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EAN : 9782070325559
213 pages
Gallimard (04/01/1990)
4.28/5   96 notes
Résumé :
La séance de sac Je crache sur ma vie. Je m'en désolidarise. Qui ne fait mieux que sa vie ? Cela commença quand j'étais enfant. Il y avait un grand adulte encombrant. Comment me venger de lui ? Je le mis dans un sac. Là je pouvais le battre à mon aise. Il criait, mais je ne l'écoutais pas. Il n'était pas intéressant. Cette habitude de mon enfance, je l'ai sagement gardée. Les possibilités d'intervention qu'on acquiert en devenant adulte, outre qu'elles ne vont pas l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
A la lecture de ce recueil, Henri Michaux peut apparaître comme un être profondément aigri, sorte de Grumpy Cat avant l'heure. Face à cette accusation triviale, peut-être aurait-il couvert ma voix puérile de son "tonnerre d'appartement". Ou bien peut-être m'aurait-il assené quelques paires de claques imaginaires, issues de sa "mitrailleuse à gifles". Ses inventions poétiques sont parfois méchantes et fières de l'être, de parfaits outils imaginaires pour frapper ses ennemis. Qui affronte-t-il ainsi ? Tout ce qui l'empêche de trouver la paix. Tout ce qui l'éloigne de la mer, des plis des vagues, assimilés chez lui à des mamelles, signe de sa femme emportée par une mort soudaine, un an avant la parution de ce recueil. Par l'habituelle ironie tragique, la femme et la mer se rejoignaient encore dans la perte, car Michaux avait aussi été éloigné de l'océan brutalement, après une brève carrière de marin.

Parmi les ennemis de la paix, le plus mortel est le corps humain, champ de bataille contre le deuil et les regrets. Michaux reprend ici sa posture caractéristique du poète maladif, qui me fascine autant qu'elle me dérange. Ici, sa carcasse se distord douloureusement dans des états hallucinatoires, présageant ses futurs expérimentations hallucinogènes. Durant ces états, les plis de sa peau sont torturés jusqu'au rire.

Ces déformations éloignent le corps de l'humanité, mais sans le rendre forcément plus supportable. Il est juste devenu autre chose. Une créature imaginaire. Un Meidosem parmi tant d'autres. Qui sont-ils ? Difficile à dire. Des sortes d'alter egos, qui permettent à Michaux de faire l'aveu de son hypersensibilité, de sa vulnérabilité, mais expriment aussi la possibilité de se confondre avec le monde, et, peut-être, d'y oublier les villes en décomposition édifiées par les regrets. le présent recueil établit une typologie de ces Meidosems fragiles. Leur multitude vient peupler la solitude endolorie de leur créateur, comme autant de souvenirs et/ou d'aspirations, préludes à la respiration. C'est parfois drôle, parfois tragique, quand l'humour acide ne trouve plus son chemin dans la cruauté de la vie.

En tout cas, les Meidosems (et autres entités poétiques de ce recueil) sont faciles à cueillir et à emporter avec soi. Gare cependant à ne pas se laisser intimider par le masque acariâtre de leur propriétaire malmené par la vie (aïe, je crois qu'il m'a giflé).
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Créatures fantastiquement humaines dont en ce moment me sens proche.
Ame : parole aquatique se prononce en mouvement de bouche de poisson
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Une découverte d'une compilation de textes d'un auteur approché pour la première fois quand j'étais étudiante. Auteur que j'adore depuis, malgré mon inculture, bien qu'il m'arrive très souvent de ne pas comprendre un mot de ce qu'il écrit (au premier abord seulement, le plus souvent. Et même ensuite, d'une certaine façon...). Ce recueil est tombé délectablement à propos à un moment très particulier de ma vie. Mais ça, ça m'appartient et n'a pas lieu d'apparaître ici. Tout ce que je puis dire est qu'à cette première lecture de ces mots agencés, un « aperçu » de ma vie, à la fois superficiel et profond (je sais, ça se contredit, au premier abord), a semblé éclaté sous mes yeux et dans ma tête. Beau feu d'artifices dont j'ai savouré chaque éclat sensoriel.
Dommage que ce livre ait été emprunté. Je pense que je me l'achèterai, car comme souvent avec cet auteur, il me faudra plusieurs lectures pour en savourer avec plus de justesses et de délices chaque mot, tellement picturalement, « sensitivement », sensoriellement, amplement et oniriquement employés.

