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EAN : 9782070118724
188 pages
Gallimard (26/10/2006)
4.71/5   7 notes
Résumé :
En 1939, Henri Michaux, alors âgé de quarante ans, publie un opuscule intitulé Peintures qui voit associés des textes poétiques à quelques gouaches étranges où apparaissent figures fantomatiques et autres têtes monstrueuses peu conformes aux canons esthétiques de l'époque.

L'auteur, déjà remarqué, d'Ecuador ou d'Un barbare en Asie «peint depuis peu», comme il l'écrit en tête de son livre, ajoutant qu'en se mettant ainsi tardivement à dessiner, il est... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Cela ne ressemble à rien de connu. L'oeuvre picturale de Michaux est unique.
Au commencement était la ligne.

Le mouvement, la ligne le tempo.
Entrer dans l'univers visuel de Michaux est bien une expérience hors du commun.
Hors de soi sans aucun doute, hors de lui également.
D'une intériorité fébrile, féconde , Michaux le fut toute sa vie.

Une recherche, une exploration, un hors d'ici, de là, de soi et de tout autre.

Innombrable, multiple affolement d' « afoulement », déversement renversement.

Les mots sont étroits pour décrire ce que l'on voit, c'est un récit bouleversant.
Car Michaux bouleverse.

Pinceaux, tubes, bouteilles, encre, gouache, huile, pastel, aquarelle.
Il n'a pas appris à peindre. Il n'a pas appris la technique. Il est comme un enfant, il  apprend en découvrant.
Libre de tracer, de jeter, de repousser, de couler, d'aborder, de frotter, de gratter, de répandre, de « goutteler ».
Poète reconnu, confirmé, admiré, c'est à la lecture de Maldoror qu'il se décide à écrire, et c'est assez tard, vers la quarantaine qu'il lui prend l'urgence d'explorer ses mondes intérieurs.

C'est devant l'oeuvre de Paul Klee qu'il a ressenti l'immanence de ce qu'il devait entreprendre.
Klee, Ernst, Chririco, ...voilà qu'il se met à entendre.

La peinture, le dessin le « déconditionnera ».

« comme moi la ligne cherche sans savoir ce qu'elle cherche, refuse les immédiates trouvailles, les solutions qui s'offrent, les tentations premières, se gardant « d'arriver », ligne d'aveugle investigation ».

Il n'a pas de méthode, il expérimente. Il n'a rien à prouver, à démontrer. Il se moque de faire preuve.
Il trace, il avance, il explore. Il vit ses expériences. Il est à la rencontre, à la recherche.

« Je ne peux apprendre que de moi-même, même si les sentiers ne sont pas visibles, pas tracés, ou n'en finissent pas, ou s'arrêtent soudain ».

il « dessine pour être embarrasser à nouveau...sans intention particulière »

On ne parle pas d'imaginaire, on parle d'apparition.

Plusieurs décennies à se regarder dans le papier , y fouiller, y fendre, s'y élancer, s'y frotter, s'y plonger, ...

« Foule infinie = notre clan
Ce n'est pas dans la glace qu'il faut se considérer.
Hommes, regardez vous dans le papier. »

Là se situe sa ligne de force.
Par onde, par flaque, par tâche, il s'infiltre, il entre, il tente son passage.

Les dessins et peintures de Michaux alertent par leur mouvement, leur cadence, leur cri, leur défigure, par leur déflagration, leur arrachement, leur déchirement. Leurs énergies.

« Devant moi comme si elles n'étaient pas à moi…
sorties de l'obsession, de l'abdomen de la mémoire, de mon tréfonds, du tréfonds d'une enfance qui n'a pas eu son compte et que trois siècles de vie maintenant ne rassasieraient pas , tant il en faudrait, tant il en faudrait. 

« Nées les jours de pluie et sous les plafonds bas et du piétinement des besognes à faire qui ne seront jamais faites, et du pressentiment d'un avenir d'emmerdeurs qui approche et de minus habens têtus. ….Devant moi, sans le savoir…
Portées sans trêve par les vagues infimes du vivant rayonnement des êtres qui se débattent. - Leurs peines, leurs grimaces, leurs angoisses aussitôt, partout télévisées...Devant moi...Abordant tumultueusement dans ma chambre solitaire. Devant moi en grand silence qui peine ou m'épouvante et lutte sourdement pour mon autonomie. » , - les têtes Peintures, 1939.

