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EAN : 9782818019542
208 pages
P.O.L. (03/10/2013)
3.92/5   65 notes
Résumé :
'L?amour plus des copeaux de bois, du produit pour les vitres, une clochette, du shampoing, des oiseaux, des écharpes, des appareils photos, des ponts, des cordes, un vélo, des instruments de musique, une canne à pêche, des brosses à cheveux, des fusils de chasse, des livres, des gélules, du carton, des lampes, des agates, des élastiques, une malle, des fruits, des lentilles de contact, des échantillons, des bateaux, des pansements, de la peinture, des arbres, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Le titre d'Emmanuelle Pagano ressemble à un palindrome imparfait car cette invitation à s'enlacer n'entraîne pas forcément un rapprochement réciproque et révèle plus la difficulté et l'imperfection de nos relations. Relations que l'on aimerait fusionnelles , nouées mais qui restent compliquées et insatisfaites, noueuses. Ce livre se compose d'une multitude de fragments de vie amoureuse insistant sur les gestes d'amour, les moments d'harmonie mais aussi sur les ruptures, les fausses routes, les départs: "L'aimer c'est m'inquiéter. L'air devient solide dans ma gorge. Mon ventre contient des objets qui pèsent. J'essaie de trouver des occupations pour mon corps. Marcher, cuisiner, laver les sols et le linge. J'essaie de penser à des choses insignifiantes, de remplacer mon inquiétude pleine, pleine de lui, par de petites préoccupations légères, inoffensives. Mais il m'inquiète à la gorge, au ventre, dès que je m'arrête. Et mon corps alors me rappelle le poids, au ventre, à la gorge, ce poids qui est de l'aimer.", " Je me suis entêtée dix ans dans ses bras comme entre deux murs", " elle examine le contenu de sa tasse sans le boire, sans parler. Nous sommes venus dans ce bar à la sortie du tribunal prendre un dernier verre ensemble. Nous sommes divorcés depuis quelques minutes. Devant son café elle regarde notre passé et moi je la regarde."

Fragments de vie rapportés au présent et à la première personne, mais une voix multiple, tour à tour, celle d'une femme, d'un homme, d'un jeune, d'un vieux, d'un hétérosexuel, d'un homosexuel. Emmanuelle Pagano excelle dans ce brouillage des points de vue comme pour mieux éclairer l'universalité de nos sensations, de nos attitudes dans l'amour alors que chacun de nous les croit singulières. La vie en couple impose une promiscuité amoureuse qui bouleverse nos habitudes, nos sentiments. La langue d'Emmanuelle Pagano met à nu cette intimité qui énerve ou qui émeut: les poils ou cheveux qui traînent, les odeurs des peaux, des corps, les grains de beauté ... Ce serait presque comme le versant romanesque de Fragments d'un discours amoureux de Barthes.

Ces fragments sont des souvenirs qui rapportent aussi les paroles échangées dans le couple souvent anodines pour l'un mais parfois assassines pour l'autre jusqu'à devenir obsessionnelles avec cette impression de malentendu , cette impression que l'on n'arrive pas à s'inscrire dans les mots de l'autre. La voix aimée n'existe plus alors que comme un prolongement sonore et dynamique du sentiment. Ces fragments , aphorismes ou textes de deux pages laissent par leur forme même la possibilité au lecteur de s'inscrire dans ces blancs, de s'identifier aux personnages ou de se demander : jusqu'où peut-on aller par amour ? où s'arrête l'intimité quand on laisse l'autre envahir sa sphère privée ? A plusieurs reprises, il y a confusion. Et si ces voix n'étaient après tout que celle de l'écrivain qui, de manière impudique et mystérieuse, montre qu'écrire c'est aimer l'autre, comme le prolongement de l'avant-dernier livre d'Emmanuelle Pagano L'absence d'Oiseaux d'eau. quelques beaux passages sur la voix : " En parlant aux autres, j'ai réalisé que je n'avais plus du tout la même voix, c'était une voix de trop pleuré , ruinée par le chant des larmes, rauque et étouffée, ne parvenant qu'à peine à l'extérieur.", "Elle est professeur en collège. Pour se faire entendre dans une classe remplie d'élèves bruyants, elle a posé sa voix différemment depuis des années. Elle l'a fait progressivement, d'abord en tâtonnant et sans même s'en rendre compte. En poussant la glotte vers le haut pour parler à son petit monde agité, elle fait résonner les fosses nasales, le sinus, toute cette partie du visage que les chanteurs lyriques appellent "la maschera". Elle est ma femme au masque. J'aime tellement sa voix. Je suis sensible à tous les sons, je suis technicien de studio. J'ai entendu sa voix se transformer petit à petit. Quand elle fait cours, le volume de sa voix augmente sans qu'elle ait besoin de crier, elle se renforce dans les moyens-aigus, le spectre s'enrichit et le son en devient plus présent. Elle module la voix dans le registre selon qu'elle est à la maison ou en classe. Quand elle rentre le soir, elle a parfois encore sa voix de travail, pluie puissante que l'autre, et puis elle l'ajuste. Elle prend sa voix de nous".

