Je savais d'entrée que j'allais aimer ce roman. Je m'en doutais depuis ma lecture de
la Vallée arc-en-ciel, qui m'avait déjà serré le coeur en annonçant, par le biais des pressentiments de Walter, le fils poète d'Anne Shirley, ce qui allait arriver : la 1ère Guerre Mondiale, l'attente, l'angoisse, le deuil. En revanche, si je m'attendais à le trouver poignant (au point de verser quelques larmes à la fin), je ne m'attendais pas à le trouver aussi drôle ni aussi moderne.
L'humour, d'abord. L'autrice a choisi de raconter cette histoire à travers les yeux d'une naïve jeune fille de 15 ans. Alors, certes, cela lui permet de raconter la perte de l'innocence et le choc des désillusions, comme si Rilla symbolisait à elle seule les aspirations de ce 20e siècle tout neuf ou presque. Mais ça lui permet aussi de la placer dans des situations cocasses qui prouvent que Rilla est bien la digne fille de sa mère. (Je pense notamment ici à l'histoire de la soupière ou à une certaine cascade lors d'un voyage en train.)
Et puis, ce ne serait pas un roman de
Lucy Maud Montgomery si celle-ci ne s'amusait pas à dépeindre, sur un ton mordant mais non dénué de tendresse, le caractère et les petites manies de ses personnages, notamment celles de Susan, la gouvernante d'Ingleside, ou de sa cousine Sophia, ces deux vieilles dames respectables n'aimant rien tant que donner leur avis sur tout, y compris la politique et la conduite de la guerre.
Cet aspect-là m'a paru savoureux, et j'ai ri en voyant combien Susan critique le président américain
Woodrow Wilson qui s'évertue à écrire d'innombrables tribunes pour justifier son refus, jusqu'en 1917, d'entrer en guerre. (J'avoue, cette histoire de tribune m'a fait penser aux innombrables numéros verts mis en place par notre gouvernement actuel : « Regardez, on ne fait rien mais on essaie de vous faire croire le contraire. »)
Mais ce qui m'a vraiment étonnée dans cette histoire, c'est que tout le monde vit suspendu au rythme des nouvelles du front. Forcément, elles arrivent avec quelques jours de retard, on est en 14-18, l'immédiateté de l'information, ça n'est pas encore pour tout de suite. Mais, quand même, à les voir éplucher le moindre article de presse, j'avais l'impression d'assister aux prémices de notre addiction aux chaînes d'infos en continu. La guerre est à la fois très loin des habitants d'Ingleside et en même temps omniprésente dans leur quotidien – un peu comme les guerres d'aujourd'hui ne sont jamais très loin de notre conscience et de nos pensées.
Il m'est souvent arrivé ces derniers temps, au vu des déclarations belliqueuses de certains, de penser qu'on ne met jamais des enfants au monde pour les envoyer un jour à la guerre. La paix peut être trompeuse et nous donner un faux sentiment de sécurité que la folie des hommes s'applique à faire voler en éclats. Vu sous cet angle, c'est toute l'histoire d'Anne qui prend une dimension encore plus poignante car combien de femmes à l'âme poétique et rêveuse comme cette héroïne de fiction ont vu – et voient encore – une réalité bien sombre les rattraper et dévorer leurs enfants ?
Vous l'aurez compris, Rilla, ma Rilla m'a donné matière à réfléchir tout en venant titiller certaines craintes qui rôdent au fond de mon esprit. Il m'a donné aussi une vision extrêmement moderne de la 1ère Guerre Mondiale, comme jamais encore un livre, un film ou même mes cours d'histoire n'avaient réussi à le faire. Rédigé en 1921, on pourrait croire qu'il parle de nous tant le comportement de ces gens nous ressemble. Plus de cent ans nous sépare mais, franchement, rien n'a changé, et j'ai trouvé ça hyper intéressant.
Et puis, comme tous les romans de la série Anne Shirley, Rilla, ma Rilla est plein de chaleur, de tendresse et, malgré tout, de lumière. Je l'ai refermé le coeur un peu douloureux, certes, mais le sourire aux lèvres, en me disant qu'on ne peut pas toujours fuir la réalité dans les livres, mais on peut quand même y trouver de la résilience, de l'humour et beaucoup, beaucoup d'humanité.
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