Les Nouvelles Sentinelles

Voilà un livre que j'ai lu suite à un envoi de l'autrice. Je tiens à la préciser, même si au fond cela n'aura pas spécialement d'incidence sur ma critique. Les Nouvelles Sentinelles est un ouvrage curieux, un livre caméléon aux allures de fables, de contes, de témoignages, d'autofiction, d'analyse sociologique, à la fois rien de tout cela et tout cela à la fois, puisqu'il s'agit d'un recueil hétéroclite de textes de genre fort divers qui ont, pour point commun cependant, de parler de notre société. Les grands sujets contemporains sont abordés, notamment l'écologie, la place des femmes (les femmes apparaissent souvent dans l'ouvrage et bien sûr, la couleur est annoncée dès la couverture), sous des formes très variées mais toujours avec une réelle pertinence, notamment car l'autrice semble vraiment observatrice du monde, et souvent, parle également du sien (entre autres lorsqu'il est question du monde du travail). Il semblerait, d'après cette dernière, que son aspiration première ait été Les Caractères de la Bruyère, et cela fait plaisir de voir un ouvrage placé sous le signe de cet auteur à une époque où il nous manque sans doute un La Bruyère pour parler d'elle.
La plume est de qualité, le verbe parfois acéré, le regard très honnête et sans partialité abusive, même si l'autrice se place clairement dans une position peu favorable au wokisme et à ses tendances extrémistes actuelles.
De manière générale, on sent une personne lucide derrière la plume (ou le clavier!) qui avec honnêteté livre son regard sur notre monde, regard qui sera sûrement partagé puisqu'il est souvent celui du bon sens. Puisque l'écriture est là et que le recueil n'est pas très long, ce sera, pour qui s'intéresse au sujet, un moment de lecture plaisant assurément

Un ouvrage singulier - dans la tradition des Caractères de la Bruyère bien entendu. J'y trouve une belle aisance dans l'aller-retour entre l'espace public des gratte-ciel dans la brume et l'espace intime de la sexualité. C'est peut-être enfoncer une porte ouverte, une banalité pour qui a l'habitude des "études qualitatives" (l'un des métiers de l'autrice)… mais en fait , même dans ces métiers, j'ai vu/entendu très très peu de gens capables de poser les deux sur le même niveau, avec le même registre de langage, pour tricoter une compréhension du monde qui embrasse micro et macro, psycho et social.
Une mention spéciale pour la "mamie hallucinée" en bas de page 68 (et j'ai lu le lendemain une histoire similaire sur le compte twitter du psychiatre Hugo Baup, comment font les algorithmes pour deviner ce que je lis ?). Et très grand bravo pour "l'enfant et la nuit électrique". C'est très bien vu et senti, je crois ! Je suis très étonné que ce "motif" (pour parler avec le langage de nos vieux cours de français) soit si absent de la littérature, des reportages… Est-ce que cela fait partie des expériences enfantines dont on ne garde qu'une vague honte, comme une dissonance cognitive à résorber ? "Quelle nuit étrange… L'enfant a mal aux yeux". Une ou un cinéaste pourrait en faire le point de départ d'un film. Tarkovski consacre, à cette route dans la nuit électrique, les longues premières minutes de "Solaris", que j'avasi trouvées magnétiques, mais c'est avec un regard de jeune homme qu'il la découvre ; tandis que cette nouvelle est à hauteur d'enfant. Chapeau !
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