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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
« le sens n'est pas très important. Ce qui l'est, c'est le récit caché au fond des mots ».

J'ai essayé, tout au long de ma lecture, de le faire remonter ce sens caché, de le capter, de le comprendre. J'ai tellement essayé que finalement ma lecture ne fut que ça : rechercher le message profond de l'auteure. Touchée sincèrement par certaines trouvailles littéraires poétiques de l'auteure japonaise, plume qui m'avait déjà séduite dans son livre « Les tendres plaintes », mais vraiment déconcertée par cette histoire. Et pourtant, je suis habituée aux histoires décalées, aux pas de côté, aux livres originaux. Mais la cristallisation n'a pas vraiment eu lieu, cherchant tout du long le sens caché sans parvenir à lâcher prise et à me laisser emportée par le récit. Observatrice seulement. le fond et la forme n'ont pas fusionné en moi pour en faire un récit captivant dans lequel l'un se fond dans l'autre au point de ne plus être intellectualisés.

Roman sur la disparition, sur l'adaptation, sur la résistance, sur l'inéluctabilité de certaines destinées, sur le rôle des souvenirs dans notre humanité, « Cristallisation secrète » avait tout pour me plaire. Sans parler de sa couverture, magnifique, et de son titre, envoutant.

Nous sommes sur une île, manifestement coupée du monde. Une jeune romancière assiste impuissante à la disparition progressive d'objets. Les matins où ces disparitions ont lieu, l'air semble vibrer autrement et il faut un petit moment aux habitants de l'île, alors aux aguets, pour comprendre ce qui a disparu. Chapeaux, bateaux, roses, oiseaux, calendriers, parfums, entre autres, disparaissent peu à peu. Pour la majorité des habitants, se produit un processus de disparition en eux-mêmes, les souvenirs liés à ces objets plongeant alors dans le marais noir de leur coeur et laissant en eux comme une cavité. Les gens se remplissent peu à peu de vide. Ils n'éprouvent plus rien par rapport à ces objets, ne savent plus comment ces objets s'appellent, n'ont plus les sensations liées comme leurs odeurs, leur beauté, leur émotion, leur magie, leur toucher. Après un petit temps d'adaptation, les habitants vont donc naturellement brûler les objets qu'ils ont en leur possession.
Nul émoi et nulle révolte donc car le besoin de l'objet a disparu et les souvenirs se sont effacés. Une minorité de personnes cependant ne subissent pas ces disparitions (cela semble provenir d'une explication génétique nous explique l'auteure) : ils gardent les souvenirs de ces objets. Ces « rebelles » sont traqués par la police secrète qui doit faire respecter les disparitions (on ne comprend pas trop pourquoi cette police est d'un tel autoritarisme d'ailleurs ; L'allégorie de ce régime totalitaire m'a semblé exagérée et surfait je dois avouer) pour être emmenés en un lieu mystérieux. Certains arrivent à se cacher des traqueurs de souvenirs.
La romancière va justement cacher, dans une pièce secrète, son éditeur, un certain R. qui tentera, en vain, de lui raviver des souvenirs d'objets, de remuer le marais noir enfoui en son coeur. « Mon coeur est devenu comme un ver à soie. Un ver à soie qui somnole dans son cocon », R. ne réussira pas à la libérer et à lui rendre sa légèreté de papillon.

« Les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.
– de quelle manière est-ce différent ? Questionnai-je en caressant mes ongles.
– Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le coeur en garde quelque chose. Un tremblement, une joie, une larme, vous voyez ? ».

J'ai beaucoup aimé la relation entre la narratrice et un vieux monsieur, ces deux là vont devenir très proches. Les relations avec les personnes âgées, dès lors que respect, tendresse, et sincérité sont exprimés à leur encontre, ont toujours le don de beaucoup m'émouvoir. J'ai été impressionnée par la disparition des roses dont les pétales recouvrent le fleuve saturant pendant quelques heures l'air de leurs effluves, et marquée par la disparition des livres donnant lieu à de grands feux, autodafés rappelant de tristes souvenirs. La narratrice semble se satisfaire de cette disparition alors même qu'elle est romancière. Je crois que sa nature placide m'a un peu gênée. Certes on sent qu'elle se pose plus de questions que les autres habitants, mais elle accepte aussi la disparition des romans avec beaucoup de facilité. Je n'ai pas été convaincue par cette acceptation si rapide.

