire. Au comble de la liberté, il est, en cela même, l'enfant qu'il a été, il n'est détaché d'un côté que parce qu'il est attaché ailleurs. Devenir une conscience pure, c'est encore une manière de prendre position à l'égard du monde et des autres, et cette manière, Vinci l'a apprise en assumant la situation qui lui était faite par sa naissance et par son enfance. Il n'y a pas de conscience qui ne soit portée par son engagement primordial dans la vie et par le mode de cet engagement.
Commenter  J’apprécie          20
Léonard de Vinci avait pris pour devise la rigueur obstinée, tous les Arts poétiques classiques disent que l'œuvre est difficile. Les difficultés de Cézanne, — comme celles de Balzac ou de Mallarmé, — ne sont pas de même nature. Balzac imagine, sans doute sur les indications de Delacroix, un peintre qui veut exprimer la vie même par les couleurs seules et garde caché son chef-d'œuvre. Quand Frenhofer meurt, ses amis ne trouvent qu'un chaos de couleurs, de lignes insaisissables, une [31] muraille de peinture. Cézanne fut ému jusqu'aux larmes en lisant le Chef-d'œuvre inconnu et déclara qu'il était lui-même Frenhofer. L'effort de Balzac, lui aussi obsédé par la « réalisation », fait comprendre celui de Cézanne. Il parle, dans La Peau de Chagrin, d'une « pensée à exprimer », d'un « système à bâtir », d'une « science à expliquer ». Il fait dire à Louis Lambert, un des génies manques de la Comédie Humaine : « ... Je marche à certaines découvertes... ; mais quel nom donner à la puissance qui me fie les mains, me ferme la bouche et m'entraîne en sens contraire à ma vocation ? » Il ne suffit pas de dire que Balzac s'est proposé de comprendre la société de son temps. Décrire le type du commis-voyageur, faire une « anatomie des corps enseignants » ou même fonder une sociologie, ce n'était pas une tâche surhumaine. Une fois nommées les forces visibles, comme l'argent et les passions, et une fois décrit le fonctionnement manifeste, Balzac se demande à quoi va tout cela, quelle en est la raison d'être, ce que veut dire par exemple cette Europe « dont tous les efforts tendent à je ne sais quel mystère de civilisation », ce qui maintient intérieurement le monde, et fait pulluler les formes visibles. Pour Frenhofer, le sens de la peinture est le même : « ... Une main ne tient pas seulement au corps, elle exprime et continue une pensée qu'il faut saisir et rendre... La véritable lutte est là ! Beaucoup de peintres triomphent instinctivement sans connaître ce thème de l'art. Vous dessinez une femme, mais vous ne la voyez pas. » L'artiste est celui qui fixe et rend accessible aux plus « humains » des hommes le spectacle dont « ils font partie sans le voir.
Commenter  J’apprécie          20
« Il est absurde de nier que l'homme soit capable de progrès ; il n'est pas moins absurde de croire que ces progrès le délivrent (...). Chaque fois qu'il introduit un élément nouveau dans le système de relations connues qu'est une vieille civilisation, l'homme transforme dans des proportions inévaluables ce système de relations tout entier et peut y introduire le germe d'une désorganisation immense ; ainsi certains progrès ont pu être payés de reculs beaucoup plus grands (...). Sachons au moins que nous ne créons rien à quoi nous ne devions ensuite faire face. À cette condition seulement nous pourrons aborder les problèmes posés par le monde moderne sans le dédain stupide, la terreur imbécile et le niais optimisme qui sont les masques de la pensée impuissante » . Thierry Maulnier introduisait ainsi l'idée d'une dynamique sociale et d'un mouvement de l'histoire. La politique ne pouvait donc plus se limiter aux recettes éprouvées d'un art de gouverner et à un heureux usage des hasards. Elle exigeait une analyse de la situation présente, elle reconnaissait un certain sens de l'histoire, dont elle avait à tenir compte sous peine d'être inefficace. On était amené à distinguer  parmi les événements empiriques ceux qui font faire à l'histoire un pas dont elle ne reviendra pas, parce qu'ils répondent aux problèmes du temps, — et ceux qui ne sont que des aventures parce qu'ils reposent sur un concours de circonstances auquel ils ne survivront pas.
Commenter  J’apprécie          30
Comme Cézanne se demande si ce qui est sorti de ses mains offre un sens et sera compris, comme un homme de bonne volonté, considé-rant les conflits de sa vie, en vient à douter que les vies soient compa-tibles entre elles, le citoyen d'aujourd'hui n'est pas sûr que le monde humain soit possible. . On sait qu'elle a été déçue et que nous voyons à présent face à face une Amérique presque unanime dans la chasse aux « rouges », avec les hypocrisies que la critique marxiste a dévoilées dans la conscience libérale, et une Union soviétique qui tient pour fait accompli la division du mon-de en deux camps, pour inévitable la solution militaire, ne compte sur aucun réveil de la liberté prolétarienne, même et surtout quand elle aventure les prolétariats nationaux dans des missions de sacrifice.
Mais l'échec n'est pas fatal. Cézanne a gagné contre le hasard. Les hommes peuvent gagner aussi, pourvu qu'ils mesurent le risque et la tâche.
Commenter  J’apprécie          00

Videos de Maurice Merleau-Ponty (23) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Maurice Merleau-Ponty
Fanny Arama Camille Froidevaux-Metterie Najat Vallaud-Belkacem Kaori Ito La façon dont une culture traite le corps – en particulier le corps des femmes – dit une profonde vérité sur cette culture. le corps est en effet une construction : il prend forme au cours de notre vie et en fonction de nos relations, il est modelé par nos choix, mais également forgé par les institutions, leurs diktats et leurs requêtes. Les sciences humaines et la philosophie ont mis en évidence cette construction sociale du corps – cette « incorporation » : le corps est façonné, comme l'a montré Foucault, par une kyrielle de dispositifs disciplinaires qui en font une « chair » à racheter, une force de travail à employer, un organisme à soigner, mais aussi, dirait Merleau-Ponty, le véhicule de notre advenir au monde que l'être au monde nous oblige à ajouter sans cesse. Mais le corps n'est jamais neutre : il est déterminé entre autres par des facteurs de race et de genre. Réfléchir sur le corps construit implique donc qu'on analyse la manière dont il est construit, qu'on voie quels corps sont construits, selon quels différentiels, et qu'on mette au jour les effets qui produisent les inégalités de pouvoir entre les hommes et femmes. Dans une telle construction sociale, l'empreinte machiste a été déterminante: aussi le corps féminin a-t-il été façonné selon les désirs des hommes. Quelle vérité sur le corps des femmes – maternité, menstruations, ménopause, apparence, sexualité… – apparaîtrait si, dans une perspective féministe, on déconstruisait cet ensemble iconique et idéologique dans lequel l'homme a trouvé les outils de sa domination, sinon les justifications de sa violence symbolique et réelle exercée sur les corps des femmes ?
+ Lire la suite
Dans la catégorie : FranceVoir plus
>Philosophie et disciplines connexes>Philosophie occidentale moderne>France (324)
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (45) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
438 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}