Beaucoup de textes ont trouvé un tel écho en moi (Tahavi en est peut-être l'exemple le plus parlant en tant que reflet d'une époque révolue pas si lointaine), que j'aurai souhaité tous vous les citer dans la rubrique Babelio dédiée à cet exercice de copie. Mais certains auraient été beaucoup trop longs pour y figurer. Ainsi en est-il de la séance de sac ou Liberté d'action, par exemple. Donc, tant pis. Il ne vous reste plus qu'à lire et / ou relire ce livre, à votre rythme.

Bon voyage.
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Beau retour du nonsense de "Plume", en un peu plus fantastique et beaucoup plus macabre.

Sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/09/29/note-de-lecture-la-vie-dans-les-plis-henri-michaux/
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Un de mes recueils préférés de ce poète!
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Citations et extraits (70) Voir plus Ajouter une citation


Nous deux encore



Air du feu, tu n’as pas su jouer.
Tu as jeté sur ma maison une toile noire. Qu’est-ce que cet opaque partout ? C’est l’opaque qui a bouché mon ciel. Qu’est-ce que ce silence partout ? C’est le silence qui a fait taire mon chant.

L’espoir, il m’eût suffi d’un ruisselet. Mais tu as tout pris. Le son qui vibre m’a été retiré.

Tu n’as pas su jouer. Tu as attrapé les cordes. Mais tu n’as pas su jouer. Tu as tout bousillé tout de suite. Tu as cassé le violon. Tu as jeté une flamme sur la peau de soie.
Pour faire un affreux marais de sang.

Son bonheur riait dans son âme. Mais c’était tout tromperie. Ca n’a pas fait long rire.

Elle était dans un train roulant vers la mer. Elle était dans une fusée filant sur le roc. Elle s’élançait quoiqu’immobile vers le serpent de feu qui allait la consumer. Et fut là tout à coup, saisissant la confiante, tandis qu’elle peignait sa chevelure, contemplant sa félicité dans la glace.
Et lorsqu’elle vit monter cette flamme sur elle, oh…
Dans l’instant la coupe lui a été arrachée. Ses mains n’ont plus rien tenu. Elle a vu qu’on la serrait dans un coin. Elle s’est arrêtée là-dessus comme sur un énorme sujet de méditation à résoudre avant tout. Deux secondes plus tard, deux secondes trop tard, elle fuyait vers la fenêtre, appelant au secours.
Toute la flamme alors l’a entourée.

Elle se retrouve dans un lit, dont la souffrance monte jusqu’au ciel, jusqu’au ciel, sans rencontrer de dieu… dont la souffrance descend jusqu’au fond de l’enfer, jusqu’au fond de l’enfer sans rencontrer de démon.
L’hôpital dort. La brûlure éveille. Son corps, comme un parc abandonné..

