(...) ce village sans ostentation où presque aucun touriste ne pénètre, mais auquel la vie reste fidèle malgré tout. La vie s'y accroche en oubliant les fastes de la modernité et sa mécanique qui voudrait broyer ce qui lui résiste. Nous avons été oubliés, c'est bien mon impression. (...) Une atmosphère blanchâtre et froide, en effet, parfois d'une douceur inattendue. Le temps s'y éternise comme un crépuscule sans éclat et sans fin. Nous sommes toujours étonnés quand un nouveau matin témoigne que l'existence continue, que nous devons affronter comme partout ailleurs des tâches dites quotidiennes, réaliser des projets, entrer dans le vif des choses, avancer...
Langlois s'absente un instant avant de revenir avec une bouteille et des verres, à peine assez propres pour des philistins. Il verse un liquide jaunâtre, un alcool de je ne sais quoi, rude, râpeux, mortel. A la deuxième gorgée, je sens mon esprit flancher. Garette n'est pas mieux. Il bafouille :
- Qu'est-ce que c'est, ce tord-boyaux? Vous voulez nous empoisonner?
- C'est bon pour discuter, dit Langlois.
- Putain, je ne vois plus rien !
Monsieur Cloque, le propriétaire, est un vieillard agité vêtu d'un costume trois pièces salon la tradition. Il est rasé de près, à l'exclusion de sa petite moustache rousse censée mettre en valeur son visage parcheminé. Il doit avoir entre soixante-dix ans et la mort.
On naît dans la contingence, on meurt dans la souffrance ou dans l'inconscience. Entre-temps, on vit comme on peut.
Georges Picard - Le livre qui a changé ma vie