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EAN : 9782251441085
438 pages
Les Belles Lettres (15/12/2002)
4.36/5   11 notes
Résumé :


Sujets traités ou maltraités: la culture, le mariage, l'érotisme, le roman aujourd'hui, l'hôpital, les avant-gardes, le sport, les drogues, les jeunes, la politique de la santé, les corps féminins, Disneyland, le nouveau monde vertueux, les artistes contemporains, le Père Noël, le catholicisme, le Bicentenaire de la Révolution, les festivités de l’an 2000, le pacifisme, la télévision, les Louveteaux de la Vigilance, Mitterrand, etc.

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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'Histoire s'observe dans la littérature qu'elle produit.
Ses métamorphoses ne modèlent pas seulement la société mais aussi les discours. Les prodromes de notre époque se repèrent ainsi dans la littérature qui nous précède – et les symptômes de sa folie éclatent, pour qui sait les repérer, dans notre façon d'articuler le monde.
Telle est la dissection qu'opère ce recueil d'exorcismes spirituels.


Nous en relevons des tranches :


« La littérature à dormir debout »
Quel avenir réserver au roman lorsque le sens du comique menace de froisser les nouvelles déesses égotiquement tragiques de chacun ?
« le monde était fait, croyait Mallarmé, pour aboutir à un livre ; les livres, désormais, sont publiés pour aboutir à la torpeur. »


« Rabelais à Rabelaisland ».
Du rabais sur le père Rabelais, de commémoration en trahison.
« le principe de commémoration est aussi une machine à remonter le temps, un engin de morale-fiction pour des safaris interminables à travers les entrailles de l'Histoire. Est-il bon Rabelais ? Est-il méchant ? C'est tout ce qui nous passionne, dans le fond des choses : la traque du Mal anachronique. »


« Sade, sadisme ? »
Ou la récupération du sadisme par les fonctionnaires hébétés du stupre morne de leur existence.
« le plus touchant, ce sont encore les couples. Il y en a de plus en plus, dit-on, qui s'organisent de petites mises en scènes perverses à base de punitions, simulacres de flagellations, talons aiguilles, corsets lacés et ainsi de suite. Chez eux ! Ô contradiction dans les termes ! At home ! Derrière des façades quiètes, dans des « villes nouvelles », et sous la protection des saints noeuds du mariage ! »


« L'homme qui rime »
Vous n'avez jamais pu saquer Victor Hugo et ne comprenez pas que l'insensibilité moderne trouve un malheureux sursaut de vie en son nom ? Mais c'est bien sûr : Hugo n'est autant béni que parce que, du passé, il semble approuver la dégénérescence moderne dans laquelle nous trempons nos corps vermifugés.
« Ce qui est également curieux, c'est que la célébration de Hugo est d'autant plus intense qu'il ne fait, au fond, ni chaud ni froid, ça se sent, à la plupart de ceux qui le commémorent. Pour le public, on prend l'allure célébrante et on se dépêche d'en dire le plus grand bien, évidemment. »


« Beaumarchais ou la révolution taillée en pièces »
Et si nous jetions un coup d'oeil à la pièce De Beaumarchais qui, pour avoir été si crument et naïvement représentative de son époque, n'a pas été tolérée par les fabricants d'opinions ?
« En exposant au théâtre, et en tout petit, à l'échelle de la famille Almaviva, ce qui se met en scène jour après jour dans les assemblées, les clubs, les tribunaux, Beaumarchais en rend visible, et par conséquent accablant, l'extraordinaire ridicule. Il sort celui-ci de l'inconscient, donc il le ruine alors qu'il veut en faire l'éloge. »