Défenestrée d’elle-même, elle cherche comment rentrer. Le vide où elle godille ne répond pas à ses mouvements.
Lentement, dans la grange, son blé brûle.
Aveugle, à travers le long barrage de souffrance, un mois durant, elle remonte le fleuve de vie, nage atroce.
Patiente, dans l’innommable boursouflé elle retrace ses formes élégantes, elle tisse à nouveau la chemise de sa peau fine. La guérison est là. Demain tombe le dernier pansement. Demain…
Air du sang, tu n’as pas su jouer. Toi non plus, tu n’as pas su. Tu as jeté subitement, stupidement, ton sot petit caillot obstructeur en travers d’une nouvelle aurore.
Dans l’instant elle n’a plus trouvé de place. Il a bien fallu se tourner vers la Mort.
A peine si elle a aperçu la route. Une seconde ouvrit l’abîme. La suivante l’y précipitait.
On est resté hébété de ce côté-ci. On n’a pas eu le temps de dire au revoir. On n’a pas eu le temps d’une promesse.
Elle avait disparu du film de cette terre.
Lou
Lou
Lou, dans le rétroviseur d’un bref instant
Lou, ne me vois-tu pas ?
Lou, le destin d’être ensemble à jamais
dans quoi tu avais tellement foi
Eh bien ?
Tu ne vas pas être comme les autres qui jamais plus ne font signe, englouties dans le silence.
Non, il ne doit pas te suffire à toi d’une mort pour t’enlever ton amour.
Dans la pompe horrible
qui t’espace jusqu’à je ne sais quelle millième dilution
tu cherches encore, tu nous cherches place
Mais j’ai peur
On n’a pas pris assez de précautions
On aurait dû être plus renseigné,
Quelqu’un m’écrit que c’est toi, martyre, qui va veiller sur moi à présent.
Oh ! J’en doute.
Quand je touche ton fluide si délicat
demeuré dans ta chambre et tes objets familiers que je presse dans mes mains
ce fluide ténu qu’il fallait toujours protéger
Oh j’en doute, j’en doute et j’ai peur pour toi,
Impétueuse et fragile, offerte aux catastrophes
Cependant, je vais à des bureaux, à la recherche de certificats gaspillant des moments précieux qu’il faudrait utiliser plutôt entre nous précipitamment tandis que tu grelottes
attendant en ta merveilleuse confiance que je vienne t’aider à te tirer de là, pensant « A coup sûr, il viendra
« il a pu être empêché, mais il ne saurait tarder
« il viendra, je le connais
« il ne va pas me laisser seule
« ce n’est pas possible
« il ne vas pas laisser seule, sa pauvre Lou…
Je ne connaissais pas ma vie. Ma vie passait à travers toi. Ca devenait simple, cette grande affaire compliquée. Ca devenait simple, malgré le souci.
Ta faiblesse, j’étais raffermi lorsqu’elle s’appuyait sur moi.
Dis, est-ce qu’on ne se rencontrera vraiment plus jamais ?
Lou, je parle une langue morte, maintenant que je ne te parle plus. Tes grands efforts de liane en moi, tu vois ont abouti. Tu le vois au moins ? Il est vrai, jamais tu ne doutas, toi. Il fallait un aveugle comme moi, il lui fallait du temps, lui, il fallait ta longue maladie, ta beauté, ressurgissant de la maigreur et des fièvres, il fallait cette lumière en toi, cette foi, pour percer enfin le mur de la marotte de son autonomie.
Tard j’ai vu. Tard j’ai su. Tard, j’ai appris « ensemble » qui ne semblait pas être dans ma destinée. Mais non trop tard.
Les années ont été pour nous, pas contre nous.
Nos ombres ont respiré ensemble. Sous nous les eaux du fleuve des événements coulaient presque avec silence.
Nos ombres respiraient ensemble et tout en était recouvert.