Et toujours l'image poétique pour dire la souffrance, la souffrance des corps, des corps empêchés comme elle disait dans son ancien blog, par des maladies, des handicaps, des violences, des trahisons, des corps empêchés dont l'existence se résume parfois à la présence d'objets banals et quotidiens: des copeaux de bois, du produit pour les vitres, une clochette, un foulard, une valise... (voir l'énumération de la quatrième de couverture). Il y a ceux qui partent, ceux qui restent malgré tout, ceux qui meurent... "Je suis allée à la clinique pour attacher son âme et la ramener à la maison. J'avais pris du fil pour la guider. Une grosse pelote de fil long, solide. Je me suis approchée de lui, je l'ai caressé une dernière fois, j'ai posé ma bouche sur ses paupières déjà froides, puis j'ai pris son poignet pour y nouer le fil, comme j'avais vu faire ma grand-mère au poignet de mon grand-père à l'hôpital du pays. Depuis ce bracelet, j'ai déroulé la pelote dans la chambre, dans les couloirs de la clinique, jusqu'à la cour où un taxi m'attendait. Je me moquais des regards et des questions. J'ai tenu le fil à travers la vitre baissée de la voiture, tout le long du trajet il m'a suivie sur la route. Je lui parlais, je lui disais de m'accompagner, de revenir à la maison. Je demandais au chauffeur de rouler tout doucement pour que le fil ne casse pas. Je suis descendue sans lâcher la pelote, elle était presque finie, je suis entrée dans la maison, j'ai continué à la dévider jusqu'à la chambre, jusqu'au lit. J'ai couché la fin du fil dans nos draps."

Rien ne s'oublie, tout laisse des traces, des cicatrices. Mais on se construit aujourd'hui avec les failles d'autrefois. Il y a un avenir, c'est "la présence d'oiseaux d'eau". le dernier fragment est beau : " Des oiseaux se posent, je ne sais pas d'où viennent tous ces oiseaux, des rouges-gorges, des moineaux, des mésanges, des pinsons, et même des pies, des hirondelles, des mouettes, des oiseaux de vignes et d'herbes, des oiseaux de lacs et de ruisseaux, des oiseaux de haute altitude et de mer; des oiseaux de forêt et de clairières, des oiseaux de plus loin encore, des colibris. Ils sont là, près de lui, les ailes au repos, si menus pour certains qu'ils tiennent sur un seul galet, et de galet en galet ils sautillent jusqu'à lui, de galet en galet sans voler, ils s'avancent, grimpent sur ses mollets, escaladent ses jambes jusqu'aux genoux, explorent ses cuisses, ses poignets, ses bras, se posent sur ses épaules, sur sa tête nue, regardent ses croquis. Et chantent."
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Est-il possible de parler d'amour sans parler... d'amour ?
Dans "Nouons-nous", Emmanuelle Pagano nous livre de petites variations narratives sur ce thème . Inquiètes, finissantes, amusées, sensuelles, attentives, émerveillées, hésitantes, anonymes,... Toutes ces amours nouées se composent sous le regard et les gestes, dans les mots, dans l'absence parfois, le souvenir ému, et la présence toujours de l'être aimé.
L'auteure dévoile avec préciosité le langage amoureux, comme des extraits tirés d'une histoire qui pourraient en être le début ou la fin, le temps de le penser, le temps de l'écrire. de courts fragments dont le lecteur se saisit et se dessaisit l'un après l'autre avec attention.