« Procope et son double »
Vous ne connaissez pas ce mec ? Rien d'étonnant. Il a été évincé de la mémoire parce que son oeuvre représentait un défaut majeur : avoir su réhabiliter à la fois la vérité de l'opprimé et la vérité de l'oppresseur. Certains appellent cela « incohérence ». Une telle oeuvre ne peut en effet servir les mobiles politiques les plus médiocres des temps.
« Voilà donc un de ces écrivains rares, en quelque sorte dédoublés, qui, ayant vécu simultanément sur plusieurs niveaux incompatibles, ayant nourri des pensées secrètes et menti pour survivre, laissent en disparaissant une oeuvre scandaleuse aux yeux du sens commun parce que contradictoire. »


« Les trois villes »
C'est-à-dire Lourdes, Rome et Paris, dont traite Zola dans sa trilogie finale. Représentatif de tout un siècle (le 19e) qui ne vit que pour préparer le suivant, Zola acclame un avenir mirifique dont la nouvelle loi scientifique saurait abolir l'ancienne foi catholique. Tout lourdaud qu'il est, Zola ne semble à aucun instant réaliser que ce tressautement n'est que le passage d'un dogme à l'autre, ne comprenant finalement rien à la perpétuelle connerie humaine, puisqu'il en est le porte-parole.
« Comme toute pensée simple, la vision de Zola est morale immédiatement. »


« L'avant-garde se rend mais ne se meurt pas »
L'histoire de l'avant-garde nous est contée, érigée comme amnésie générale, et préparant l'échec de tous les millésimes annoncés par les visionnaires aveugles du 19e siècle.
« Dans ces conditions, se vouloir encore aujourd'hui d'avant-garde, est-ce bien vraiment ce qu'on imagine ? Est-ce que ça ne consiste pas plutôt à être victime de la propagande d'amnésie qu'est devenu le monde lui-même ? C'est en ce sens que je dirai qu'il faut peut-être apprendre à résister à la tentation de l'avant-garde devenue réflexe. »


Le 19e siècle et ses rêves progressistes n'aurait-il été qu'un siècle de nihilisme préparatoire ? Ne se définissant pas autrement qu'à travers ce qu'il attend de ses descendants, n'a-t-il pas fomenté, sans le deviner, les événements qui en constitueraient, au siècle suivant, la réponse à l'envers ? le 19e siècle a fait peser sur ses descendants, natifs de l'heureux 20e siècle en germination, des rêves moribonds. Certains ont tenté de s'acquitter de cette dette avec rage, dépassant en termes de prévisions les présages des euphoriques du 19e siècle. Conçus dans une éjaculation idéologique dont le jus glaireux est absorbé par le mouchoir hypocrite des manifestes, les hommes du 20e siècle durent composer entre l'inconscience des raisons profondes qui présidèrent à l'institution de la dictature progressiste, et la préconscience du viol dont leur destin serait désormais marqué.


« Nous avons été, j'ai le plaisir de vous le rappeler, le dieu à venir de nos arrière-grands-parents, leur point de mire messianique. le salut du monde a été suspendu à notre venue et, bien entendu, pour ne décevoir personne, nous sommes venus. Malheureusement nos arrière-grands-parents n'étaient déjà plus là pour juger si nous étions bien ceux qu'ils attendaient, et si l'âge des grands massacres donnait toute satisfaction à leurs espoirs exaltés. Mais enfin nous sommes venus, c'était sans doute que les Temps étaient accomplis, il ne nous reste plus qu'à nous retourner sur nous-mêmes et à commémorer, désenchantés, l'ère où on nous attendait, l'âge où on attendait encore quelque chose. »


La seconde moitié du 20e siècle s'instaura comme une crainte du retour de ce viol idéologique. Elle ne put contrôler ses frayeurs que dans la répétition inconsciente : le progrès raté du début du 20e siècle rêvera d'un progrès maîtrisé pour la fin du 20e siècle, et pour les temps qui suivront, s'il en reste. Règne de la transparence (Enfin raide), mythe de la fin de l'Histoire (Le bicentenaire est terminé), interdiction de jouir en dehors des spectacles organisés par l'état (La colonie distractionnaire, Ode à la télévision, Mes gitanes à l'heure européenne – et, pourrait-on ajouter désormais : « le covid comme thérapie cocooning connectée »), terreur de l'hygiénisme (Thanatomachie, Les olympiades de la terreur, le médecin malgré moi), dérégulation judiciaire masturbatoire (l'envie du pénal), festivités obligatoires (Et pourquoi des artistes en temps de culture ?).