Certains chapitres du livre sont dédiés à l'histoire que la romancière est en train d'écrire. Une histoire là encore sur le thème de la disparition progressive, sur la soumission, très impressionnante, dont la fin, tout comme la réalité, semble inéluctable. Elle s'insère avec subtilité au récit.

Questionnement sur l'adaptation de l'homme à toutes les situations même les plus extrêmes (étonnant de voir comment les gens s'adaptent naturellement à la disparition progressive de leur propre corps), sur la justesse de la révolte qui sort vainqueur de ce récit contrairement à la majorité qui suit aveuglément et fait confiance jusqu'à sa propre disparition, sur le rôle et l'importance d'entretenir les souvenirs, fondement même de notre humanité…la façon d'appréhender ce roman est multiple mais pas captivante j'ai trouvé. C'est un livre qui met mal à l'aise certes mais il n'arrive pas à être passionnant au point de nous faire oublier le message que veut distiller l'auteure.

Finalement, plus que le récit et le message de ce livre, c'est bien la plume de Yoko Ogawa qui m'a charmée. Elle sait rendre compte de sensations infimes, de sons, de perceptions, avec beaucoup d'élégance, de subtilité, d'imagination et de beauté.

« Aucun pétale n'était encore flétri. Bien au contraire, sans doute à cause de la fraîcheur de l'eau, ils paraissaient encore plus frais et brillants.
Et leur parfum, mélangé à la brume matinale qui flottait au-dessus de la rivière, était presque irrespirable. Il n'y avait que des pétales à perte de vue. En remontant mes mains, j'avais aperçu pendant un instant la surface de l'eau, mais d'autres pétales étaient aussitôt venus les recouvrir. On aurait dit qu'ils descendaient vers la mer, comme hypnotisés.
J'ai replongé dans le courant mes mains couvertes de pétales. Il y en avait de toutes sortes : au bord ondulant comme des fronces, à la couleur pâle ou foncée, d'autres qui étaient encore attachés au calice. Ceux-là s'accrochaient un moment au rebord de briques du lavoir, avant d'être entrainés à nouveau par le courant où on ne les distinguait plus des autres ».

Un livre original, superbement écrit, sur les effets insidieux de l'effacement des souvenirs (cette partie-là m'a beaucoup plu), sur les risques de suivre aveuglément les diktats d'un régime totalitaire (cet aspect-là m'a paru plus artificiel), avec lequel je suis restée quelque peu en retrait. M'est d'avis que la cristallisation secrète d'un livre c'est précisément de savoir distiller des messages sans même que le lecteur ne s'en rende compte. C'est justement ce que je reproche au livre. Subjuguée en revanche par une plume d'une belle élégance.
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La narratrice, dont les parents sont morts, vit sur une île où se passent des événements étranges. Au fil des jours, des choses disparaissent, les oiseaux, les roses ... quand ces choses disparaissent toute la population doit se débarrasser de celles qui sont en leur possession ; automatiquement ils oublient jusqu'à leurs existences et leurs fonctions sauf certaines personnes qui gardant tout en mémoire sont traquées par la police secrète, les chasseurs de mémoires. La narratrice, romancière, cachera son éditeur qui fait partie de ceux qui gardent la mémoire, ceux qui se souviennent, ceux qui n'oublient rien. Un roman étrange dans lequel l'auteure évoque les peurs provoquées par les régimes totalitaires et les effets insidieux d'effacement des souvenirs.
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Imaginez un monde où tout à coup, vous vous réveillez le matin, l'air est ‘plus rugueux', et des objets ont disparu. Les parfums, ou les roses, les oiseaux ou encore...quelle horreur ! les livres.

Eh bien, c'est ce qu'il se passe dans cette histoire inventée par la japonaise Yôko Ogawa. Histoire très bizarre, parce qu'il m'a fallu du temps pour comprendre, (enfin, c'est un grand mot !) ces « disparitions ». Est-ce à dire que les objets se volatilisent tout à coup ? Non ! En fait, les habitants de cette île, soudainement, ne ressentent plus rien face à ces choses. Et ils se sentent donc obligés de s'en débarrasser en les brûlant, en les jetant à l'eau...
Cela donne lieu donc à de grands autodafés, en ce qui concerne les livres notamment.
Manifestement, la majorité de la population se coule dans ce moule, y compris l'héroïne, qui est romancière ( !).
Mais certains refusent ! Et ils sont donc poursuivis et traqués par la police secrète : nous voici dans une allégorie d'un régime totalitaire. Si l'héroïne se laisse faire, obéit, elle n'en cache pas moins son éditeur chez elle, dans une chambre secrète.
Et les disparitions continuent, régulièrement...