J’ai eu froid à ton froid. J’ai bu des gorgées de ta peine.
Nous nous perdions dans le lac de nos échanges.
Riche d’un amour immérité, riche qui s’ignorait avec l’inconscience des possédants, j’ai perdu d’être aimé. Ma fortune a fondu en un jour.
Aride, ma vie reprend. Mais je ne me reviens pas. Mon corps demeure en ton corps délicieux et des antennes plumeuses en ma poitrine me font souffrir du vent du retrait. Celle qui n’est plus, prend, et son absence dévoratrice me mange et m’envahit.
J’en suis à regretter les jours de ta souffrance atroce sur le lit d’hôpital, quand j’arrivais par les corridors nauséabonds, traversés de gémissements vers la momie épaisse de ton corps emmailloté et que j’entendais tout à coup émerger comme le « la » de notre alliance, ta voix, douce, musicale, contrôlée, résistant avec fierté à la laideur du désespoir, quand à ton tour tu entendais mon pas, et que tu murmurais, délivrée « Ah tu es là ».
Je posais ma main sur ton genou, (...) tout glissait en arrière, laissant nos deux fluides, à travers les pansements, se retrouver, se joindre, se mêler dans un étourdissement du cœur, au comble du malheur, au comble de la douceur.
Les infirmières, l’interne souriaient ; tes yeux pleins de foi éteignaient ceux des autres.
Celui qui est seul, se tourne le soir vers le mur, pour te parler. Il sait ce qui t’animait. Il vient partager la journée. Il a observé avec tes yeux. Il a entendu avec tes oreilles.
Toujours il a des choses pour toi.
Ne me répondras-tu pas un jour ?
Mais peut-être ta personne est devenue comme un air de temps de neige, qui entre par la fenêtre, qu’on referme, pris de frissons ou d’un malaise avant-coureur de drame, comme il m’est arrivé il y a quelques semaines. Le froid s’appliqua soudain sur mes épaules je me couvris précipitamment et me détournai quand c’était toi peut-être et la plus chaude que tu pouvais te rendre, espérant être bien accueillie ; toi, si lucide, tu ne pouvais plus t’exprimer autrement. Qui sait si en ce moment même, tu n’attends pas, anxieuse, que je comprenne enfin, et que je vienne, loin de la vie où tu n’es plus, me joindre à toi, pauvrement, pauvrement certes, sans moyens mais nous deux encore, nous deux…"

*

et c'est toujours l'enseveli vivant

et c'est toujours le tabernacle brisé

le bras faible comme un cil qui lutte

fleuve et c'est toujours la nuit qui revient l'espace vide mais qui guette

et c'est toujours la vieille sangle

et c'est toujours l'enseveli vivant

et c'est toujours le balcon écroulé.

Le nerf pincé au fond du cœur qui se souvient

l'oiseau-baobab qui fouaille le cerveau

le torrent où l'être se précipite

et c'est toujours la rencontre dans l'orage

et c'est toujours le bord de l'éclipse

et c'est toujours derrière la palissade des cellules

l'horizon qui recule, qui recule...


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La nuit est un grand espace cubique.
Résistant.
Extrêmement résistant.
Entassement de murs et en tous sens, qui vous limitent, qui veulent vous limiter.
Ce qu'il ne faut pas accepter.

Moi, je n'en sors pas.
Que d'obstacles pourtant j'ai déjà renversés.

Que de murs bousculés.
Mais il en reste.
Oh! pour ça, il en reste.
En ce moment je fais surtout la guerre des plafonds.

Les voûtes dures qui se forment au-dessus de moi, car il s'en présente, je les martèle, je les pilonne, je les fais sauter, éclater, crever, il s'en trouve toujours d'autres par-derrière.
De mon énorme marteau jamais fatigué, je leur assène des coups à assommer un mammouth s'il s'en trouvait encore un... et là.
Mais il ne s'y rencontre que voûtes, voûtes têtues, cependant qu'il faut qu'elles se brisent et s'abattent.
Il s'agit ensuite de désencombrer ce lieu conquis des débris qui masquent ce qui vient au-delà, que je ne devine d'ailleurs que trop, car il m'est évident qu'il y a encore une voûte plus loin, plus haut, qu'il faudra abattre aussi.



Ce qui est dur sous moi, ne me gêne pas moins, obstacle que je ne puis, que je ne dois supporter, matière du même immense bloc détesté où j'ai été mis à vivre.

A coups de pic, je l'éventre, puis j'éventre le suivant.

De cave en cave, je descends toujours, crevant les voûtes, arrachant les étais.

Je descends imperturbable, infatigué par la découverte de caves sans fin dont il y a un nombre que depuis longtemps j'ai cessé de compter, je creuse, je creuse toujours jusqu'à ce que, un travail immense fait, je sois obligé de remonter pour me rendre compte de la direction suivie, car on finit par creuser en colimaçon.
Mais arrivé là-haut, je suis pressé de redescendre, appelé par l'immensité des réduits à défoncer qui m'attendent.
Je descends sans faire attention à rien, en enjambées de géant, je descends des marches comme celles des siècles — et enfin, au-delà des marches, je me précipite dans le gouffre de mes fouilles, plus vite, plus vite, plus désordonné-ment, jusqu'à buter sur l'obstacle final, momentanément final, et je me remets à déblayer avec une fureur nouvelle, à déblayer, à déblayer, creusant dans la masse des murs qui n'en finissent pas et qui m'empêchent de partir du bon pied.

