Le "Pèlerin" était un cargo de 2500 tonnes de la "Dreyfuss et Cie"
De Marseille.
Après avoir relié pendant deux ans les comptoirs africains à la cité phocéenne, le vieux "Pèlerin" était fatigué, usé par tous ces milles parcourus.
Ses tôles gémissaient, son moteur était à bout de souffle et son équipage ne pensait qu'au retour prochain.
Mais à Dakar, l'agent général de la compagnie, Mr Alexandre, avait décidé que le vieux cargo devrait faire route vers Rio de Janeiro et devrait donc passer la ligne de l'équateur ...
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Passage de la ligne" est un petit roman, ou une longue nouvelle d'un peu plus d'une centaine de pages, d'Édouard Peisson.
Il a été publié en 1935 aux éditions "Grasset", et réédité, en 1946, au "Livre Moderne Illustré" des éditions "J. Ferenczi et fils" avec des illustrations de Marcel Mouillot.
Et, ces illustrations, à la fois discrètes et cardinales, ouvrent chacun des chapitres du livre.
La personnalité singulière et le talent de Marcel Mouillot ont délicatement posé sur cette édition un petit supplément d'âme au roman d'
Edouard Peisson.
Entre 1900 et 1930, la marine marchande qui vient déjà de subir le passage de la voile à la motorisation, connaît encore et toujours de nouvelles transformations : les bateaux s'affinent, la radiotélégraphie fait son apparition, la vapeur cédera bientôt la place au diesel ...
"Le Pèlerin" ne possédait, lui, aucun moyen de transmission avec la terre.
Ce qui a son importance dans le récit.
Ce détail, induit mais non précisé par
Edouard Peisson, va imprimer à son roman tout son caractère tragique.
L'équipage est prisonnier du vieux navire et de l'océan.
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Passage de la ligne" est un huis-clos étouffant où il ne sera aucunement question d'un quelconque baptême de franchissement de l'équateur.
Pas de tribunal où trône Neptune !
Pas de convocation à aller chercher dans l'endroit le plus improbable du bord !
L'équipage du "Pèlerin" a bien d'autres soucis en tête ...
Édouard Peisson, comme à son habitude, nous offre un récit où il privilégie la peinture des personnages à celle des décors qu'il ne tend qu'en arrière plan.
Pourtant, la chaleur est ici un des éléments essentiels, tellement bien saisie dans l'écriture qu'elle en devient presque tangible.
Soudain le matelot Monteil est pris de douleurs aux reins.
Son corps devient rouge brique et il ressent une forte douleur au côté droit du front, jusque dans la nuque.
Pris de frissons de froid et enfermé dans une impression de brûler, le matelot Monteil est au plus mal.
Le matelot Monteil est mort !
Latour, un matelot chauffeur est malade à son tour ...
Qu'est-ce qu'il y a donc à bord ?
Edouard Peisson fait monter la tension jusqu'à presque la révolte, jusqu'à l'angoisse.
L'épilogue est assez inattendu.
L'auteur s'était mis une tragédie de côté pour finir dans l'émotion et le sentiment.
Mais tout ici est maîtrisé et reste plausible.
Il n'y a pas de place pour le larmoiement et la pleurnicherie ridicule.
Edouard Peisson est trop attaché à ses personnages pour sombrer dans ces travers d'hypersensibilité et d'exagération.
Ce roman est passionnant.
C'est l'histoire de Pierre Ledur, un jeune lieutenant qui n'aimait que naviguer au Nord, et qui pourtant, par hasard et par fatalité, de retrouva embarqué sur le "Pèlerin" ...