Ce
petit éloge de lecteurs est-il un ouvrage indispensable? Pas vraiment, non. Mais à 2€ en inédit chez Folio, le sacrifice financier n'est guère conséquent.
Pas indispensable donc, néanmoins plein de fraîcheur et de poésie. Pef rend hommage ici à ses lecteurs. Son propos, quoique organisé par chapitres, est très décousu et rassemble un pêle-mêle de souvenirs de rencontres avec cesdits lecteurs, lors de foires du livres, de rencontres scolaires, etc.
Auteur célébrissime du Prince de Motordu, Pef joue ici aussi à transformer certains mots pour leur conférer ses pensées et émotions. Il ne s'agit pas d'une succession de mêmes anecdotes, ce qui deviendrait très vite ennuyeux. Il se focalise sur certaines qui l'ont marquées. Comme ce grand gaillard bûcheron ébouriffé qui lui demande s'il le reconnaît. Lui oui car il l'avait écouté dans sa classe en primaire près de vingt ans auparavant.
Ou cette lecture conférence dans un refuge pour SDF où l'auteur s'interroge sur ce que peut signifier s'amuser avec les mots et l'imagination pour des hommes confrontés à une dureté existentielle sans pareille.
En fait, ce que j'ai apprécié le plus dans ce petit éloge, c'est qu'au-delà des anecdotes, Pef fait état des situations socio-économiques qu'il rencontre à travers son public. Des situations souvent difficiles et contrastées. Telles ce gamin de zones sensibles giflé par sa mère parce qu'il raconte qu'un écrivain est venu à l'école et que sa mère pense qu'il raconte des bobards: un écrivain, ça ne vient pas dans cette école. Alors que dans un institut pour gosses d'ambassadeurs en Suisse, on explique à un Pef peu au fait de la mode que la petite fille en robe déchirée n'est pas une nouvelle Cosette mais porte du Calvin Klein. La distance entre ces deux exemples, et d'autres, n'est pas que spatiale...
Il y a donc plus que les "simples" souvenirs d'un auteur-illustrateur-humoriste dans
Petit éloge de lecteurs. Beaucoup d'émotions, des sourires, des tragédies, des rencontres où Pef se dévoile et découvre parfois autant sur lui que sur les personnes en face de lui. Son ton reste léger même en abordant ses parties les plus graves. Il émane de sa prose une telle joie de goûter, jouer, détourner la langue que c'est régal à le lire et tentant de se lancer dans le jeu soi-même. Finalement, je me demande si ce livre n'est pas indispensable malgré tout...