Livre très émouvant par la sincérité et la force de l'approche qui malgré la complexité su sujet abordé nous emporte dans une réflexion sur le rapport entre notre vision et le travail du peintre. On y parle plus des rapports entre l'homme et l'être de représentation, de perspective, de réalisme.
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Visible et mobile, mon corps est au nombre des choses, il est l'une d'elles, il est pris dans le tissu du monde et sa cohésion est celle d'une chose. Mais puisqu'il se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou un prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair, elles font partie de sa définition pleine et le monde est fait de l’étoffe même du corps. Ces renversements, ces antinomies sont diverses manières de dire que la vision est prise ou se fait du milieu des choses, là où un visible se met à voir, devient visible pour soi et par la vision de toutes choses, là où persiste, comme l'eau mère dans le cristal, l'indivision du sentant et du senti.
C’est pourquoi tant de peintres ont dit que les choses les regardent et André Marchand après Klee : « Dans une forêt, j’ai senti à plusieurs reprises que ce n’était pas moi qui regardais la forêt. J’ai senti, certains jours, que c’étaient les arbres qui me regardaient, qui me parlaient… Je crois que le peintre doit être transpercé par l’univers et non vouloir le transpercer…J’attends d’être intérieurement submergé, enseveli. Je peins peut-être pour surgir. »
On sent peut-être mieux maintenant tout ce que porte ce petit mot: voir. La vision n’est pas un certain mode de la pensée ou présence à soi: c’est le moyen qui m’est donné d’être absent à moi-même, d’assister du dedans à la fission de l’Etre, au terme de laquelle seulement je me ferme sur moi. Les peintres l’ont toujours su. Vinci invoque une « science picturale » qui ne parle pas par mots (et encore bien moins par nombres), mais par des œuvres qui existent dans le visible à la manière des choses naturelles, et qui pourtant se communique par elles « à toutes les générations de l’univers ». Cette science silencieuse, qui, dira Rilke à propos de Rodin, fait passer dans l’œuvre les formes des choses « non décachetées », elle vient de l’œil et s’adresse à l’œil. Il faut comprendre l’œil comme la « fenêtre de l’âme.
Il n’y a pas de vision sans pensée. Mais il ne suffit pas de penser pour voir : la vision est une pensée conditionnée, elle naît « à l’occasion » de ce qui arrive dans le corps, elle est « excitée » à penser par lui. Elle ne choisit ni d’être ou de n’être pas, ni de penser ceci ou cela.
Le peintre vit dans la fascination. Ses actions les plus propres — ces gestes, ces tracés dont il est seul capable, et qui seront pour les autres révélation, parce qu’ils n’ont pas les mêmes manques que lui — il lui semble qu’ils émanent des choses mêmes, comme le dessin des constellations. Entre lui et le visible, les rôles inévitablement s’inversent. C’est pourquoi tant de peintres ont dit que les choses les regardent, et André Marchand après Klee : « Dans une forêt, j’ai senti à plusieurs reprises que ce n’était pas moi qui regardais la forêt. J’ai senti, certains jours, que c’étaient les arbres qui me regardaient, qui me parlaient… Moi j’étais là, écoutant… Je crois que le peintre doit être transpercé par l’univers et non vouloir le transpercer… J’attends d’être intérieurement submergé, enseveli. Je peins peut-être pour surgir. » Ce qu’on appelle inspiration devrait être pris à la lettre : il y a vraiment inspiration et expiration de l’Être, respiration dans l’Être, action et passion si peu discernables qu’on ne sait plus qui voit et qui est vu, qui peint et qui est peint. On dit qu’un homme est né à l’instant où ce qui n’était au fond du corps maternel qu’un visible virtuel se fait à la fois visible pour nous et pour soi. La vision du peintre est une naissance continuée.
Fanny Arama
Camille Froidevaux-Metterie
Najat Vallaud-Belkacem
Kaori Ito
La façon dont une culture traite le corps – en particulier le corps des femmes – dit une profonde vérité sur cette culture. le corps est en effet une construction : il prend forme au cours de notre vie et en fonction de nos relations, il est modelé par nos choix, mais également forgé par les institutions, leurs diktats et leurs requêtes. Les sciences humaines et la philosophie ont mis en évidence cette construction sociale du corps – cette « incorporation » : le corps est façonné, comme l'a montré Foucault, par une kyrielle de dispositifs disciplinaires qui en font une « chair » à racheter, une force de travail à employer, un organisme à soigner, mais aussi, dirait Merleau-Ponty, le véhicule de notre advenir au monde que l'être au monde nous oblige à ajouter sans cesse. Mais le corps n'est jamais neutre : il est déterminé entre autres par des facteurs de race et de genre. Réfléchir sur le corps construit implique donc qu'on analyse la manière dont il est construit, qu'on voie quels corps sont construits, selon quels différentiels, et qu'on mette au jour les effets qui produisent les inégalités de pouvoir entre les hommes et femmes. Dans une telle construction sociale, l'empreinte machiste a été déterminante: aussi le corps féminin a-t-il été façonné selon les désirs des hommes. Quelle vérité sur le corps des femmes – maternité, menstruations, ménopause, apparence, sexualité… – apparaîtrait si, dans une perspective féministe, on déconstruisait cet ensemble iconique et idéologique dans lequel l'homme a trouvé les outils de sa domination, sinon les justifications de sa violence symbolique et réelle exercée sur les corps des femmes ?
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