Il va de l'amour, de ce que chacun en sait, en vit, en a vécu ou espéré. Sentiment universel, il est aussi tout intime, tout contenu en chacun, un sentiment qui ne va pas au-delà de nous-mêmes, de nos mots, de notre conscience. Livre de l'intime, de la pudeur, j'ai découvert et beaucoup apprécié "Nouons-nous", très beau livre d'Emmanuelle Pagano.
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Il y a des soirs où je n'ai pas envie.
Ce soir-là entre mon amoureux trop loin et le dernier partiel trop proche, le temps trop froid et mon thé trop chaud je ne voulais rien.

Pas une page, rien.

Pourtant, je devais donner l'impression de connaître les oeuvres d'Emmanuelle Pagano le mercredi suivant. Les connaître alors que je m'y noie, m'y fonds : c'était mal engagé.

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le fameux pyjama en question
J'ai donc mis mon pyjama de monstre (et j'ai fait une bêtise puis une autre et… ah non ! Ce n'est pas cette histoire-ci !), attrapé un dangereux félin (même pas besoin de fourchette) et le dernier livre que j'avais sous la main : Nouons-nous.

Mon marathon de ces auteures a été aussi révélateur que prouvant. J'adore leurs multiplicités, leurs corporalités et leurs régions (si seulement elles parlaient de chez moi !) mais dans mon corps trop aléatoire, loin de mon océan, ce n'est pas facile.

Et puis…

Et puis la magie a opéré.

« Il était adossé au mur, son ombre se cassait au bord du trottoir, j'ai marché dedans. »

cvt_Nouons-nous_476.jpegLes fragments (de ces discours) amoureux, entre rupture et quotidien, bribes de rencontres et détail du geste, ensemble de textes très courts qui auraient pu être les réflexions de chacun de nous (ou celles d'Adèle, l'héroïne d'un autre roman d'Emmanuelle Pagano : Les Adolescents Troglodytes).
Ces histoires sont partielles, nous ne savons jamais quand tout cela se passe, ce ne sont que des instantanés de vies beaucoup plus denses. On les sent fourmiller dans les marges du texte.

La multiplication des énonciateurs nous perd peu à peu : nous ne savons rien de ces gens qui se confient à nous. Généralement même pas leur genre, nous en savons beaucoup plus sur la personne aimée. On devine, à tâtons, dans les plus longs textes, un peu de leurs identités. Nous dépassons l'écriture de soi puisque ce « Moi » est multiple et diffus.

Sur quelques mots à peine, nous devinons les amours passées de chacun, la construction de son existence actuelle.

« Il a un manière de manipuler les objets qui me donneront de suite la couleur de son humeur, en particulier sa façon de fermer la porte, qu'il sorte ou qu'il rentre. Ce matin, ce n‘était pas une mauvaise porte. »

Qu'y a-t-il de plus intime ?

Tendus dans ce voyeurisme étrange, les corps infinis s'incarnent pour nous un bref moment pour nous accompagner dans cette lecture. Mes passages favoris sont ceux qui justement parlent de ce qui nous entoure : les objets, les habitudes insignifiantes… je trouve cela fascinant chez ceux qui m'entourent, alors retrouver ce regard chez l'auteure m'a beaucoup plu. Je trouve qu'on se révèle énormément par ces gestes infimes qui ne sont que l'arrière fond, des sortes de scories, de notre existence.

