Autant aller à l'essentiel : "Berserk" est un titre majeur de la planète manga qui présente toutes les caractéristiques de l'oeuvre d'exception, écriture et dessin gagnant sacrément en qualité de tomes en tomes. Toutefois âmes sensibles s'abstenir, car il s'agit d'une oeuvre à ne pas mettre entre toutes les mains (à moins que vous ne vouliez traumatiser à vie un adolescent ^^) : visant à dénoncer les crimes commis par l'humanité, on assiste régulièrement à des scènes d'une rare violence, tant visuelle que morale, qui flirtent régulièrement avec les limites de l'insoutenable. Mais avec le manga "Berserk", jamais l'horreur n'aura été aussi magnifiquement dessinée, jamais l'enfer n'aura été aussi superbe à contempler, et on se retrouve hypnotisés comme les phalènes par le feu malgré quelques nuits de cauchemar en perspective…
R.E. Howard disait qu'il ne savait jamais quelle quantité de violence et d'horreur les lecteurs étaient prêts à endurer… Et bien, avec ce titre vous allez découvrir vos limites, puis sans cesse les repousser ! ^^
Kentaro Miura fonde une nouvelle démonologie (God Hand, Apôtres, eucharistie cannibale…) mais surtout il inverse les archétypes de la fantasy : le bad guy chevalier noir devient le défenseur des opprimés d'abord, le dernier espoir du genre humain ensuite, et le beau gosse paladin blanc devient un crevard prêt à tout et au reste pour assouvir ses ambitions. Difficile au final de savoir si on raconte l'histoire de Guts à travers le celle de Griffith ou l'histoire de Griffith à travers celle de Guts. Car Guts et Griffith rejouent les rôles jadis dévolus à Kenshiro et Shin du manga culte "Hokuto no Ken", mais plus encore à Akira Fudo et Ryo Asuka du manga cultissime "Devilman". Et l'opposition entre Guts et Griffith est également doublée par celle millénaire entre Void et le Skullknight. Mais nous ne sommes pas dans le motif prédéterministe du cercle, mais celui évolutionniste de la spirale : les questions sont toujours les mêmes certes, mais les réponses diffèrent… Guts va-t-il suivre la même voie que le Skullknight ou bien va-t-il écrire son destin de ses propres mains ? Telle est la magnifique question existentielle que pose ce manga !
Et autour d'eux gravitent toute une galerie humaine et inhumaine nous montrant tous les aspects de la psyché humaine, des plus nobles aux plus immondes. Et au final, malgré la dénonciation des forces occultes de la crevardise, on se met à prendre en pitié de véritables monstres comme le Comte qui a abandonné son humanité pour échapper au chagrin et à la douleur, comme la bâtarde Rosine qui a assassiné ses parents pour façonner son royaume de Peter Pan, ou Ganishka l'empereur de la terreur incapable de dominer ses propres peurs…
Kentaro Miura a été l'assistant de Tetsuo Hara ("Hokuto no Ken"), qui a été l'assistant de Buichi Terasawa ("Space Adventure Cobra"), qui a été l'élève d'Osamu Tezuka (celui qui a créé le manga tel qu'il existe aujourd'hui). Une belle et noble lignée de mangaka, qui passé son fondateur a pourtant peiné à se faire reconnaître au Japon en raison de ses influences jugées trop occidentales (les prescripteurs d'opinion ayant pignon sur rue et leur bonne-pensée sévissent décidément partout…).
37 tomes sont sortis en 25 ans : c'est finalement assez peu ! Et plus on avance, plus le rythme de parution ralentit… Désormais la sortie de chaque chapitre est source de ravissements et frustrations. L'auteur est un perfectionniste de l'extrême, qui rappelle dans le monde de la bande dessinée franco-belge les auteurs de l'école Hergé (Roger Leloup, Jacques Martin, Gilles Chaillet) qui consacraient des mois de d'études préparatoires avant de se mettre au travail. La documentation du mangaka est immense, et c'est un réel plaisir que de scruter ses planches pour y retrouver les détournement de l'armure de Negredo pour Charles Quint, de l'ossuaire de Sedlec, du Palais Vecchio de Florence, de la Villa Almerico Capra de Vicenze, de l'Alcazar de Ségovie, de la mosquée de Cordoue, des cathédrale de Strasbourg et de Reims, du château de Coca ou de l'Eglise San Martin d'Espagne, du Panthéon ou du Palazzo Zuccari de Rome, ou bien encore du temple de Marundeeswarar à Madras… (Je vous renvoie à l'excellent fansite espagnol qui a listé tout cela en long, en large et en travers : http://matadragones.mforos.com)
Et je ne parle même pas des nombreux clins d'oeil à Pieter Brueghel, Gutave Doré ou Maurits Cornelis Escher… ^^
Quand on voit la minutie apportée à l'écriture et aux dessins, qui ont prodigieusement progressé depuis le tome 1, on se doit d'être confiant quand le mangaka déclare être parvenu aux deux tiers de son récit qui atteindra les 60 tomes. Il va juste falloir s'armer de patience pour reconstituer le puzzle de la Main de Dieu et ses nombreux mystères. Berserk, c'est un manga au long cours qui demande un investissement certain de la part de ses lecteurs, mais qui pourrait en être récompensé au-delà de ses espérances !