Ce livre fait réfléchir, je ne peux dire qu'il soit extrêmement captivant, mais il met mal à l'aise.
D'abord, je me suis demandé comment je réagirais dans un régime pareil, où la population doit cesser de vivre par rapport au passé, sinon le souvenir des jours heureux la hanterait et la pousserait à se rebeller ; un régime totalitaire aussi marqué par la grisaille (ah oui, le printemps, aussi, a disparu ! ) et la difficulté de se débrouiller au quotidien.

Et puis on s'interroge sur la permanence des souvenirs, et donc sur la permanence du coeur. Si les souvenirs disparaissent, si toutes les choses auxquelles on tient s'en vont, parce qu'on est obligé de s'en débarrasser, est-ce qu'on en est moins humain ? La narratrice est perpétuellement angoissée par cette question. En voici d'ailleurs un extrait, lors d'un dialogue avec son éditeur, qui lui, refuse de se séparer des objets et donc des souvenirs :
« - Quelle impression cela fait de ne rien perdre de ce que l'on a au fond du coeur ?
- C'est une question difficile, me dit-il.
- Est-ce que cela ne serre pas le coeur, si fort qu'on en est mal à l'aise ?
- Non, il ne faut pas s'inquiéter de cela. le coeur n'a pas de contour, pas de fond non plus. C'est pourquoi il est capable d'accueillir n'importe quelle forme pouvant descendre à une profondeur infinie. C'est pareil pour les souvenirs, vous savez.
- Les choses qui ont disparu de l'île jusqu'à présent sont toutes restées complètement au fond de vous, n'est-ce pas ?
- Complètement, je ne sais pas. Parce que les souvenirs ne se contentent pas d'augmenter, ils changent avec le temps. Parfois certains disparaissent. Mais d'une manière fondamentalement différente de l'anéantissement qui vous tombe dessus à chaque disparition.
- de quelle manière est-ce différent ?
- Mes souvenirs ne sont jamais détruits définitivement comme s'ils avaient été déracinés. Même s'ils ont l'air d'avoir disparu, il en reste des réminiscences quelque part. Comme des petites graines. Si la pluie vient à tomber dessus, elles germent à nouveau. Et en plus, même si les souvenirs ne sont plus là, il arrive que le coeur en garde quelque chose. Un tremblement, une douleur, une joie, une larme. »

La narratrice sera-t-elle capable de ressentir ce tremblement, cette douleur, cette joie ? Je préfère ne rien dévoiler, car c'est la progression de son coeur qui est la trame de ce roman lent, profonde descente dans les abîmes de l'être humain sous l'emprise d'un pouvoir étrange et absolu.

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Le sujet était intéressant… la disparition d'objets du quotidien, ainsi que les êtres vivants tels que les oiseaux.
Le récit se déroule dans une île, je me suis parfois posés la question : est ce que les disparitions ne se passent que sur cette île ?

Parce que c'est étrange, du jour au lendemain un objet disparais : le parfum, les graines, les photographies… mais personnes ne réagis, à part quelques spécimens qui eux n'arrivent pas à oubliés… tous semblent se faire à l'idée même quand les romans disparaissent… surtout que le personnage principale est auteure mais rien… la fin est encore plus désopilante, plus étrange à la limite du grotesque… bien que tout se tiens…

je n'aime pas trop les dystopie, c'est peut-être pour cela que je n'ai pas trop accroché…

Un roman qui me laisse avec un sentiment d'inachevé… plein de questions, pas de réponses… ce livre va me laisser comme un effacement totale !

Bonne lecture !