C'est un peu hors sujet (mais pas tant), un détail qui m'avait beaucoup touchée dans les Adolescents Troglodytes : quand la chauffeuse de car remarque que Nadège (une des adolescentes qu'elle emmène en cours) commence à avoir un geste particulier pour éviter sa poitrine naissante, elle en ressent une sorte de tendresse, une douceur partagée, un peu comme un secret féminin commun.
Le regard d'Emmanuelle Pagano se pose sur ces choses-là, si petites, si marginales, qu'elles rendent réelles ses histoires.

Nous avons parfois l'impression qu'un peu de l'auteure se glisse dans ces récits, qui sait…

« Plus il me lit, moins il m'aime »

Vous l'aurez compris j'ai beaucoup aimé cette lecture et je vous la recommande très fort !
Il est paru chez P.O.L. en 2013 comme le reste de l'oeuvre (enfin la majorité des romans) de l'auteure, et même si la couverture est extrêmement salissante, l'ouvrage est agréable en main.
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Des scènes brèves, très brèves, maximum 2 pages.
Qui va là ? Des couples, des futurs couples, des couples qui se quittent, des couples à 3, mais parfois aussi des relations entre inconnus non affectives.

Emmanuelle Pagano fouille l'intime, observe, lit les corps, les gestes. C'est très sensuel, charnel, cinématographique.
Cela ressemble à un ballet d'êtres qui s'apprivoisent ou se fuient.
Cela parle aussi de manies, de routines de vie, de bouleversements intérieurs.

J'y vois là une mine d'inspiration pour écrire sur les relations humaines, en particulier amoureuses et surtout intimes.

Un vrai plaisir de lecture léger et beaucoup de beauté dans la langue.
Ce livre peut se lire par petits bouts de temps en temps ou d'affilée. Chacun choisira !



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Ce sont de petits riens. Des petits riens intimes, de petits fragments de la vie de tous les jours. De la vie de tous les couples.
Ils s’appellent « je », « il », « elle », parfois « nous ». Jamais de prénom, jamais de lieu.
Juste des fragments de vie collés bout à bout, comme un collier de perles pour la fête des mères.

Un point de vue féminin, un masculin, en alternance.
« Je le regarde dormir, je me sens loin de lui pendant ces nuits d’insomnie. Je le contemple, si calme, avec des draps autour. Je suis complètement seule, à côté de cet homme qui dort » dit l’une.
Puis « Elle lit dans la véranda, de nuit, sous le rond de l’ampoule nue au plafond. Au-dessus de ses cheveux, des phalènes lui font une auréole, à moins que ce soient les pensées sorties du livre par sa tête. En tout cas, ça vibre et ça tournoie » dit l’autre.

Des liens éphémères, rencontres amoureuses, des ratés, des déchirures.
Des traces, des souvenirs, des égarements.
Des silences, des absences.
Toute une palette d’émotions aussi : jalousie, désir, rancœur, plaisir, désespoir, des émotions en quelques mots seulement. Des sensations également. De la solitude, beaucoup.
Ils et elles sont parfois jeunes, parfois vieux.
Il y a l’idée que ça ne durera pas. Mais que c’est comme ça.
« Avant de la connaître, je parlais seul chez moi. J’étais un célibataire endurci et maniaque. Je me faisais la conversation tout seul tout haut tout le temps. Elle m’a enlevé cette manie. Depuis qu’elle n’est plus là, c’est le silence, qui est fait de l’absence de sa voix, de la mienne y répondant » dit celui-là.

Le corps est très présent. Mais aussi la voix, le sexe, les cheveux.
Tous ces petits riens qui restituent l’autre par sa présence, son absence.
« L’aimer c’est m’inquiéter » dit par exemple l’une des voix. « (…) il m’inquiète à la gorge, au ventre, dès que je m’arrête. Et mon corps alors me rappelle le poids, au ventre, à la gorge, ce poids qui est de l’aimer. »

Ce pourrait être vous, ce pourrait être moi.
C’est peut-être l’histoire d’Emmanuelle Pagano parfois :
« Parmi les hommes que j’ai aimés, il y a ceux qui m’ont aidée à écrire, ils accompagnaient le travail de leur seule présence, et puis il y a ceux qui défaisaient mon livre, méthodiquement, jalousement, par des remarques choisies et sous n’importe quel prétexte, phrase après phrase. »

La mémoire, le souvenir d’une autre relation perdure.
Le ton est mélancolique, doux, sensible, un rien désabusé.