Un langage visuel, la tentative de formulation d'une écriture picturale.

Un entour trop étroit... Son enfance souffre.
L'enfant est différent, il le sait.
Il doit partir. Partir, trouver ceux qui lui ressemblent, ceux qui savent qu'il est d'un ailleurs. .
Il en est convaincu. Il prend le large. Il quittera la Belgique, le monde lui est peut être possible.

Le voyage est sa feuille de route.
Fonds noirs, Alphabets, mouvements, dessins mescaliniens, dessins de désagrégations,, puis viendra la réagrégation.

Fond noir bourgeonnant de vie.
On ne parle pas d'esthétisme. Aucune règle établie. Pas d'école, aucun -isme ne peut lui correspondre.

La nuit remue.
De la nuit il entend le murmure frémissant de vie.

Ailleurs, hors de soi...

Prince de la Nuit…

« Prince de la nuit, du double, de la glande
aux étoiles,
du siège de la Mort,
de la colonne inutile, de l'interrogation suprême ;

Prince e la couronne rompue,
du règne divisé, de la main de bois.

Prince pétrifié à la robe de panthère.
Prince perdu. »
( Peintures, 1939)


Fond noir, caméra obscura cérébrale. Michaux déroule ses images.
«  En somme , c'est le cinéma que j'apprécie le plus dans la peinture. »

C'est un écran qui devient « boule de cristal ».
Voyant, explorateur voyant. Navigateur il le fut jusqu'à s'en arracher la chair de l'encre.

Michaux était poète par la plume et le pinceau, par les cellules ouvertes de son cerveau, par l'iris de ses mots, par l'innocence de ses mains.

Peu de portrait existe de Michaux. Là n'était pas sa mission.
Il ne confond pas intériorité et intimité. L'intimité se livre aux clichés,
son intériorité seule libère la pensée.

Ses oeuvres furent exposées pour la première fois en 1937. Mais il fallu du temps pour que son oeuvre picturale ne soit plus regardée comme un travail secondaire à son activité littéraire.

«  le déplacement des activités créatrices est un des plus étranges voyage en soi que l'on puisse faire. »

La nuit remue.

Sismographies d'un espace intérieur. « Vibrances d'illusions subies ».
Échos sémiologiques.
La mescaline, alcaloïde tiré du peyolt, le fera «  prisonnier d'un atelier du cerveau », introspection « insupportable, intolérable ». Et pourtant ses expériences stupéfiantes lui permettront d'explorer la profusion d'un habité dans lequel il se verra intensifié.
Sillon, colonne, vaisseau, plaie, passage, béance… Cheminement contractile, vibratile, violent, électrique, échographique, insaisissable. Phénoménal.
Ether, LSD, opium, hachisch, alcool,mescaline, psilocybine…Le navigateur cherche la clé pour passer les rugissants. Il traverse, aucune sirène n'arrêtera pourtant son voyage. Il ne sera jamais dépendant.
Aquarelle, encre, gouache, huile, pastels, lithographie, crayons.
L'outil est au service du navigateur. Et non l'inverse.

Il aurait voulu filmer ses voyages, les rendre, les donner, plus exactement, plus fidèlement .
En pouvoir rendre la vitesse, le rythme, les cadences, mais la technologie n'était pas encore assez développée.
Un film « images du monde visionnaire » d'Eric Duvivier tentera la rédaction de ce carnet de voyage. Intéressant. Insuffisant.
Alors ces dessins, ces encres, ces peintures, même figées, images arrêtées, nous livrent les plus justes, fantastiques passages.

« Je crois donc montrer, ayant plusieurs fois pendant des heures été en sa présence alors prodigieuse, je crois montrer l'arbre sans fin, l'arbre de vie qui est une source, qui est, piqueté d'images et de mots et proposant des énigmes, l'écoulement, qui, sans interruption, même d'une seule seconde, traverse l'homme du premier instant de sa vie au tout dernier, ruisseau ou sablier qui ne s'arrête qu'avec elle. » , Paix dans les brisements, 1959.