Notons également que l'auteur connaît vraiment bien ses classiques : niveau fantasy les connaisseurs repéreront bien vite les nombreux empreints à "Guin Saga" de Kaoru Kurimoto la papesse du genre au Japon (mais également ceux aux "Chroniques d'Arslan" de Yoshiki Tanaka), l'ombre tutélaire du Grand Ancien R.E. Howard resurgissant de temps à autre ; niveau horreur les connaisseurs repéreront bien vite les nombreux emprunts aux oeuvres du maître anglais du genre Clive Barker (remember "Hellraiser"), l'ombre tutélaire du Grand Ancien H.P. Lovecraft resurgissant de temps à autres…
Mais trêve de bavardages, passons maintenant au vif du sujet !
Séquence pré-générique : au coeur d'une sombre forêt, le récit débute directement avec notre héros badass forniquant avec une bombasse… Rapidement la belle se transforme en bête et annonce à notre héros qu'il est déjà mort, avant que celui ne réplique que tel est pris qui croyait prendre et ne lui explose la tête avec l'arme à feu intégrée dans son bras gauche (clin d'oeil à l'histoire avec Gottfried le manchot et clin d'oeil au manga avec Cobra l'invincible ^^)
Il s'agit d'un détournement d'une scène du célèbre "Conan" de
John Milius, la sorcière bestiale étant ici remplacée par une créature de
H.R. Giger (remember "Alien")
Guts c'est un mélange entre
Conan le barbare,
Solomon Kane le vigilante puritain et Kenshiro le messie karatéka ! le mangaka emprunte beaucoup au héros de son mentor Testuo Hara, mais il en a été si longtemps l'assistant que c'est presque naturel.
Nous le suivons ensuite dans une ville où règne une ambiance lourde et pesante : des mercenaires sans foi ni loi semblent faire ce qu'ils veulent alors que de curieux attelages de femmes et d'enfants sont envoyés à leur employeur, le régisseur du château de Coca… En délivrant l'elfe Puck, Guts fait en massacre parmi les mercenaires et provoque l'intervention du seigneur local puis du régisseur obligé de révéler sa véritable identité et sa véritable apparence. A la violence du démon qui massacre la population (dont le look rappellera de bons souvenirs aux vieux routards de l'animation ou de la fantasy), répond celle de Guts qui déploie toutes ses forces, toutes ses ruses et tout son arsenal contre son adversaire… Nous apprenons alors que le chevalier noir est en quête de vengeance contre les membres de la God Hand, et qu'il traque sans pitié leurs apôtres démoniaques pour les retrouver…
Le 2e récit de ce tome 1 nous montre le quotidien de Guts qui doit combattre jour et nuit (enfin, surtout la nuit) les esprits du mal attirés par la marque du sacrifice qu'il porte sur sa nuque. Recueilli par un prêtre et sa protégée, il doit affronter une horde de zombies au coeur de la nuit. Alors qu'il entrevoit la victoire, le petite blessée et zombifiée assassine et décapite le vieux prêtre… C'est le début du carnage pour Guts qui passe en mode berserker ! Au final un récit qui emprunte aux films de zombies à la
George Romero : et c'est cool…
C'est à travers les cauchemars provoqués par un démon incube que nous avons un premier aperçu du traumatisme qui a transformé Guts en chevalier noir…
La fin du tome, consacrée au début de l'arc "Les Anges gardiens du désir", nous montre la déclaration de guerre de Guts au Comte, un Apôtre qui masque ses bas instincts derrière une chasse aux hérétiques, qui ne s'avèrent être que des pauvres hères destinés à assouvir ses appétits inhumains. Après avoir provoqué un carnage parmi ses soldats menés par le colosse Zondarc, Guts prend la poudre d'escampette grâce au mendigot Vulgus, une ancienne victime du Comte mutilée et défigurée qui ne vit plus que pour la vengeance. Il montre à Guts son plus grand trésor, dérobé au Comte : une beherit, la pierre qui permet aux hommes d'invoquer la God Hand et de devenir démon pour satisfaire leurs ambitions !
Un tome 1 plaisant mais intriguant, qui fait bien son taf dépisode pilote en présentant le héros, l'univers, l'histoire et ses enjeux. le mangaka est encore en début de carrière et oeuvre ici pour la première fois en solo donc les dessins des personnages et des décors sont appelés à s'améliorer, les planches ne faisant que gagner en détails donc en qualité de tomes en tomes. Mais bon sang ne saurait mentir, le découpage et la mise en scène sont déjà excellents ! On pourrait trouver incongrue la présence l'elfe Puck dans un univers aussi sombre et sérieux, mais non seulement nous découvrons Guts à travers ses yeux, mais en plus il joue le rôle de comic relief permettant d'atténuer une violence omniprésente qui teste sans cesse les limites de l'endurance des lecteurs.