Ce sont de petits riens. Des petits riens intimes, de petits fragments de la vie de tous les jours.
Et ces liens tissés et détricotés nous laissent avec un goût de nostalgie dans la tête.

Lien : https://www.biblioblog.fr/po..
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critiques presse (2)
Telerama
07 novembre 2013
Emmanuelle Pagano installe sa plume à la naissance des émotions, au creux des faits les plus concrets, à l'endroit où basculent les existences, puis elle se laisse porter par la force du vide. Aucun atour dans son écriture simple et quotidienne. De la transparence, de la limpidité.
Lire la critique sur le site : Telerama
Liberation
15 octobre 2013
Pagano cherche à saisir comment l’amour (pas le désir, ce discours des années 70, mais plutôt le lien), imbibe la matière quotidienne, comment l’un rentre dans l’autre et comment ça se «déboutonne» [...]
Lire la critique sur le site : Liberation
Citations et extraits (45) Voir plus Ajouter une citation
Elle est partie l’été dernier sans explication, en laissant son vélo contre le mur de la cour. J’ai reçu un SMS me disant que je pouvais garder le vélo, qu’elle ne reviendrait pas. Je n’osais pas y toucher. Le mur de la cour est formé de gros blocs de pierre calcaire beige dont les jointures étaient creusées par le temps. La poignée gauche du guidon était coincée dans une de ces fissures. J’ai fini par l’enlever à la demande écrite de la copropriété. Lorsque j’ai retiré la poignée, libéré de son attache le vélo me semblait lourd. Je l’ai rangé dans ma cave et je suis retourné voir le mur. Je n’ai pas retrouvé l’exacte fente par où le guidon permettait au vélo de tenir debout. Il y en avait trop, beaucoup trop de failles crayeuses dans ce vieux mur. J’ai eu envie d’y glisser des petits papiers sur lesquels j’aurais écrit mon vœux le plus cher, le même sur tous : faites qu’elle revienne. Ce mur dans la cour de mon immeuble ressemblait, en plus petit, en plus ordinaire, au mur occidental de Jérusalem, le Kotel, dans lequel on insère un petit papier contenant une prière. J’ai préparé des dizaines de supplications et je suis allé sertir tout le mur de ma douleur pliée.
La semaine dernière le syndic a fait faire des travaux, et le beau mur ancien de la cour a été recouvert d’un enduit qui a bouché toutes ses crevasses (p. 69).
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J’habite cette ville où nous sommes si nombreux, cette ville chère et coincée par une ceinture d’autoroutes. Nous y sommes à l’étroit. Serrés pour vivre, manger, dormir, se déplacer. L’espace y est un luxe arrogant, et les ciels paraissent toujours tout à la fois démesurés et inatteignables. Dans les rues je marche la tête en arrière, à rêver de hauteur et d’air. Dans l’appartement, je n’arrive pas à étendre mes bras sans toucher des étagères, des meubles, des murs, des portes, des objets, mon compagnon. Nous entassons nos choses comme nous le pouvons, et quand nous ne pouvons plus, il faut se résigner à trier. Se décider sur l’importance de ces machins que nous possédons, selon de drôles de mesures. Nous mettons en balance les dimensions de la chose et les souvenirs contenus, l’encombrement et l’attachement. Nous réfléchissons à l’étalonnage de nos vies. C’est l’occasion de disputes. Calibrer la mémoire, les affections, les manies, est une affaire délicate quand on est deux. Nous n’avons pas le même gabarit à propos des choses et des émotions (p. 13).