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Je pensais laisser un peu tomber l'histoire, et les combats politiques avec ce livre, mais non, mes petites obsessions m'ont vite rattrapée ! Mais pas seulement, car ce roman va plus loin.
Un joli titre, une promesse d'exotisme avec un auteur japonais, je m'apprêtais à un petit moment de lecture agréable, d'autant que la critique fait l'éloge de cet auteur. Oui, mais….sous couvert d'une fable politique, se cache une réflexion pessimiste sur le caractère éphémère de toute chose et le côté inéluctable de l'oubli, quelle que soit la manière dont on peut s'y prendre ou lutter.
Dans un pays imaginaire, la narratrice qui est romancière, raconte la petite chronique d'un régime totalitaire qui exerce une tyrannie originale, en organisant la disparition progressive de toute chose, ainsi que l'amnésie progressive des citoyens, pour les choses disparues. Un régime de terreur avec sa police politique efficace traque tous ceux qui gardent la mémoire, pour les emmener on ne sait où. Organiser le rétrécissement de l'espace mental des gens qui deviennent des sortes de zombies indifférents à tout et qui assurent eux-mêmes la destruction des choses interdites, est à coup sûr un moyen de pouvoir et de domination. Un certain Kim, en Corée du Nord nous rappelle que dans la fiction il y a toujours un fond de vérité.
Dans « Cristallisation secrète », la vision du monde est résolument noire. Quand ce ne sont pas les autorités qui font disparaître les choses, c'est la nature qui s'en mêle, un tsunami achève de balayer une partie de ce monde infernal. La tentative désespérée d'enfermer l'éditeur dans une cave pour le sauver revient à le précipiter tout aussi sûrement dans une tombe, dans laquelle il se décompose lentement.
En fait, tout ce qui compte est menacé par l'oubli, la mémoire qui s'estompe avec le temps et la mort, nous sommes de frêles esquifs sur l'océan de la vie…On a beau se débattre....
L'auteur pousse jusqu'au bout son hypothèse de l'anéantissement, et on ne peut pas s'empêcher de lire pour voir jusqu'où elle peut aller, et ça met franchement mal à l'aise. D'autant que c'est raconté avec une sobriété clinique, avec le minimum d'émotions, avec très peu de noms, ni de personnes, ni de lieu, un R qui fait écho au K de Kafka, un autre auteur pas très optimiste.
C'est malgré tout, même si j'adhère difficilement au propos, un roman très riche, avec une très belle écriture qui laisse la place à plusieurs lectures et interprétations, personnelles ou politiques, toutes plus désespérantes les unes que les autres.
A lire quand tout va très bien, sinon il n'y a plus qu'à se jeter dans la Seine pour que l'oubli arrive plus vite !


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J'aime bien les oeuvres de Yôko Ogawa, leur atmosphère étrange, dépaysante dans un style poétique , mais je n'ai pas ressenti le même frisson de plaisir à la lecture de celle ci.

Sur une île , la narratrice , une jeune romancière subit comme la plupart des habitants la disparition de choses comme les roses, les oiseaux, non seulement ils disparaissent mais c'est surtout leur notion qui s'efface de la mémoire des hommes ... Une cavité dans le coeur qui ne se comble pas par le souvenir puisque celui ci n'existe plus .

Certains individus résistent , leur mémoire reste intacte mais ces gens sont forcés de rentrer dans la clandestinité car les soldats effaceurs de mémoire veillent et font des descentes chez ces dissidents qu'ils emmènent pour un lieu de détention inconnu dont ils ne reviennent pas .

On reconnait aisément plusieurs thèmes à cette histoire sous forme d'allégorie : le totalitarisme qui est la notion la plus évidente avec l'arrestation de ceux qui ne rentrent pas dans le moule , la manipulation des individus et puis le thème de la mémoire et du souvenir, cela fait penser à L'annulaire du même auteur où les gens faisaient mettre certains de leur souvenirs en éprouvette rangé dans de grands tiroirs par un professeur .

Ce qui m'a gêné dans cette histoire , c'est d'abord l'absence de réaction des personnes car en dehors des rares individus dont la mémoire reste entière, les autres se laissent faire dont l'héroïne : pas de lutte: ils acceptent même lorsque les livres eux aussi disparaissent et finissent dans un grand autodafé , notre jeune romancière n'a pas de sursaut !

J'ai eu aussi du mal à distinguer la vie réelle de celle que l'écrivain raconte dans son livre, les deux se mêlent comme deux reflets d'une même réalité ou du même rêve ou cauchemar, en l'occurence .