Mais la situation un jour, se présentera différente, peut-être.
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QU’IL REPOSE EN RÉVOLTE
Dans le noir, dans le soir sera sa mémoire
dans ce qui souffre, dans ce qui suinte
dans ce qui cherche et ne trouve pas
dans le chaland de débarquement qui crève sur la grève
dans le départ sifflant de la balle traceuse
dans l’île de soufre sera sa mémoire.

Dans celui qui a sa fièvre en soi, à qui n’importent les murs
dans celui qui s’élance et n’a de tête que contre les murs
dans le larron non repentant
dans le faible à jamais récalcitrant
dans le porche éventré sera sa mémoire.

Dans la route qui obsède
dans le cœur qui cherche sa plage
dans l’amant que son corps fuit
dans le voyageur que l’espace ronge.

Dans le tunnel
dans le tourment tournant sur lui-même
dans l’impavide qui ose froisser le cimetière.

Dans l’orbite enflammé des astres qui se heurtent en éclatant
dans le vaisseau fantôme, dans la fiancée flétrie
dans la chanson crépusculaire sera sa mémoire.

Dans la présence de la mer
dans la distance du juge
dans la cécité
dans la tasse à poison.

Dans le capitaine des sept mers
dans l’âme de celui qui lave la dague
dans l’orgue en roseau qui pleure pour tout un peuple
dans le jour du crachat sur l’offrande.

Dans le fruit de l’hiver
dans le poumon des batailles qui reprennent
dans le fou dans la chaloupe

Dans les bras tordus des désirs à jamais inassouvis
sera sa mémoire.

p.104-105
* poème relu à l'occasion de cette journée mondiale dédiée à Aloïs, né un 14 juin 1864 à Markbreit, qui soutint une thèse de doctorat sur "Les glandes cérumineuses", et qui s'éteint un 15 décembre 1915, à Breslau....
Vous ne voyez pas ? Mais si, son nom commence par Alzhei … et fini par mer.


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Nous deux encore
Air du feu, tu n’as pas su jouer.
Tu as jeté sur ma maison une toile noire. Qu’est-ce que cet opaque partout ? C’est l’opaque qui a bouché mon ciel. Qu’est-ce que ce silence partout ? C’est le silence qui a fait taire mon chant.

L’espoir, il m’eût suffi d’un ruisselet. Mais tu as tout pris. Le son qui vibre m’a été retiré.

Tu n’as pas su jouer. Tu as attrapé les cordes. Mais tu n’as pas su jouer. Tu as tout bousillé tout de suite. Tu as cassé le violon. Tu as jeté une flamme sur la peau de soie.
Pour faire un affreux marais de sang.

Son bonheur riait dans son âme. Mais c’était tout tromperie. Ça n’a pas fait long rire.

Elle était dans un train roulant vers la mer. Elle était dans une fusée filant sur le roc. Elle s’élançait quoiqu’immobile vers le serpent de feu qui allait la consumer. Et fut là tout à coup, saisissant la confiante, tandis qu’elle peignait sa chevelure, contemplant sa félicité dans la glace.
Et lorsqu’elle vit monter cette flamme sur elle, oh…
Dans l’instant la coupe lui a été arrachée. Ses mains n’ont plus rien tenu. Elle a vu qu’on la serrait dans un coin. Elle s’est arrêtée là-dessus comme sur un énorme sujet de méditation à résoudre avant tout. Deux secondes plus tard, deux secondes trop tard, elle fuyait vers la fenêtre, appelant au secours.
Toute la flamme alors l’a entourée.

Elle se retrouve dans un lit, dont la souffrance monte jusqu’au ciel, jusqu’au ciel, sans rencontrer de dieu… dont la souffrance descend jusqu’au fond de l’enfer, jusqu’au fond de l’enfer sans rencontrer de démon.
L’hôpital dort. La brûlure éveille. Son corps, comme un parc abandonné.

