Des petits aux grands patrons, les prises de position varient considérablement et seule l’idée de « la liberté d’entreprendre » semble les réunir.
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Dans son nouveau livre, Michel Offerlé, sociologue au pays des patronats, s’intéresse aux modes de relations qu’entretiennent chefs d’entreprise et personnel politique. Petits, moyens ou grands patrons, chacun a son couloir de nage.
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Les patrons, dans leur grande majorité, se disent incompris et mal aimés. Comment peut-on écrire pour se faire comprendre d’eux ? Certains chefs d’entreprise, parmi les plus grands, affichent actuellement, en leur nom propre et en celui de leur entreprise, une bonne volonté réformatrice en faisant part de leur intention de réduire les inégalités, de préserver la planète, de prendre leurs responsabilités : la coalition Business for Inclusive Growth (dire B4IG) proclame « Milton Friedman, c’est fini », le programme des entretiens de Royaumont 2019 interroge : « Le capitalisme peut-il être responsable ? », le 6e sommet de l’économie de 2019 propose de « Réinitialiser le capitalisme ». Et les grandes entreprises s’affichent : « Quand Nexity s’engage pour le climat, c’est du concret », « Agissons pour la révolution de l’alimentation » (Danone), « Première banque mondiale sur l’environnement » (Société Générale), « Construire un monde résilient » (Axa), « Heudebert, croustillez avec une marque engagée », Vinci dit « faire œuvre utile » en associant son nom à la reconstitution de la Grotte Chauvet, et Fabrice, ingénieur en développement Java / Java EE, nous confie sur une pleine page du Monde : « Grâce à la Fondation Francis Bouygues, j’ai pu envisager mon avenir sereinement. » L’entreprise sera joyeuse, libérée, délibérée, altruiste, le capitalisme, responsable, patient, durable, réinitialisé, bienveillant, soutenable, un « conscious capitalism » et l’économie, circulaire, inclusive, empreinte de réciprocité, à la recherche du bien commun. Il n’est plus question d’accepter « le monde tel qu’il est ». Cet enthousiasme réformateur a été décuplé en contrepoint de la crise sanitaire, économique et sociale de 2020.
Comment écrire sur les patrons pour se faire comprendre de lecteurs et de collègues qui pensent savoir ce que sont et font les patrons, sans nul besoin des services d’un sociologue pour expliciter ce qui va de soi ? Les patrons ont suffisamment de canaux et de porte-parole sans qu’il soit besoin de leur donner encore la parole.
La sociologie serait d’abord une manière d’écouter ceux qui sont peu audibles dans les débats médiatiques de société et de donner voix à ceux qui n’en ont pas. On prendra le pari que la sociologie, c’est aussi rendre compte de toutes les parties du monde social, tenter de « vivre toutes les vies » comme l’écrivait Flaubert, « d’entrer dans la vie des autres » (Bourdieu, 1992) et se poser la question en toutes circonstances, comme le faisait Goffman : « Qu’est-ce qui se passe ici ? » (Goffman, 1991)
Nous allons donc nous demander Ce qu’un patron peut faire.
Il sera question des patrons dans toutes les acceptions du terme (les petits, les grands, les moyens, les hauts), les artisans, les chefs d’entreprise, les entrepreneurs, les managers, les dirigeants. Il s’agira de rendre de l’épaisseur et de la complexité aux mondes patronaux, trop souvent vus sous la focale du seul grand patronat et du néolibéralisme.
Il sera question de politique dans tous les sens du terme. Car la condition de patron est en elle-même une question politique en France. Car les gouvernants ont besoin d’afficher de bons résultats économiques et donc d’accorder une attention prioritaire à ce qui peut les faire fluctuer. Et parce que des patrons, sous des modalités différentes, directement ou indirectement, interviennent en politique en contribuant à la construction des problèmes publics, en intervenant dans la « vie de la Cité », développant un classwide business focus, en agissant par leurs défections et par leurs mobilisations (feutrées ou sonores), ou en imaginant d’autres manières de produire ou de diriger (ce qu’on appelle l' »entrepreneuriat engagé ») ; aussi parce que certains d’entre eux revendiquent de participer à la conquête et à l’exercice du pouvoir en tentant de « managérialiser » le métier politique.
Il s’agira de résoudre ainsi une triple énigme.
Ce livre entend répondre par l’enquête aux « énigmes » que nous avions levées : « Qu’est-ce qu’un patron peut faire ? », « Qu’est-ce que des patrons peuvent faire ? », « Qu’est-ce que les patrons peuvent faire ? », « Comment investissent-ils la et le politique ? ». Et en quoi cela est-il important pour comprendre empiriquement le capitalisme contemporain et les évidences patronales sur le monde social.
Parmi les multiples capteurs de l'opinion publique, à côté des sondages ou des manifestations, un millier de lettres sont écrites chaque jour au président de la République par l'intermédiaire de son service postal.
Les sociologues Michel Offerlé et Julien Fretel ont accédé au Service de la correspondance présidentielle pour mener l'enquête. Leur essai "Écrire au président : Enquête sur le guichet de l'Élysée" s'appuie sur la lecture de 10 000 de ces lettres adressées principalement à François Hollande, mais aussi à Nicolas Sarkozy ou Emmanuel Macron.
Ce mode épistolaire permet-il de se faire entendre des responsables politiques ? Que disent ces courriers de l'opinion publique ? Peuvent-ils nous en apprendre davantage que les sondages accusés de matraquer les esprits de chiffres encore très incertains à deux mois du premier tour ?
-Michel Offerlé est professeur émérite de sociologie du politique à l'ENS-Ulm
-Julien Fretel (La Découverte, 2021) est professeur de science politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
- Brice Teinturier est directeur général délégué d'Ipsos France.
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