Nous évoluions dans deux mondes différents. J'étais un homme de papier ; elle était une femme digitale. Je gagnais ma vie en inventant des histoires ; elle gagnait la sienne en mettant au point des microprocesseurs aussi fins que les cheveux d'un nourrisson. J'étais le genre de type qui avait étudié le grec au lycée, qui aimait la poésie d'Aragon et écrivait des lettres d'amour au stylo plume. Elle était le genre de fille ultra-connectée qui était chez elle dans le monde froid et sans frontières des hubs d'aéroport.
"_Elise ne parvenait plus à vivre avec ça, affirma-t-il, les poings serrés. Le doute, tu sais ? C'est pire que tout. C'est un oison pernicieux qui peut finir par avoir ta peau."
- Cette haine des hommes, justement : ça vient d'où ?
- Ce n'est pas de la haine. Simplement une volonté de ne pas être victime.
- Victime de quoi ?
- Vous êtes quelqu'un de cultivé, Raphaël. Ce n'est pas à moi de vous expliquer que, dans toutes les sociétés humaines et à toutes les époques, s'exerce une domination des hommes sur les femmes. Une prétendue supériorité tellement ancrée dans les esprits qu'elle apparaît comme naturelle et évidente. Et si vous ajoutez à cela que nous sommes des femmes noires...
- Mais tous les hommes ne sont pas comme ça...
Elle me regarda comme si je ne comprenais rien à rien..
- Ce n'est pas une question individuelle, s'agaça-t-elle. C'est une question de reproduction sociale, une question de... Bon, laissez tomber : j'espère que vous êtes meilleur enquêteur que sociologue.
– Donc tu l’admets : tu as des secrets !
– Mais tout le monde a des secrets, Raphaël ! Et c’est très bien comme ça. Nos secrets nous définissent. Ils déterminent une partie de notre identité, de notre histoire, de notre mystère.
"On aime être ce qu'on n'est pas" a écrit Albert Cohen. Peut-être est-ce pour ça que l'on tombe parfois amoureux de personnes avec qui l'on ne partage rien. Peut-être ce désir de complémentarité, nous laisse-t-il espérer une transformation, une métamorphose.
Sabato avait sans doute raison : "La vérité est parfaite pour les mathématiques et la chimie, mais pas pour la vie."
Chapitre 21, 3e jour l'après - midi :
Vous le savez aussi bien que moi, avec internet, rien ne s'efface : l'homme a crée un monstre qu'il ne maîtrise plus.
(Marc).
La vie était une vraie salope. Lors de la distribution des cartes, elle servait à certains un jeu trop difficile à jouer.
Le flic s'agenouilla pour examiner les deux aérosols.
- Tu sais ce que c'est ?
- Je te présente Ebony & Ivory, dit-il d'un air soucieux.
- Noir et blanc. Comme le titre de la chanson de Paul McCartney et de Stevie Wonder ?
Il approuva de la tête.
- C'est une fabrication artisanale à base de détergent utilisés dans les hôpitaux. Un mélange qui efface complétement les traces ADN présentes sur une scène de crime. Un truc de pro. Le kit du parfait fantôme.
- Pourquoi deux sprays ?
Il désigna la bombe noire.
Ebony contient un détergent ultrapuissant qui va détruire quatre-vingt-dix-neuf pour cent des traces ADN.
Puis il pointa le spray blanc.
- Quant à Ivory, c'est un produit masquant capable de changer la structure des un pour cent restants. En gros, tu as devant toi la recette miracle permettant de dire à toutes les polices scientifiques du monde d'aller se faire foutre.
L'Etat de droit est une chimère. Depuis la nuit des temps, le seul droit qui existe, c'est le droit du plus fort.