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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Quel régal que ce Cristallisation secrète de Yoko Ogawa ! Décidément, les écrivains japonais contemporains réussissent à m'entraîner dans leur imaginaire. J'appréciais déjà particulièrement celui de Murakami, cette auteure que je découvre m'a tout autant convaincu. Son roman est une très belle manière d'aborder des sujets comme le totalitarisme et la fabrique du consentement que ce type de régime met en oeuvre pour contrôler les populations. Les ingrédients sont toujours identiques, mais dosés différemment, ils participent d'une recette commune fondée sur la peur, des gardes prétoriennes impitoyables, la manipulation de l'information qui met sous tutelle les cerveaux, l'acceptation ou la résignation.
Sa narratrice peut s'apparenter à une Anne Franck nippone qui nous plonge dans le quotidien de son île étrange où la matérialité du réel s'efface progressivement pour ne laisser survivre qu'un monde formaté à l'aune des directives gouvernementales, pour ne proposer comme refuge qu'un univers intérieur dans lequel se cachent les derniers réfractaires à l'ordre dominant.
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Une île isolée du monde où, inexplicablement, des choses disparaissent, des plus anodines au plus essentielles. Les roses, les oiseaux, les calendriers, les livres, le printemps…. Les habitants de cette île se lèvent un matin et n'ont plus le souvenir de ces choses qui sombrent "dans le marais insondable de leur coeur". Pourtant, des habitants résistent et se souviennent du nom des oiseaux, de l'odeur des roses, ou bien persistent à lire. Une police secrète, implacable, efficace, qui a pour but de les éradiquer, les traque sans relâche. Une écrivaine, aidée d'un vieil homme ingénieux et d'une bonté ineffable, cache R, son éditeur, un clandestin qui se souvient de ces choses disparues. Terré dans son réduit, il assiste impuissant à leur effacement, et à la passivité de ses amis qui y assistent sans broncher, sans se révolter. Yôko Ogawa écrit un livre implacable, sans une lueur d'espoir, mais elle le fait avec un style d'une grande sensualité et d'une grande poésie. La scène où la narratrice décrit la fête d'anniversaire du grand-père dans la cachette de R est bouleversante et d'une beauté à couper le souffle. le ton est en demi-teinte, presque détaché ; il renforce d'une certaine manière le fatalisme de la narratrice. Une belle parabole sur la soumission aveugle à l'autorité, et sur l'oubli des hommes.
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Une parabole sur la mémoire et l'oubli
La narratrice est romancière.
Autrefois, longtemps avant sa naissance, il y avait des choses incroyables sur l'île comme des parfums, lui racontait sa mère quand elle était enfant. Et puis des choses ont commencé à disparaître parce qu'elles n'étaient plus reliées aux souvenirs des insulaires qui ne savaient plus les identifier. Les choses sont devenues futiles, inutiles ,vaines. Les années ont passé. Les oiseaux ont disparu, les roses ont disparu et puis les êtres, avec la complicité des habitants. La mère sculptrice est décédée, le père ornithologue aussi. La police secrète veille. Elle traque les gens qui se souviennent encore, les arrête et détruit les fragiles vestiges qu'ils ont conservés. Alors certains résistent, mettent en place des cachettes, se serrent les coudes. C'est ainsi que la romancière va protéger R. son éditeur...
Même si je préfère les nouvelles aux romans de Yôko Ogawa, j'ai aimé ce livre très poétique qui propose une belle réflexion sur la mémoire. L'atmosphère du roman est très particulière. Une douceur maternelle un peu cotonneuse enveloppe ce monde absurde, Orwellien, Kafkaïen. La narration parfois répétitive et un peu ennuyeuse est éclairée par des descriptions d'une poésie rare sur de petits objets du passé : ticket de métro, harmonica désaccordé, par des scènes uniques aussi qui résonnent en vous comme celle de l'anniversaire du grand-père.
On peut voir dans ce roman une allégorie des régimes totalitaires mais aussi de nos sociétés démocratiques contemporaines. Dans notre monde globalisé disparaissent des espèces végétales, animales, des tribus, des cultures dans une quasi-totale indifférence. Le monde virtuel et utilitariste fait disparaître des pratiques, des techniques, des sensations. Garder son vieux téléphone, sa machine à écrire. A quoi ça sert ? Qui se souvient des dactylos ? Et puis on peut voir aussi dans ce roman une parabole sur notre humaine condition. Nos proches meurent quand plus personne ne s'en souvient. Alors on peut se résigner ou on peut lutter grâce à l'art, la science ou l'amour. Même si tout s'évapore...


