Le nom des morts est un grand roman, pas seulement un roman inoubliable sur la guerre du Vietnam ou sur la guerre en général. C'est un livre sur la difficulté à survivre au traumatisme.
C'est donc un livre qui bouleversera et touchera profondément le lecteur, et dans lequel se reconnaîtront tous ceux qui ont vécu des tragédies dans leur vie.
Collé du début à la fin à son personnage survivant, le récit est d'abord remarquable par l'intimité profonde que l'auteur tisse entre le lecteur et Larry Markham.
Et aussi, par son habilité exceptionnelle à nous faire sentir le désespoir et la détresse de cet homme sans jamais devoir les nommer. À parvenir à nous émouvoir entre les lignes, au-delà de l'apparente apathie et des gestes quotidiens désincarnés et indifférents de cet être anesthésié qui parcourt sa vie en absent, comme un zombie. Cela aurait pu être lassant ou ennuyant à mourir.
Et c'est là précisément l'exploit, que seul un grand écrivain peut accomplir. Si le personnage est brisé et sans ressort, enfermé en lui-même, nous les lecteurs ressentons tout ce que lui-même peut à peine percevoir de ses propres émotions. Grâce en particulier aux efficaces retours dans le passé, qui nous plongent dans l'horreur indicible et insoutenable de la guerre et décrite avec brio, nous avons accès à ce qu'aucun de ses proches ne peut vraiment comprendre. Je ne peux imaginer un roman ou un livre sur la guerre du Vietnam qui puisse mieux nous faire comprendre l'isolement, l'incommunicabilité et le gouffre inévitable entre les vétérans et les civils, ou entre des victimes de traumatisme et ceux qui n'en sont pas.
Nous comprenons grâce à cette oeuvre que même entre vétérans, chacun est emmuré avec ses propres fantômes et ses propres cauchemars, et que les récits de guerre partagés ne procurent qu'un soulagement superficiel.
Il y a aussi dans ce livre un regard intéressant sur les proches de ces traumatisés, leur propre dégoût de la guerre et des horreurs qu'elle comporte les empêchant d'être vraiment présents et aidants. Il y a dans cet aspect aussi un parallèle à faire avec les personnes vivant un deuil. Passé un certain temps, tout le monde s'attend à ce qu'ils aient passé à autre chose, et ne peuvent plus ainsi être présents à ce que vit l'endeuillé.
Voilà donc ce qui en est pour le coeur du roman, mais ce qui en fait aussi un remarquable roman, ce sont les événements du récit, merveilleusement bien construit. D'abord, la lourdeur est allégée par une intrigue amoureuse qui apporte au personnage comme au lecteur un peu de lumière et de douceur. Ensuite une relation émouvante entre le père et son jeune fils qui apporte de la tendresse et humanise le personnage.
L'intelligence de l'écrivain est ici de nous présenter un être brisé par la guerre, mais qui n'en est pas moins fondamentalement un homme bon et aimant. La relation à son propre père ajoute également une autre dimension, lui qui a aussi connu la guerre et porte en lui ses propres traumatismes. Enfin, il y a l'intrigue policière, très habilement menée, et qui ne fait pas qu'ajouter un suspense au récit. En effet, le vétéran en cavale à la poursuite de Larry symbolise cette guerre qui le poursuit la nuit comme le jour, dans ces cauchemars comme dans ses relations. le vétéran fou symbolise cette violence qui rôde autour du personnage mais qu'il parvient à garder à distance malgré tout.
Comme vous le voyez, il s'agit d'un roman riche, avec d'excellents dialogues, des retours dans le passé qui s'imbriquent parfaitement au présent du récit, des personnages crédibles, forts, touchants.
Un grand roman définitivement marquant.