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Elle et moi ça n’a pas marché. J’avais toujours une autre femme en tête, pour après. Je pensais rencontrer une autre femme, plus tard, ou même elle, peut-être, mais en mieux, en mieux parce que plus tard. Comment s’appelle ce sentiment, identique à la nostalgie, mais de l’avenir ? Le regret, l’envie de retrouver ce qu’on n’a pas encore vécu. Ce moment futur je le languissais, et je redoutais aussi, par avance, sa disparition. Je vivais tout par avance. J’attendais, et je déplorais, la non encore apparition, la non-venue, de toute chose. Et tout ce qui était déjà là, près de moi, me semblait n’avoir aucune importance, ne pas exister. Moi-même je n’existais que dans l’avenir. Elle, elle était dans le présent, elle était tellement présente. Maintenant, elle est dans le passé. J’attends son retour.
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Il avait entamé sa vie d’adulte en mourant, comme beaucoup d’adolescents, mais lui n’avait jamais cessé. Il mourait souvent, tous les deux trois ans, et rien ni personne n’avait jamais pu l’en empêcher. Il se ratait, se relevait, il reprenait goût à tout, rencontrait une nouvelle compagne. Parfois c’était la même, mais pour lui c’était une autre, tout était toujours pour lui un renouveau. Il était alors, à chaque nouvelle vie, ouvertement joyeux. J’ai été une de ces nouvelles compagnes, la dernière. Pendant ses renaissances, il avait même eu des enfants, dont un avec moi, il était vivant. Et puis, sans que rien d’abord ne le laisse entrevoir, il mourait. Ses quatre enfants étaient en bonne santé, ils l’aimaient, je l’aimais, il avait un bon travail, tout allait bien, et soudain, voilà, il recommençait à mourir. Avant de renaître. Comme neuf. On aurait presque pu croire qu’il changeait de peau, qu’il muait, s’il n’y avait eu toutes ces cicatrices, les traces de ses morts, à chaque fois plus nombreuses et profondes. Il n’avait jamais pris de médicaments, il mourait toujours violemment. Il mourait à la corde, à la noyade, au fusil de chasse. L’avant-dernière fois avait emporté tout le bas de son visage, et malgré tout il s’était relevé souriant, souriant sans menton (pp. 10-11).
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Je n'y faisais plus attention, j'avais oublié les brûlures, le feu caché qui continue à consumer le fond des arbres. Couvant souterrain. Sur terre il paraissait éteint. J'aurais dû me douter qu'il pouvait renaître, en remontant le long des racines, plus loin et plus tard, peut-être même en plein hiver. Les trous formés par les animaux fouisseurs l'ont porté comme des cheminées. Un arbre, soudain et tout seul, entouré de neige, s'est enflammé. J'aurais pu faire attention à la vapeur s'élevant du sol, mais non, l'apparence était au calme, l'hiver était familier. Et ce feu que je croyais éteint, cette mémoire d'elle, a repris.
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Vidéo de Emmanuelle Pagano
Emmanuelle Salasc - Ni de lait ni de laine - éditions P.O.L Où Emmanuelle Salasc - qui s'est appelée Emmanuelle Pagano - tente de dire de quoi et comment est composé son recueil de nouvelles "Ni de lait ni de laine" et où il est notamment question de l'écriture de textes courts, du je et du nous, du il et du elle, de familles dysfonctionnelles et d'autobiographie, d'identification aux personnages et de non fiction, de la parution en "formatpoche de '"Nouons nous", -et où Emmanuelle Salasc lit la nouvelle "A trottinette"-, à l'occasion de la parution aux éditions P.O.L de "Ni de lait ni de laine", à Paris le 17 avril 2024
"La famille, tout le monde en a une, même ceux qui n'en ont pas, même ceux qui en ont plusieurs. La famille, c'est l'endroit au monde où on est le plus aimé, le plus haï, le plus protégé, le plus violenté, le plus soutenu, le plus abandonné, le plus nié, le plus encouragé, le plus cajolé, le plus admiré, le plus dénigré, le plus compris, le plus incompris. La famille est un superlatif. On y est seul, on y est nombreux."
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