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Un très beau roman, narré avec le style unique et le rythme de Yoko Ogawa.
Une île isolée du monde voit des choses disparaître et ses habitants s'ingénier à détruire toute trace de ces objets disparus et à les oublier, comme s'ils n'avaient existé.
Une allégorie des régimes totalitaires en même temps qu'une histoire pleine de mélancolie où certaines personnes qui gardent leur mémoire doivent se cacher des "chasseurs de souvenirs".
Un beau roman plein de tristesse.
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Un titre énigmatique. Une superbe couverture. Une atmosphère mystérieuse, pesante et dérangeante, voilà les mots qui me viennent à la lecture de ce beau roman.
*
Sur une île coupée du monde, les choses et les êtres disparaissent, ne laissant qu'une cavité, un vide qui ne peut être comblé. Au départ, les oiseaux s'évanouissent, mais ce n'est pas grave car avec eux les souvenirs, même les plus précieux, s'estompent, s'évaporent pour ne rien laisser. Une nouvelle cavité dans son coeur qui devient moins dense. La population s'habitue à ces pertes et s'adapte. Aucune révolte.
*
La narratrice voit disparaître des morceaux de sa vie avec fatalisme et résignation. Comme elle, une partie de la population perd ses êtres chers, sa liberté, sa mémoire, ses sentiments, ses sensations et devient une coquille vide et apeurée.
A l'opposé, les individus qui ne perdent pas la mémoire et ne subissent aucune altération, ont un comportement singulier et identifiable. Ils se font remarquer, et sont donc obligés de se cacher. Ils subissent la tyrannie d'une police secrète traqueuse de souvenirs. Lorsqu'ils sont découverts, ils sont emportés, ils s'évaporent aux yeux des autres et ne reviennent jamais.
Une dénonciation des régimes totalitaristes qui organisent une amnésie collective, un renoncement aux libertés individuelles.
*
Yoko Ogawa choisit soigneusement ses mots, entre poésie et apaisement, pour nous livrer deux histoires qui n'ont qu'une même finalité, terrible et brutale, le dépérissement ou l'anéantissement des êtres vivants. On ne peut s'empêcher de faire le lien avec notre monde qui voit disparaître des espèces animales et végétales, parfois dans l'indifférence générale.
*
Pendant toute ma lecture, je me suis demandée ce qu'il y avait au bout de cette histoire, même si je m'en doutais un peu. Que resterait-il à la toute fin ? Une révolte ? Un souvenir ? une joie ? une douleur ? une larme ? Un vide ? Rien ?

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Un récit intéressant sur la réflexion du rapport aux choses, aux objets, au delà de la fiction basée sur une métaphore des régimes totalitaires , nous pouvons tout à fait philosopher sur beaucoup de sujet à travers ce roman.

Le souvenir suffit il à faire revivre les choses par exemple ? Peut on oublier les objets, après tout on peut très bien s'en passer ! etc...

j'ai bien aimé le style minimalisme, les personnages notamment le grand-père très touchant. J'ai bien apprécié la structure un peu à la façon des poupées russes, même si parfois on ne perçoit pas tout à fait le passage d'un récit à un autre.

C'est original, et surprenant aussi cette île où les choses disparaissent et pas que les choses...
Il faut se poser et méditer sur le sens de l'histoire. Intéressant.