Défenestrée d’elle-même, elle cherche comment rentrer. Le vide où elle godille ne répond pas à ses mouvements.
Lentement, dans la grange, son blé brûle.
Aveugle, à travers le long barrage de souffrance, un mois durant, elle remonte le fleuve de vie, nage atroce.
Patiente, dans l’innommable boursouflé elle retrace ses formes élégantes, elle tisse à nouveau la chemise de sa peau fine. La guérison est là. Demain tombe le dernier pansement. Demain…
Air du sang, tu n’as pas su jouer. Toi non plus, tu n’as pas su. Tu as jeté subitement, stupidement, ton sot petit caillot obstructeur en travers d’une nouvelle aurore.
Dans l’instant elle n’a plus trouvé de place. Il a bien fallu se tourner vers la Mort.
A peine si elle a aperçu la route. Une seconde ouvrit l’abîme. La suivante l’y précipitait.
On est resté hébété de ce côté-ci. On n’a pas eu le temps de dire au revoir. On n’a pas eu le temps d’une promesse.
Elle avait disparu du film de cette terre.
Lou
Lou, dans le rétroviseur d’un bref instant
Lou, ne me vois-tu pas ?
Lou, le destin d’être ensemble à jamais
dans quoi tu avais tellement foi
Eh bien ?
Tu ne vas pas être comme les autres qui jamais plus ne font signe, englouties dans le silence.
Non, il ne doit pas te suffire à toi d’une mort pour t’enlever ton amour.
Dans la pompe horrible
qui t’espace jusqu’à je ne sais quelle millième dilution
tu cherches encore, tu nous cherches place
Mais j’ai peur
On n’a pas pris assez de précautions
On aurait dû être plus renseigné,
Quelqu’un m’écrit que c’est toi, martyre, qui va veiller sur moi à présent.
Oh ! J’en doute.
Quand je touche ton fluide si délicat
demeuré dans ta chambre et tes objets familiers que je presse dans mes mains
ce fluide ténu qu’il fallait toujours protéger
Oh j’en doute, j’en doute et j’ai peur pour toi,
Impétueuse et fragile, offerte aux catastrophes
Cependant, je vais à des bureaux, à la recherche de certificats gaspillant des moments précieux qu’il faudrait utiliser plutôt entre nous précipitamment tandis que tu grelottes
attendant en ta merveilleuse confiance que je vienne t’aider à te tirer de là, pensant « A coup sûr, il viendra
« il a pu être empêché, mais il ne saurait tarder »
« il viendra, je le connais »
« il ne va pas me laisser seule »
« ce n’est pas possible »
« il ne va pas laisser seule, sa pauvre Lou… »
Je ne connaissais pas ma vie. Ma vie passait à travers toi. Ça devenait simple, cette grande affaire compliquée. Ça devenait simple, malgré le souci.
Ta faiblesse, j’étais raffermi lorsqu’elle s’appuyait sur moi.
Dis, est-ce qu’on ne se rencontrera vraiment plus jamais ?
Lou, je parle une langue morte, maintenant que je ne te parle plus. Tes grands efforts de liane en moi, tu vois ont abouti. Tu le vois au moins ? Il est vrai, jamais tu ne doutas, toi. Il fallait un aveugle comme moi, il lui fallait du temps, lui, il fallait ta longue maladie, ta beauté, ressurgissant de la maigreur et des fièvres, il fallait cette lumière en toi, cette foi, pour percer enfin le mur de la marotte de son autonomie.
Tard j’ai vu. Tard j’ai su. Tard, j’ai appris « ensemble » qui ne semblait pas être dans ma destinée. Mais non trop tard.
Les années ont été pour nous, pas contre nous.
Nos ombres ont respiré ensemble. Sous nous les eaux du fleuve des événements coulaient presque avec silence.
Nos ombres respiraient ensemble et tout en était recouvert.