C'est un roman sombre qui remue au plus profond de soi sur sa force intérieure , sa capacité à résister , à s'indigner et qui interroge sur ses convictions intimes : jusqu'où est -on prêt à aller pour défendre ses idées ?
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Une île frappée par d'étranges disparitions. Des habitants qui perdent le souvenir des choses qui disparaissent : les oiseaux, les roses, les photos… Gare à ceux qui oublient… d'oublier ! Les traqueurs de souvenirs sévissent, avec leurs bottes lourdes, leur morgue et leur détermination que nul stratagème ne peut déjouer. La police secrète est partout et veille au moindre écart. Une jeune romancière essaie de résister, à sa manière, en cachant chez elle, dans une chambre secrète qu'elle a aménagée à l'aide d'un vieil homme, son éditeur, R. qui n'a rien oublié. Jusqu'au jour où les livres disparaissent et avec eux l'écriture…

L'image de couverture donne le ton paradoxal de l'ensemble de l'ouvrage : un onirisme oscillant entre douceur et menace. Certains passages sont emplis d'une poésie et d'une onctuosité particulières, en témoigne cet extrait dans lequel la romancière découvre un spectacle singulier, en se penchant à sa fenêtre, un matin :
« Il n'y avait que des pétales, à perte de vue. […] J'ai replongé dans le courant mes mains couvertes de pétales. Il y en avait de toutes sortes : au bord ondulant comme des fronces, à la couleur pâle ou foncée, d'autres qui étaient encore attachés au calice. Ceux-là s'accrochaient un moment au rebord de briques du lavoir, avant d'être entraînés à nouveau par le courant, où on ne les distinguait plus des autres » (p. 61)
Mais la réalité s'impose vite : les roses sont en train de disparaître. Quelle sera la prochaine disparition ? La beauté du spectacle ne peut éluder une sourde menace, omniprésente, qu'incarne la police secrète qui traque les dissidents.
Ce beau roman, qui comporte un peu trop de longueurs, à mon avis, est une évocation du totalitarisme, sur un mode onirique et kafkaïen. Les mondes totalitaires conduisent à l'effacement progressif, jusqu'au lent oubli de soi…
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Un livre très agréable et facile à lire, une sorte de douceur, de fludité, à l'image des disparitions successives. Cristallisation secrète, c'est aussi une belle histoire d'amitié entre une jeune femme qui tente d'écrire et un vieux monsieur qui s'accroche à son ferry alors que les ferrys ont disparu. Et puis celle de trois êtres qui luttent tant bien que mal pour conserver la mémoire.


Le roman dans le roman est très intriguant lui aussi - je n'en dirai pas plus, mais le parallèle entre la disparition de la voix et du corps ET ce que vit la narratrice est troublant. Bref, un livre très prenant malgré les nombreuses incohérences qui expliquent mes trois petites étoiles seulement.
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Après avoir lu l'Annulaire et récemment Les tendres plaintes je suis donc repartis sur une lecture de cette auteure que j'apprécie. L'histoire nous emmène sur une île où les choses disparaissent petit à petit le matin. Fait étrange les habitants perdent aussi les souvenirs de ces choses. Enfin pas tous. Ces derniers sont pourchassés par une police secrète - les traqueurs de souvenirs - soit disant à des fins d'expériences mais si certains reviennent, c'est en 4 planches. Dès les premiers chapitres le parallèle est fait avec les états totalitaires. Il vient en tête les premières exactions et traques perpétrées par les nazis avant le début du conflit : arrestations, surveillance voire autodafé . Tout comme en cette douloureuse période les gens se cachent, les réseaux s'organisent. de simples personnes ont le courage de porter secours à ces familles, qui ont pour seules "vices" de conserver leurs souvenirs. Tout comme la narratrice. Elle est romancière mais elle, elle oublie les choses qui disparaissent. Certains passages du livre sont des "extraits" du roman de cette jeune femme. La jeune femme a un rapport particulier avec son éditeur, et lorsque ce dernier, qui se révèle capable de se souvenir, est en danger elle n'hésite pas une seconde à organiser sa fuite et à le cacher. Ainsi commence une lutte secrète dans une pièce aménager pour que les souvenirs de la jeune femme perdurent. Leur rapport professionnel va laisser place petit à petit et au fil des disparitions à une relation plus intime.

On sent à la lecture tout le contrôle qu'exerce l'Etat sur les habitants, pas de rébellion ouverte ou armée. Juste une passivité docile. À l'exception de ceux qui gardent leurs souvenirs et des personnes qui leur apportent de l'aide en refusant la fatalité.