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Ouch.
Quelle claque ce livre.

Si je vous demande : qu'avez-vous oublié ? Eh bien je ne sais pas moi, ce que j'ai oublié. C'est bien là tout le principe de l'oubli : on finit par oublier tout ce qu'on oublie. Et ça ne vous manque pas ? Peut-être un vide, un manque, l'impression qu'il y a si peu de possibilités qui s'offrent encore à nous, et cette peur inexorable qu'elles se réduisent encore... et jusqu'où ? Car tout finira bien par disparaître, et nous avec.

L'histoire est entièrement construite sur ce sentiment particulier, les réminiscences vagues et fugaces, les souvenirs à jamais perdus, l'humanité en perdition, ses libertés et sa combativité réduites à peau de chagrin.
En somme, la disparition sous toutes ses formes.

Attention, pour les besoins de l'analyse, je vais divulguer des événements-clef de l'histoire !

* Métaphore effilée *

Le lecteur est très peu guidé pour appréhender la profondeur du propos. C'est à lui de chercher activement les parallèles entre ces objets qui disparaissent et certains phénomènes de notre monde.

Je ne pense pas que l'on puisse apprécier la lecture sans faire l'effort de s'investir, se questionner et chercher sans cesse des liens avec du concret, et ce malgré les obstacles. En effet, à l'image du style dépouillé, les personnages sont extrêmement impersonnels, et cela peut rebuter au premier abord. Ils sont d'ailleurs à peine nommés ! Il n'y a que la narratrice, R et le grand-père, et une atmosphère de huis-clos.

* Volonté n'est pas résistance *

Comme ces personnages sont tous très transparents, ce sont les situations qui importent. Cette sobriété violente sert le propos de l'histoire, car une fois acceptée, je l'ai ressentie comme une invitation à compléter les trous par soi-même.

Cette sobriété se trouve dans la forme, mais aussi dans l'intrigue. C'est une dystopie, alors où sont les scènes de rébellion grandiose contre le système ? Ça manque, non ? C'est ce à quoi je m'attendais en commençant la lecture... avant de réaliser que malgré la présence de cet onirisme magique, c'est pourtant tristement réaliste que la population ne se rebellent pas contre leur sort tant il est difficile pour eux de s'opposer aux disparitions, auxquelles ils contribuent activement.

Et même lorsqu'ils souhaitent résister : d'une, la volonté ne suffit pas pour trouver comment agir ; et de deux, les actions de résistance sont souvent dérisoires si ce n'est vaines.
Cela sonne déprimant — et ça l'est certes — mais au final je sors de cette lecture avec cette passivité ordinaire en horreur, accompagnée de l'envie de se battre pour que les choses importantes ne disparaissent pas. Qu'importe si ces combats sont dérisoires dans leurs effets, j'ai le sentiment que c'est aussi cela qui manquait aux personnages pour apparaître humains... Il est donc nécessaire d'avoir des combats pour ne pas soi-même disparaître.

(N'empêche, j'ai bien eu envie de les secouer pour qu'ils réagissent ! J'étais parfois plus impliquée dans leurs vies qu'ils ne semblaient l'être eux-mêmes !!)

* Les disparitions *

À chaque disparition, ils réagissent avec une indifférence qui devient de plus en plus glaçante. C'est pas si grave, on peut bien vivre sans...

Lorsque des objets disparaissent, on peut rapidement perdre des éléments de personnalité : des petits attachements, des souvenirs, voire des relations avec des personnes, vivantes ou non...

Certains objets, malgré leur caractère matériel, revêtent un symbolisme fort, voire une forme de spiritualité. Leur disparition (ou leur interdiction) est alors un drame pour les seuls se rappelant de leur importance. « Ce qui brûlent les livres finissent pas brûler les hommes. »

Certains objets sont le moyen de permettre et de garantir une liberté, comme le ferry par exemple.
Des disparitions concernent aussi des marques de produits qui ne sont plus importés, à cause d'un repli hors du monde extérieur.