Utile à la lecture préliminaire ou conjointe du « 19e siècle à travers les âges », nécessaire pour tout le reste, ce premier volume des Exorcismes spirituels dissèque les textes les plus symptomatiques des deux derniers siècles. Par la dérision, et dans une vitupération savamment dosée, Muray insuffle à ces discours la part de négativité qui leur manque. Il transforme les idéologies du passé en castrats afin qu'elles ne viennent pas se faufiler, dans la nuit de l'intelligence, plantant leur mât ityphallique dans les consciences vierges et désespérément abandonnées aux nihilismes de tous genres.

Lien : https://colimasson.blogspot...
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Les textes réunis ici sont parus entre 1978 et 1995 dans divers journaux, dont le fameux "Idiot International". On s'intéressera particulièrement aux essais littéraires brillants qui touchent Procope, auteur grec du VI°s, autant que Guy Debord. L'éclairage de la littérature, loin d'enfermer la pensée de Muray dans un domaine spécialisé et circonscrit, lui donne les outils nécessaires pour déchiffrer ce que devient notre monde, surtout la notion de roman, genre critique et école de lucidité dont le création, aujourd'hui, est devenue totalement impossible à son avis. La littérature sort de sa tour d'ivoire structuraliste et formaliste pour se colleter avec la vie, ce qui ne plaît pas à tout le monde.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
(Zola, "Rome", l'abbé Froment au Vatican).
Il aura assisté à des cérémonies monstres. Il se sera senti insulté dans son humanité souffrante par la pompe romaine incendiée de draperies. L'un des traits du ressentiment n'est-il pas d'ailleurs l'impuissance à admirer ? Une inhibition intestinale devant le Beau ? Un engorgement vengeur ? Sans doute, sans doute, nous dit Zola devant toutes ces merveilles, sans doute peut-on trouver cela magnifique. Mais que de sang ! Que d'obscurantisme ! Que d'âges de ténèbres ! Bref, il est incapable de jouir de ce qu'on appelle l'art et qui dévalorise même l'injustice et la misère. Il y a beaucoup trop à faire.
p. 168
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Ça pourrait être cela, en fin de compte, le propre de la critique : repérer ce qui tend à rendre le roman impossible. Il y a donc la poétification de la réalité. Et aussi, en vrac : l’interdiction de se moquer ou de caricaturer (tout le monde est respectable) ; la victimocratie ; le primat des larmes et de l’émotion, mélange radioactif de résidus de gauchisme et de puritanisme ; le terrorisme du cœur ; le chantage au moi comme authenticité, comme preuve (et finalement comme œuvre : « Il me suffit d’exhiber mes blessures et d’appeler ça de l’art. reconnaissez mes blessures comme de l’art et taisez-vous ! ») ; le rôle épurateur des émissions dites littéraires du type « Apostrophes », leur longue mission de nettoyage éthique et de formation de nouvelles générations d’ « auteurs » consensuels ; la confusion organisée des sexes (alors qu’un bon romancier est toujours un très ferme différenciateur des sexes) ; la propagande homophile acceptée lâchement comme style de vie général (« On est tous un peu homos ») ; le devenir nursery-monde du monde, l’infantilisation généralisée (devant « l’intérêt de l’enfant », qui oserait ne pas s’agenouiller ?) ; la vitesse médiatique, la sinistre vitesse liquidatrice, en opposition avec la lenteur nécessaire aux arts (à leur profond instinct de conservation) ; le modèle du racisme à toutes les sauces (invention du « sexisme » sur le moule du racisme, fabrication plus récente du « spécisme », crime consistant à voir une distinction entre les espèces) ; le refus des gens eux-mêmes, des simples gens, de n’être que des gens, leur prétention à passer pour le gratin, pour le dessus du panier, pour l’élite, leur désir d’être pris pour des people, comme on dit dans les magazines people justement, donc à perdre toute consistance romanesque […] ; la culture englobant les