Un condensé de l'histoire de l'Indochine Française captivant mais avec ses biais : une lecture politique orientée et une méthode historique trop événementielle.
Pierre Matignon est un historien prolifique qui a écrit de nombreux essais historiques sur la France et son ancien Empire Colonial.
L'Indochine française (1858-1954) s'inscrit totalement dans cette démarche. le livre retrace la présence française des premiers coups de canon du vice-amiral Rigault de Genouilly sur la proue du Némésis aux accords de Genève qui entérinent la défaite française et le retrait des troupes du Nord-Vietnam. Il revient sans ambages sur les errements de la politique française, notamment de la IVe République et de son manque de cohérence, son ballet de dirigeants tous aussi éphémères qu'incompétents. L'une des forces de son récit réside dans sa capacité à transcrire la grande complexité diplomatique de la région. Convoitises territoriales chinoises mais amitié mi-figue, mi-raisin avec les mouvements nationalistes. Rivalités entre Français et Siamois pour la domination en Asie du Sud-Est. Alliance sans faille laotienne et opportunisme cambodgien. Nationalistes communistes et nationalistes légitimistes. Sud contre Centre contre Nord. Opposition vichyste contre invasion japonaise. La fin de l'Empire français et les mauvais calculs des États-Unis anti-impérialistes.
L'autre force du livre, c'est le récit très précis des affrontements. Jour après jour, mois après mois, année après année. Montagnon livre une épique épopée de la Guerre d'Indochine : on ne se lasse pas des péripéties militaires. Les sièges, les expéditions, les retraites sont mises en valeur par une plume acérée. Plus intéressant encore, l'auteur arrive à lier fidèlement cause militaire et conséquence politique, surtout que l'esprit des Commandants sur place ou des Nord-vietnamiens font tout aussi vite cette connexion. Néanmoins, la bataille de Dien Bien Phu, la plus retentissante, la plus impactante, est étrangement écartée. Trois mots et puis s'en va. L'une des grandes frustrations de ma lecture.
Si le livre retrace les premiers pas du Français en Asie du Sud-Est, il ne s'embarrasse pas de replacer cette zone géographique dans le détail de ce qu'elle était avant son arrivée. Est succinctement balayée d'un revers de la main l'histoire riche de la région pour dire que "le pays globalement stagne au Moyen Âge". C'est le travers flagrant d'une lecture de la colonisation comme entreprise civilisatrice par les armes. En témoigne la présence anecdotique des missions catholiques destinées à convertir les foules (qui ont tendance à créer des tensions et, en l'occurrence, sont à l'origine de la Colonisation en Indochine) et une absence quasi totale de la mention des intérêts économiques et de l'exploitation des ressources territoriales. Au lieu de cela, l'auteur nous livre une vision militariste et un angle presque exclusivement géopolitique de la démarche coloniale française.
De la même manière, je vous ai dit qu'il n'hésitait pas à tirer à l'obusier sur la IVe République. Ce qui n'est pas visible à la lecture de l'ouvrage est aussi le passé de notre auteur. Montagnon a, durant une courte partie de son existence, fait partie des "Centurions", ces officiers, parfois passés par l'Indochine Française, et résolument partisans de l'Algérie Française. le ton caustique à l'égard de la IVe République (mérité ou non, ce n'est pas le propos), et même parfois à l'égard de de Gaulle, interpelle sur l'interprétation de Montagnon. L'Homme de 45 n'est pas celui de 58 et encore moins celui de 62. La position de de Gaulle après son retour au pouvoir en faveur de l'indépendance de l'Algérie ne lui inspire aucune sympathie de la part de Montagnon. L'amiral d'Argenlieu et le général Leclerc en prennent pour leur grade car ils restent des hommes du Général. le résultat fait que le livre a ses biais. La responsabilité du désastre de 1954, à travers la conclusion des accords de Genève, échoit sur le seul dos d'un système politico-militaire sans succès. En vérité, cette défaite majeure tient aussi à un système colonial contesté pour ses profondes inégalités, à un endoctrinement rapide et radical d'une partie de la population par les nationalistes et une incapacité française à prendre des décisions fortes au moment clé.
Comme toute critique éclairée, il est bon de signaler que l'auteur n'est pas avare de critique sur les inégalités profondes qui traversent la société coloniale et qui expliquent en partie les ressorts du nationalisme vietnamien, comme il le fait dans la dernière partie du chapitre 18. Loin d'être condescendant sur les qualités et la détermination des nationalistes communistes viet-minh, Montagnon a des expressions malheureuses, page 250, par exemple : "Comme à Pearl Harbor le fourbe asiate frappe sans préavis". J'ai bondi de ma chaise. Ce genre de propos raciste n'a pas sa place dans un livre d'histoire. C'est un cas très isolé, mais on peut regretter que ce trait ait échappé de sa plume, et malheureusement, encore plus, de son esprit.
Peut mieux faire.