D'autres objets semblent anodins. « Les calendriers ne sont que des morceaux de papier. » Avec la fin des calendriers, c'est la notion du temps qui est abolie. Et avec cela, une simple fête d'anniversaire devient une fête célébrant le temps, croyance désormais interdite. On peut y voir un parallèle avec des fêtes religieuses.

Tout de même c'est ridicule, comment pourrait-on oublier les oiseaux, les livres, les bonbons ou les timbres ? Mais dans la vraie vie... Comment peut-on oublier l'importance de la Liberté, la Foi, l'Égalité, la Tolérance, la Vérité... ?
Elles ne sont importantes que pour ceux qui s'en souviennent. Difficiles à transmettre quand toute une société ne s'en souvient plus.

Des connaissances disparaissent, notamment celles pratiques : conduire un bateau, écrire un livre... Dans notre monde, il y aurait aussi faire les foins, différencier les plantes ou vivre sans internet. Ces oublis contribuent à nous rendre dépendants à une forme d'autorité centralisée. 🌱

D'autres formes de disparitions sont évoquées sans qu'elles ne soient causées par le phénomène magique des disparitions. C'est le cas pour les personnes emmenées par les chasseurs de mémoire et les défunts.
Le manque de nourriture, indirectement causé par les disparitions, fait écho aux famines dûes à des régimes totalitaires, soit à cause d'incompétents se retrouvant avec les plein pouvoirs, soit par une orchestration tout à fait volontaire. L'Histoire regorge d'exemples pour ces deux cas de figure.
Et du point de vue de la population, lutter pour des idéologies abstraites ne peut pas être la première priorité lorsqu'on vit dans la misère et la faim.

* le roman dans le roman *

La narratrice étant romancière, elle écrit l'histoire d'une étudiante en dactylographie qui a perdu sa voix et qui s'exprime grâce à sa machine à écrire. Au début, la narratrice souhaite écrire une romance mignonne et légère. On lit quelques chapitres, puis on revient à sa vie quotidienne.

Lorsqu'on a de nouveau un extrait de son livre... ce n'est plus du tout une petite romance inoffensive !! le professeur vole les voix de ses étudiantes pour abuser d'elles. Pendant ses cours, il les oblige à écrire d'une certaine manière sur la machine : il impose le texte à taper, interdit de bavarder, veut que les gestes soient précisément ce qu'il a ordonné, humilie celles qui font autrement. C'est ainsi qu'il vole la voix, en faisant perdre l'habitude de l'utiliser.

Il y a un sous-texte politique évident, où encore une fois des objets matériels se font symboles d'idées puissantes. Dans l'histoire (dans l'histoire), on peut empêcher quelqu'un de s'exprimer en lui retirant son accès à de l'encre, là où dans notre monde, on peut empêcher l'accès à la tribune dans les médias ou en politique...
D'ailleurs, lorsque les livres disparaissent, la narratrice qui était romancière devient alors dactylographe. C'est l'écriture à laquelle on a retiré tout degré de liberté pour s'exprimer.

La fin croisée est intéressante. Qu'est-on sans voix ? Qu'est-on s'il ne reste plus que la voix ?


* Influences extérieures ? *

L'ambiance me rappelle beaucoup Auprès de moi toujours de Kazuo Ishigiro (Prix Nobel de Littérature 2017) que je ne connais que par l'adaptation en film Never let me go.
C'est l'histoire de clones élevés dans un orphelinat très strict, et qui servent juste à donner leurs organes à leurs « géniteurs » originaux.
L'impression qu'il me reste après la lecture ressemble beaucoup à celle que j'avais après visionnage du film. Il y avait cette frustration de ne jamais voir les personnages se rebeller, quelles que soient les horreurs qu'ils vivent. Une sorte d'obéissance exacerbée, un flegme inhumain toujours sur la réserve, un conformisme dérangeant... Il se trouve aussi que la fin est très proche dans sa morale ambiguë.
Est-ce qu'il n'y aurait pas une sorte de courant littéraire japonais, voire un trait culturel plus large ?