différentes disciplines dites artistiques et les réorientant vers une finalité résolument touristique, à l’intérieur du nouvel ordre social lui-même touristique (on vient, on paie, on regarde, on photographie, on camescopise, on approuve, on s’évacue) ; le tourisme lui-même, bien sûr, forme ultime et destructrice de la transparence planétaire, avec son choix de sites, ses cadrages, ses ravages et son accompagnement de pâtisseries romanesques luberonnaises ou vénitiennes qui ne renseignent que sur l’endroit où les auteurs ont passé leurs derniers congés payés. Et il faudrait encore ajouter la prévention généralisée, la Sécurité sociale (pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la survie triomphant de la vie), la politique des sondages en lutte contre toute attitude anti-communautaire, contre toute échappée hors des « valeurs » de la classe moyenne, contre toute imprévisibilité (donc contre l’essence du romanesque). Et ainsi de suite.
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"L'avant-garde rend mais ne se meurt pas" (Conférence de 1980 : l'avant-garde est logiquement antisémite).
Seulement, plus radical que personne, il [Céline] va jusqu'au bout de la logique du programme qui consiste à entrer en guerre contre l'immémorial. Et justement l'immémorial, il le rencontre, il le nomme, il l'affronte. Car qu'y a-t-il de plus immémorial que les Juifs ? Qu'est-ce qui constitue plus la mémoire de l'espèce que la Bible ? Poussé par cette passion du nouveau, Céline annonce qu'il faut supprimer l'ancien, et pas seulement l'ancien à courte vue, ce que nous pouvons, nous, halluciner comme ancien, mais le véritable ancien de la communauté humaine, l'irrémédiable et définitif "testament ancien" du genre humain. Comme quoi je ne pense pas du tout que l'antisémitisme de Céline soit un scandale par rapport à son style révolutionnaire ; c'est au contraire une conséquence de ce style en tant que la condition de son développement fut, un moment, la perte de toute mémoire. Ce n'est pas /en dépit/ de sa novation considérable d'écriture que Céline est antisémite, mais, en un sens particulier, /à cause/ de cette novation. Très remarquablement, là, dans une période dramatique de l'Histoire, l'avant-garde a rencontré ce qu'il faut bien appeler l'avant-garde d'Etat, l'Etat comme avant-garde en lutte contre le vieux monde.
p. 213
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[…] je crois, pour conclure, qu’un des buts essentiels du critique de romans devrait consister à se créer un bagage de connaissances de plus en plus précises concernant ce qui est bon, et plus encore ce qui est mauvais, pour l’art romanesque. La connaissance de l’ennemi, la science de l’ennemi des romans, c’est-à-dire de presque tout ce qui se met en place, aujourd’hui, sous nos yeux […], voilà ce qui pourrait être le propre de la critique, d’une critique faite dans l’intérêt de l’art romanesque, et non dans le dessein de s’auto-célébrer, de justifier sa propre existence ou carrément de nuire, comme les deux charlatanismes critiques, l’universitaire et le médiatique, dont je parlais en commençant.
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[…] on peut considérer Comte-Sponville, avec son Petit traité des grandes vertus, comme celui qui se charge de penser magistralement cette insurrection des bénitiers romanesques, ce triomphe de la bonne parole caoutchouteuse, cet impérialisme sucré de la vision « United colors », et qui lui bricole sa théorie faite de moralisme artisanal, de fondamentalisme doux, de fanatisme exquis de la Transparence. La bondieuserie manquait de bras, elle en a trouvé.
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Philipe Muray n'a pas eu droit de son vivant à l'attention que son talent aurait justifiée. Mais un comédien a contribué à le venger. Savez-vous de qui il s'agit ?
« Exorcismes spirituels » de Philippe Muray, c'est à lire en poche chez Tempus.
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