Je sais, l'auteur est japonais comme japonais sont ses personnages. Je sais, l'action se passe à Tokyo ou dans ses environs et de nos jours apparemment (on y parle de portable), pourtant, et c'est une des belles et grandes vertus de la lecture que de laisser vagabonder l'imagination, j'ai inconsciemment décidé de convoquer le cinéma italien des années 50/60/70 et de revisiter ce recueil de nouvelles nippones en un film à sketches du Cinecita du temps de sa splendeur, pourquoi pas en noir et blanc, l'écriture est si f
luide, romanesque et littéraire à la fois, que toutes les fugues sont permises. Si nipponne est l'écriture, friponne sera ma lecture. Mon esprit est mi fugues mi raison.
- Confessions (auto)mobiles :
La première nouvelle transforme
une vieille SAAB jaune (j'imagine une Fiat 500) en confessionnal (tiens, je suis à Rome). Contraint par sa vision rendue défaillante à cause de l'âge, un célèbre acteur de théâtre embauche une jeune fille un peu ‘mutique' comme chauffeur (malgré son aversion pour la conduite féminine). le dialogue tarde à s'instaurer, pas le même milieu, pas la même génération, des caractères aux antipodes. Quand il s'établit, l'homme s'abandonne et laisse son histoire de veuf récent résonner (raisonner) dans l'habitacle. Un huis clos mobile et introspectif, distillé au goutte à goutte et nous sommes perfusés de cet amour sobre et intense ou l'adultère subi laisse planer une espèce de possible action tordue chez un homme plutôt rigide et droit. Une quête rendu sans réponse par le veuvage, une forme de doute rendu absolu, la femme disparue hantant son mari par l'absence de sens donné à ses actes. Un confessionnal à roulettes ou émerge la question : que sommeille en nous quand le marchand de SAAB est passé ?
- L'étau du prêt ambigu :
Un contrat immoral : Comment aurais-je accueilli cette proposition, si dans ma jeunesse, vers 20 ans (ou même plus tard), mon meilleur ami m'avait demandé de sortir avec sa petite amie pour être certain, qu'en son absence, celle-ci n'aille pas vers d'autres aventures, préférant la savoir dans mes bras familiers plutôt que dans d'autres, inconnus. Forcément, telle proposition laissera des traces indélébiles chez notre personnage qui se révèleront quand, 16 ans plus tard, le hasard remettra en scène les mêmes protagonistes. Une digression sur le temps qui passe et l'empreinte laissée par nos expériences de jeunesse comme par les souvenirs musicaux qui s'y rattachent.
Je ne l'ai pas dit, mais ce recueil de nouvelles a pour point commun entre elles de relater des vies d'hommes seuls, sans femmes comme le précise le titre. La femme est ACTUELLEMENT et physiquement absente de leur vie mais est cependant le centre de leurs préoccupations.
- L'anorexie sentimentale :
Après le nouveau veuf et le jeune célibataire vient le célibataire dit endurci, ici par choix, qui multiplie les aventures amoureuses à la condition qu'elles aient la particularité de ne le jamais mettre en situation délicate. Pas d'attaches, pas d'ancrage. Chirurgien esthétique de renom, ce quinquagénaire ne se lie qu'à des femmes mariées ou en passe de l'être, amplement satisfait ne n'être que l'amant qu'elles sortent, multiples, de temps en temps, Niveau zéro côté sentiments, affect nul. Il ne joint l'agréable qu'à l'agréable. On dîne, on sort, on couche, point. Mais si cela est bien établi, géré, planifié même par un gay secrétaire, qu'advient-il quand Éros s'invite dans la partie fine comme un grain de sable dans un engrenage extrêmement bien lubrifié. L'émergence tardive de sentiments amoureux peut-elle faire vaciller un édifice pourtant prévu résister à toute épreuve ? L'amour, parfois qualifié de sirupeux, s'aurait-il se montrer sirop typhon à consommer jusqu'hallalie. Une espèce de conte à la
Maupassant qui, quelque part, se serait trompé de genre, la femme ayant finalement damné le pion à cet homme englué dans ses certitudes et qui, pourtant, finira par se laisser d'amour mourir.
- Mode Lamproie :
L'homme sans femme suivant fait plus figure d'élément du décors qu'il n'occupe le centre de l'histoire ou le devant de la scène, vampirisé par celle qui va prendre toute la lumière. On imagine en
lui un handicap (dont il n'est pas fait état avec précision) qui suppose un confinement, les tâches domestiques étant déléguées à une infirmière/travailleuse sociale qui intègre également des prestations sexuelles dans ses missions. Par une habile pirouette, cette nouvelle diffère des précédentes en braquant son projecteur, non pas sur l'homme donc, mais sur cette femme qui complète son passage à domicile en
lui racontant des histoires, réelles ou fantasmées, et là, intervient un nouvel homme sans femme, un lycéen, objet de l'érotomanie juvénile de la conteuse qui se souvient, de surcroît, avoir été une lamproie dans une autre vie. Cette idée de lamproie, quasi invisible, tapie et ventousée au fond des étangs mais susceptible de dévorer tout poisson passant à sa portée n'est-elle pas son propre autoportrait, elle dont les histoires captivantes vont finalement vampiriser son auditeur et
lui voler la vedette, telle l'amante religieuse ?
- le rade des âmes en rade.
Comment, de commercial en chaussures de sport hyper-techniques vient-on à se reconvertir pour ouvrir un bar où s'exprimeront de mythiques disques de jazz ? En divorçant après avoir surpris sa femme chevauchant allègrement son meilleur ami ! Et ce bar, cet espace, ce lieu devient la grotte, le refuge, l'ancrage où d'autres fragiles embarcations en perdition viendront s'amarrer, le rade des âmes en rade. Mais quand la ligne de flottaison est submergée, est-il vraiment possible de redémarrer une existence, de se remettre à flot ? Nos démons ne sauront-ils pas refaire surface pour nous ré-engloutir une nouvelle fois et sous quelle forme ?
- Envie de faire Kafka :
Mais qui suis-je, d'où viens-je, ou cours-je, telles sont les questions que se pose Samsa en se réveillant seul et nu, sur ce matelas nu, dans cette pièce nue, dans cette enveloppe charnelle nue de mémoire et de carapace, surpris de se retrouver dans…un corps humain et découvrant la douloureuse sensation de faim. Il aurait préféré être…un poisson ou un tournesol. Mais quelles sont ces sensations qui secouent ce corps dont je ne sais rien, que signifient ces mots que j'entends pour la première fois et, surtout, pourquoi étais-je enfermé dans cette chambre rendue volontairement borgne ? Kafkaïen ! Une métamorphose en cours...de compréhension
-Une licorne dans l'ascenseur
Un homme reçoit un appel téléphonique anonyme à une heure du matin
lui annonçant le suicide d'une ancienne maîtresse et…l'auteur part en vrille. Si les autres nouvelles ont su m'intéresser, par leur histoire, leur style, à minima par leur écriture, celle-ci me laisse pantois, interdit, un OLNI, Objet Littéraire Non Identifié. Un blouguiboulga foutraque sans sens qui met un point final interrogateur à une lecture qui m'avait pourtant charmé. Drôle de fin pour un recueil ! Un home sans flamme.