Le thème de la disparition m'évoque par ailleurs le phénomène des « évaporés » au Japon, qui désigne les 100 000 personnes qui disparaissent chaque année. Cela représente 1‰ de la population tout de même.

* Conclusion *

Ce fut une expérience de lecture assez déstabilisante et qui demande un effort d'immersion. Des scènes puissantes, et parfois très dérangeantes, font que ce n'est pas une lecture forcément « agréable », mais en tout cas très intéressante.

Ce livre va plaire aux aficionados de fables philosophiques teintées d'onirisme (c'est une littérature de niche mais c'est totalement ma came).
Autrement, ça peut être intéressant d'explorer cet autre aspect de la culture japonaise.
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Ce roman m'a été conseillé par mon libraire et je dois bien avouer que malgré mon achat, son pitch m'avait laissé plutôt septique.

Le sujet est en effet original et peu commun, puisque sur une île, les habitants sont confrontés à des disparitions d'objets du quotidien, et de tout ce qui s'y rapporte. C'est ainsi qu'un jour les roses disparaissent, avec elles, la roseraie et le souvenir de l'odeur des roses. Les personnages continuent de comprendre le terme de « roses » mais sans vraiment savoir à quoi il fait référence, sans que cela convoque dans leur mémoire des épisodes particuliers.

C'est ainsi pour tout un tas de choses ; les bateaux, les oiseaux, les romans….

Certaines personnes semblent néanmoins « immunisées » et sont à ce titre appréhendées par la police secrète et les traqueurs de souvenirs.

J'ai retrouvé ici avec beaucoup de joie, l'aspect grandement poétique du roman japonais. le sujet est terrible, le totalitarisme, l'élimination des populations, la perte d'identité, pourtant tout est relaté avec tellement de douceur, que cela en est touchant. L'horreur n'est pas décrite mais insinuée, l'amour n'est pas nommé (encore moins décrit) mais suggéré.

J'ai aimé la délicatesse de l'écriture, la douceur du personnage principale. J'ai été complètement embarquée dans l'histoire, même s'il ne faut pas s'attendre à des palpitations et des rebondissements dans tous les sens, mais ce n'est pas ce que l'on recherche ici.

Une belle découverte, et un grand merci à mon libraire duquel je continuerai de suivre les précieux conseils !
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Dans ce récit l'auteur touche au fantastique et à l'absurde avec un grand talent.
Dans une île jamais nommée, les habitants ont pris l'habitude de voir disparaître les objets, petits ou gros, utiles ou décoratifs, objets de la vie de tous les jours.
Un jour les rubans ne sont plus là, puis les bonbons, un matin les oiseaux sont absents et ne chantent plus, les fleurs perdent leurs pétales.
Tout le monde ignore le pourquoi de ces disparitions et quand se produira la prochaine.
Curieusement toute la population semble renoncer sans efforts à ces objets, les gens ne gardent aucun souvenir des choses disparues, ils n'en souffrent pas, simplement elles ne sont plus là et ils acceptent cette situation.
On ne sait pas non plus qui décide et pourquoi. Un monde étrange est né sans mémoire, sans souvenir, sans émotion.

