Quoi, vous voulez ma photo ? Ah non, un autographe ?
Après l'effort alors, je finis d'abord de bouffer du pignon
et d'avaler les kilomètres.
Car, remplie d'une sensation de vide
après Et j'ai quelques fois comme une grande idée,
je manquais de toutes ces voix dans ma tête,
ces coeurs qui palpitaient, battaient fort dans ma poitrine.
Pas envie de roman ordinaire, envie d'un défi et de repos en même temps,
d'un petit tour ailleurs pour laisser reposer, infuser.
Alors j'errais dans mon salon quand, une idée fusant,
je me dis que pour faire un petit tour il n'y a qu'un pas à faire vers ma bibli
- ou qu'un tour de roue… Et si je m'offrais un petit Tour de France dans la tête d'un cycliste moi ?
J'en enfile un, et file sur mon vélo de salon en ouvrant ce livre.
Ca roule ! Tout de suite, j'aime le rythme du texte :
des phrasés liés au souffle du coureur
qui épousent ses coups de pédales, de rein, et ses respirations.
Je m'échauffe dans sa roue, l'esprit libre, en roue libre, sans forcer.
Que se passe-t-il dans la tête d'un coureur qui doit s'occuper l'esprit
pour oublier la souffrance,
la monotonie d'un trajet seul
en échappée
solitaire
dans les montées
la souffrance
quand le peloton
est resté
derrière ?
Je m'essouffle
avec lui
trouve un rythme
pour m'aider
trouve un rythme
pour le suivre
dans ses
échappées
en pensées
pour oublier
cette douleur
dans ses mollets
mes mollets
qui commencent
aussi
à piquer
Alors je m'imagine
à sa place
« la course à la mort
comme si on était tout à coup
dans une arène »
Puis mon programme redevient plat
je déroule mes pensées sur le bitume imaginaire
chasse l'araignée qui grimpe et court sur ma jambe
je dérouille mes muscles endoloris
jusqu'au prochain faux-plat.
« Et pour oublier cette putain de douleur
à chacun sa technique
et la même pour tous.
Le coq-à-l'âne :
laisser la tête courir
pour oublier les jambes,
passer d'un sujet à l'autre,
en trouver un terrible, stressant,
qui occupe le bulbe
pendant trois ou quatre kilomètres.
C'est toujours ça de gagné sur la douleur ».
Alors tout y passe :
de la couleur du maillot au public
aussi nécessaire que critiquable
des paysages qui défilent aux souvenirs d'enfances
en passant par la famille, la fierté, le découragement
mais aussi les sponsors et les tactiques pour l'argent
plus que pour la valeur du coureur
la fierté, le dégoût
du spectacle télévisuel
qui nous permet d'être là
à vivre d'une passion
tout en la réduisant au star-système
au sensationnel
oubliant parfois l'humain sur la machine
l'homme sur la bête - ou la bête sur l'homme :
purée d'araignée qui revient me chatouiller
l'homme qui n'est pas bête
juste parce que son métier est physique
plusieurs d'entre eux ont fait des études,
parlent plusieurs langues.
Ainsi l'auteur justifie discrétos
le fait que son coureur fasse de bons jeux de mots
dignes de cet adepte de l'
Oulipo !
Des transitions au poil d'une idée à l'autre
tiens d'ailleurs, il ne parle pas de poils,
alors que les cyclistes que je connais
se rasent ou s'épilent
en cas de blessure je crois ?
Ca me rappelle la fois
où j'ai essayé d'épiler Chou pour rire
et lui montrer ce que ça faisait
lui qui disait se demander !
Nous avons tous deux découvert alors
qu'il n'était pas cycliste dans l'âme ;-)
Je parle
je parle,
mais ça
remonte
à nouveau
« je relance
en danseuse
Georges vient
me dire
que j'mollis
que ça traîne
que je rêvasse
que les autres
les deux autres
reviennent
un peu.
Ils sont
à quatre minutes
en gros.
Je relance
j'ai mal
sacrément mal
pa-pa
ma-man
j'ai mal aux reins
trop
trop mal
je me rassois
la selle fait presque du bien ».
Il pense au massage
du soir - espoir
que ce soit son tour
son Tour aussi
en tous cas son Etape
car il veut la prime
et oui
ne nous mentons pas
c'est un métier
et pour gagner
le tour
ou le Tour
ou l'Etape
ou la prime
certains sont prêts
à tout…
Cette foutue dope,
on en parle ?
Ouf c'est la fin, mon programme ralentit
Oui on en parle, car
Jean-Bernard Pouy parle de tout
Il parvient excellemment à nous mettre dans la tête du coureur
dont les pensées se poursuivent et s'entrainent
dans un effet boule-de-neige - contrôlé ou pas,
à nous mettre dans son souffle, dans ses jambes.
Sa mise en page suit brillamment le texte
et l'on s'essouffle quand il s'essouffle,
on respire lorsqu'il respire
c'est beau,
c'est à la fois épuisant et reposant.
C'est intéressant, aussi, de découvrir ce milieu
non-pas du haut de la télé mais au ras de la route,
là où ça file, où le public parfois se déchaîne
où ça déraille
où les maladresses des bipèdes créent des accidents parfois mortels.
Le rythme change tout au long du relief et du livre,
le rendant extrêmement vivant.
Et en plus de tout cela, Monsieur POUY n'en oublie pas le scénario.
Excusez, je lève mon livre et le jette sur cette araignée
qui revenait me hanter. Elle s'échappe et je recommence. Compris là ? Non mais !
Un bon moment de lecture car original et intéressant de par l'adéquation entre la forme, le point de vu, et le propos : j'ai bien aimé vivre le Tour de France vu des coulisses.