Ce livre traite d'une certaine violence, du totalitarisme, sans jamais "hausser le ton". Les actes sont décrits sobrement et froidement. Il soulève aussi notre vision du monde, les choses sur lesquelles nous portons notre regard et celles auxquelles ont ne fait pas plus attention. Dans le livre les timbres disparaissent à l'égal des oiseaux. Face à la disparition peu importe la taille, la valeur ou encore la force car tout s'oublie.

Le style

Son style est toujours aussi subtil et poétique. Chaque mot est à la bonne place, sans autre fioriture. Il faut savoir l'apprécier. Son univers est feutré et très apaisant. La force de Yoko Ogawa réside dans sa manière de faire vivre les choses : la boîte à musique, la machine à écrire... Elle a la faculté de donner vie à ses personnages afin qu'ils nous touchent de part leur simple existence.

Mon petit point positif :

Un livre qui nous entraîne dans un monde où il est difficile de ne pas se poser la question de notre propre gestion des souvenirs et des choses importantes de la vie.
Lien : http://www.murmuresdekernach..
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Je ne lis pas souvent des auteurs japonais, je ne sais pas pourquoi mais la littérature nippone ne m'attire pas particulièrement. C'est à l'occasion d'une lecture commune que je me suis penchée sur ce roman de Yoko Ogawa, le résumé me plaisait et puis … dès que je vois les mots « régime totalitaire » je suis obligatoirement intéressée.
Bizarrement, je n'ai pas vu dans ce roman qu'une métaphore de régime totalitaire, j'ai trouvé que le message allait au-delà.
En effet, le régime mis en place et les phénomènes d'effacement qui touchent cette île inconnue participent à la progressive perte d'identité de tous les habitants. D'ailleurs les personnages ne sont jamais nommés, ils sont distingués soit par leur initiale (« R »), soit par d'autres moyens ( « le grand-père », « l'ex-chapelier » …). Les lieux aussi sont inconnus, nous sommes sur une île mais aucune autre indication géographique n'est donnée. Aucune indication de temps également. On se doute de la similitude avec le Japon ( par la mention d'autres îles à proximité, par le tsunami) mais on reste avec cette impression d'être dans un univers parallèle, dans une autre dimension.

Au fur et à mesure des disparitions, la mémoire des habitants de l'île s'efface, ils oublient l'objet disparu et tout ce qui s'y rattache. Parfois, les conséquences sont anodines mais lorsque les romans disparaissent et avec eux l'usage de l'écriture puis de l'expression, lorsque les membres même du corps humain sont oubliés de leur possesseur, la perte d'identité, l'effacement de l'individu deviennent entiers.

Le parallèle avec les régimes totalitaires que l'on connaît et leur mode de fonctionnement est évident. Police secrète, des dissidents traqués, la méfiance et la peur de la délation, une économie qui s'effondre, la faim, le marché noir, un système qui s'autodétruit, le contrôle des individus et la résignation de ces derniers.

Mais en même temps, ce roman est une belle réflexion sur ce qui est le fondement de notre identité, sur l'importance de nos souvenirs sur ce que nous sommes. Yoko Ogawa montre à merveille les dégâts que peuvent causer la perte de la mémoire, transformant une personne en une autre … étrangère. Les proches des malades atteints de la maladie d'Alzheimer et de toute forme d'amnésie en savent quelque chose.

La narratrice étant écrivain, Cristallisation secrète est aussi un roman dans le roman. Cette deuxième histoire est même encore plus perturbante que l'intrigue principale. Toujours en exploitant le thème de la disparition, elle montre les effets pervers qui peuvent en découler.

Le tout est assez bien mené même si on repère quelques incohérences et si l'univers créé par l'auteur est un peu bancal. On ne peut s'empêcher de se poser des questions d'ordre « pratique » que l'auteur a laissé complètement de côté.
Mais l'idée était assez originale et n'était pas très évidente à traiter. Yoko Ogawa a su habilement mêler l'onirique et l'angoissant. On ressent à la fois toute la poésie du texte et toute l'atmosphère lourde et malsaine relative à la situation.

Pas un coup de coeur mais une belle lecture riche en réflexion que je recommande.

Lien : http://booksandfruits.over-b..
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