La narratrice a une mère artiste, enfant elle ne comprenait pas que sa mère conserve pieusement au fond d'un tiroir un ticket du ferry disparu qui permettait de quitter l'île, un flacon de parfum, un bonbon à la limonade.
L'enfant est devenue adulte et romancière. Elle soumet régulièrement ses manuscrits à son éditeur et écrit un roman mettant en scène une dactylo qui tape sur une machine dont les touches disparaissent progressivement, puis c'est la voix de la dactylo qui lui fait défaut, l'éditeur est très satisfait de son travail.
La jeune femme n'est pas choquée de ce qui se passe autour d'elle, pourtant on murmure que parmi les habitants de l'île certains ont la malchance de conserver la mémoire ou ne se résignent pas à l'oubli. Ils sont alors poursuivis par les traqueurs, une milice toute puissante capable de détecter la persistance des souvenirs. Les arrestations se multiplient, les personnes montent dans des camions pour une destination inconnue, d'un jour à l'autre ils ne sont plus là, comme les objets ils sont portés disparus.
Les disparitions s'accélèrent, la nourriture devient rare, on ne peut plus mesurer le temps car les calendriers disparaissent à leur tour, les livres et les bibliothèques sont anéantis, les mots vont-ils eux aussi disparaître ?
Son éditeur est en danger car réfractaire à l'oubli programmé il garde en lui des souvenirs. Malgré les risques et avec l'aide d'un vieil homme, elle va le cacher dans un réduit de la maison "une caverne en plein ciel" protectrice certes mais qui isole cet homme du reste du monde. Elle a franchi le pas, elle est entrée en résistance.
Ces trois personnages vont s'apporter assistance, amitié et affection malgré les risques, malgré la peur, ils ont décidés de ne plus obéir.

Un roman d'une grande originalité, d'une grande justesse de ton. Yoko Ogawa avec des mots simples réussit à nous faire ressentir l'oppression, l'étouffement d'une société sous surveillance où règne l'arbitraire ; elle nous emporte dans un monde fantastique où l'oubli est la règle. Un roman profondément métaphorique et inquiétant tout en faisant la part belle à la poésie. Un vrai plaisir de lecture
Je n'ai pu m'empêcher de penser à Anne Franck enfermée dans l'arrière maison mais aussi au film " Soleil vert " et à la scène superbe où un vieil homme interprété par Edward G Robinson revoit sur un écran un monde disparu, on lui projette une prairie heureuse pleine de fleurs où s'ébattent des chevaux, une rivière court sur l'écran, le bruit de la cascade est la dernière image pour l'homme qui va mourir.
Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Depuis quelques jours, j'ai la perche facile. Non, je veux dire que j'ai le cerveau qui perche. J'ai bien conscience que les personnes sont présentes, les mots sortent et viennent occuper - ou percuter je sais pas, l'espace mais une fois dépouillé de leur sonorité il ne reste qu'une sorte de brouillard, ça embue sous les cheveux. C'est ni poisseux ni lourd, c'est aussi léger que la mise au point sur l'objectif des appareils photos.

Yoko Ogawa elle me fait cet effet là. Même quand elle dépouille ses personnages des souvenirs au fur et à mesure. On dit « peau de chagrin » nan quand tu te fais limer jusqu'à la plus fine couche des trucs que tu possèdes ? J'ai pas vraiment cherché à comprendre ce que c'était qu'une cristallisation mais je crois que je m'en doute un peu à force de décomposer le mot, de le macher, de tellement le mastiquer mentalement qu'il se trouble lui aussi.

Yoko Ogawa c'est une formule qu'on devrait adopter pour quand t'appliques de l'alcool à 90° sur une plaie à vif, c'est vivifiant mais une fois la douleur passée, tu flottes, enfin moi je flotte même si je passe pas mon temps à avoir des plaies à vif faut reconnaître.

Sur l'ile où vivent les personnages de Cristallisation secrète, on fait d'abord disparaitre les oiseaux, puis le parfum, les fruits, le calendrier donc toutes les saisons à part t'hiver, et comme c'est perturbant d'avoir des objets qui n'ont aucune signification, on met en place de grands bûchers qui vont jusqu'aux autodafés, le nivellement par les flammes.

D'ailleurs si tu sais pas oublier c'est la police des souvenirs qui débarquent et c'est toi qui disparait.

Je crois que de toutes les façons d'écrire l'anticipation, les dystopies - l'instant où ça éclate, comme chez Monique Wittig, celle de la perte de repères, de l'étourdissement, de la confusion est celle que je préfère.

Eeh.

Traduit du 🇯 par Rose-Marie Makino

#yokoogawa #actessud #litteraturejaponaise
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