J’ai eu froid à ton froid. J’ai bu des gorgées de ta peine.
Nous nous perdions dans le lac de nos échanges.
Riche d’un amour immérité, riche qui s’ignorait avec l’inconscience des possédants, j’ai perdu d’être aimé. Ma fortune a fondu en un jour.
Aride, ma vie reprend. Mais je ne me reviens pas. Mon corps demeure en ton corps délicieux et des antennes plumeuses en ma poitrine me font souffrir du vent du retrait. Celle qui n’est plus, prend, et son absence dévoratrice me mange et m’envahit.
J’en suis à regretter les jours de ta souffrance atroce sur le lit d’hôpital, quand j’arrivais par les corridors nauséabonds, traversés de gémissements vers la momie épaisse de ton corps emmailloté et que j’entendais tout à coup émerger comme le « la » de notre alliance, ta voix, douce, musicale, contrôlée, résistant avec fierté à la laideur du désespoir, quand à ton tour tu entendais mon pas, et que tu murmurais, délivrée « Ah tu es là ».
Je posais ma main sur ton genou, par-dessus la couverture souillée et tout alors disparaissait, la puanteur, l’horrible indécence du corps traité comme une barrique ou comme un égout, par des étrangers affairés et soucieux, tout glissait en arrière, laissant nos deux fluides, à travers les pansements, se retrouver, se joindre, se mêler dans un étourdissement du cœur, au comble du malheur, au comble de la douceur.
Les infirmières, l’interne souriaient ; tes yeux pleins de foi éteignaient ceux des autres.
Celui qui est seul, se tourne le soir vers le mur, pour te parler. Il sait ce qui t’animait. Il vient partager la journée. Il a observé avec tes yeux. Il a entendu avec tes oreilles.
Toujours il a des choses pour toi.
Ne me répondras-tu pas un jour ?

Mais peut-être ta personne est devenue comme un air de temps de neige, qui entre par la fenêtre, qu’on referme, pris de frissons ou d’un malaise avant-coureur de drame, comme il m’est arrivé il y a quelques semaines. Le froid s’appliqua soudain sur mes épaules je me couvris précipitamment et me détournai quand c’était toi peut-être et la plus chaude que tu pouvais te rendre, espérant être bien accueillie ; toi, si lucide, tu ne pouvais plus t’exprimer autrement. Qui sait si en ce moment même, tu n’attends pas, anxieuse, que je comprenne enfin, et que je vienne, loin de la vie où tu n’es plus, me joindre à toi, pauvrement, pauvrement certes, sans moyens mais nous deux encore, nous deux…
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LA STATUE ET MOI


À mes moments perdus, j'apprends à marcher à une statue. Étant donné son immobilité exagérément prolongée, ce n'est pas facile. Ni pour elle. Ni pour moi. Grande distance nous sépare, je m'en rends compte. Je ne suis pas assez sot pour ne pas m'en rendre compte.

Mais on ne peut avoir toutes les bonnes cartes dans son jeu. Or donc, en avant.

Ce qui importe, c'est que son premier pas soit bon. Tout pour elle est dans ce premier pas. Je le sais. Je ne le sais que trop. De là, mon angoisse. Je m'exerce en conséquence. Je m'exerce comme jamais je ne fis.

Me plaçant près d'elle de façon strictement parallèle, le pied comme elle levé et raide comme un piquet enfoncé en terre.

Hélas, ce n'est jamais exactement pareil. Ou le pied, ou la cambrure ou le port, ou le style, il y a toujours quelque chose de manqué et le départ tant attendu ne peut avoir lieu.

C'est pourquoi j'en suis venu presque à ne plus pouvoir marcher moi-même, envahi d'une rigidité, pourtant toute d'élan, et mon corps fasciné me fait peur et ne me conduit plus nulle part.

p.60-61
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Vidéo de Henri Michaux
Sacha Guitry, Victor Hugo, Henri Michaux, Raymond Devos... Tous ces noms furent les auteurs de textes illustres, qu'André Dussollier convoque et ressuscite sur la scène des Bouffes parisiens depuis le 18 janvier. Rencontre avec cet acteur à trois césars et récompensé du Molière du comédien.
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