Alfred Pacquement nous permet à travers les pages de ce livre d'entrer, un peu, dans l'univers foisonnant, trouble, et extrêmement vivant, d'Henri Michaux.
Les oeuvres picturales questionnent, les textes bouleversent.
Ses intérieurs lointains tendent vers l'infini.
Invitation à progresser, à se soulever, à entreprendre.
Plus loin, hors de notre clos que nous pensons trop vite défini.
Lucidité fut le geste majeur de Michaux.
Lucidité comme cette déflagration d'une blancheur violente qui apparaissait lors de ses explorations mescaliniennes.
Éclatante, pénétrante et déchirante comme un papier de cristal offrant au poète la vision épiphénomènale d'un éternel commencement.

Michaux , comme un Big-bang.
Au commencement était la ligne.
Depuis, le cerveau de l'Homme ente son verbe.

Astrid Shriqui Garain
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
"La gouache résiste davantage à l'eau. Elle fait son petit mortier contre les évanescences qui la guettent. Elle tente de respecter les intentions de l'auteur, du respectable auteur!
Ne me convient pas."
Henri Michaux
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Tout au long de sa vie de peintre, Michaux a engendré une véritable population de signes, tels qu'ils pouvaient naître de la plume ou du pinceau en un automatisme lucide. Nul n'a mieux su explorer leur germination, prenant de vitesse la matière fluide, retraçant leur instabilité, leur mouvement, leur "cinéma"; découvrant, à l'aide de la mescaline, un "rapide abstrait" dont il est sans doute l'unique représentant parmi les artistes du XXe siècle. Faut-il lire dans ces taches le visage qu'on croit y reconnaitre, en suivant le précepte de Vinci; détailler ici des figures en pleine course, là une tête noyée dans la couleur, leur affubler éventuellement, et arbitrairement, des titres descriptifs, y greffer une encombrante littérature, ou, au contraire, ne pas tenter de déchiffrer ces alphabets illisibles, rester en-deçà des images, comme si l'on pénétrait ensuite dans un inaccessible et néanmoins fascinant "espace du dedans"? La clé de l’œuvre de Michaux ne réside pas dans la révélation d'un code. Elle appelle le balbutiement primitif, le regard premier, comme ces dessins d'enfant qu'il décrit dans Les Commencements. Pour celui qui concède avec humour "avoir toujours eu des ennuis avec les formes", c'est une exceptionnelle aventure visuelle qui s'est accomplie.
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Tout art à sa tentation propre, et ses cadeaux. Il n'y a qu'à laisser venir, laisser faire.
(P. 32)
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Videos de Alfred Pacquement (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Alfred Pacquement
À l'occasion de l'exposition Giuseppe Penone, Sève et Pensée, la BnF propose une rencontre avec l'artiste italien et ses amis, suivie de lectures par Jacques Bonaffé et Jean-Christophe Bailly.
À l'image de l'exposition, cette rencontre permettra d'approfondir cette démarche inédite de Giuseppe Penone, celle qui l'a conduit à associer intimement la sculpture et l'écriture. Il s'agira d'explorer avec lui les ressorts intimes qui l'ont poussé à s'intéresser à l'imaginaire du livre, dans une approche intellectuelle et matérielle. le titre Sève et pensée résume bien cette double démarche, tout comme l'expression « l'esprit de la matière » : l'exploration du monde, le souci de la trace et de l'empreinte, la fragilité de celles-ci, l'entremêlement des gestes créateurs seront au centre de ce dialogue entre Penone et ses amis.
Cette rencontre sera suivie de dédicaces des ouvrages de l'artiste, parus aux éditions de la Bibliothèque nationale de France (de 17 h à 19 h).
Rencontre animée par Sabine Gignoux, avec Giuseppe Penone, Jean-Christophe Bailly, Laurent Busine, Alfred Pacquement, Didier Semin, et les deux commissaires de l'exposition, Marie Minssieux et Cécile Pocheau-Lesteven.
Exposition «Giuseppe Penone, Sève et Pensée», jusqu'au 23 janvier 2022, BnF François-Mitterrand, Paris 13e En savoir plus : https://www.bnf.fr/fr/agenda/giuseppe-penone-seve-et-pensee
Lectures par Jacques Bonnaffé et Jean-Christophe Bailly
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