Jacques Schiffrin

Pour un amateur de la bibliothèque de la Pléiade, lire une biographie de son créateur était chose logique.

Je ne connaissais quasi rien de Jacques Schiffrin, et je dois bien dire que sa vie a été marquée par les tragédies de l'histoire de la 1ère moitié du 20ème siècle...

Jugez plutôt : juif russe dont la famille a tout perdu en 1917, exilé en Suisse, puis en Italie et enfin en France où il obtient la nationalité française en 1927. Il crée la Pléiade, puis se voit mettre dehors par Gallimard lorsque la France est occupée par les Allemands suite aux lois raciales. Après un parcours particulièrement difficile, il arrive à New York (1941) et tente de rebondir.

Il arrivera à remettre sur pied avec un associé une maison d'édition (Pantheon Books) de qualité. Malheureusement, un emphysème contracté pendant qu'il servait comme soldat en 1939-1940 aura raison de lui à 58 ans en 1950.

Particulièrement bien documenté, très plaisant à lire, ce livre m'a captivé.

Pour les amateurs de Gide et Martin du Gard, amis intimes de Schiffrin, ce livre aura également de l'intérêt car une importante correspondance y trouve sa place.

De Bakou à New York en passant par Paris, Marseille et Casablanca, la vie d'éditeur et d'exilé de Jacques Schiffrin, créateur de la collection de la Pléiade dans les années vingt, dont le premier titre fut les Oeuvres de Baudelaire suivi par beaucoup de russes (Gogol, Chestov, Leskov, Tourguenieff, Dostoïevsky, Tolstoï, Tchékhov et Pouchkine, bien sûr) - une collection rachetée après la crise de 1929 (dont on découvre ici les méfaits sur l'édition) par Gallimard. On pourrait reprocher à l'auteur un traitement trop rapide des premières années d'édition, mais cette légère frustration est bien vite oubliée par le souci du détail quand à l'exil de la famille Schiffrin, ce périple d'un an pour échapper au péril nazi, laissant toute une vie derrière eux, pour finalement rejoindre d'autres exilés en masse à New York, espérant une recommencement qui n'arrive pas, imaginant un retour dans un monde qui n'est plus, allant jusqu'à éprouver "la nostalgie de sa propre vie"...
Schiffrin était l'ami de Gide et il servi de modèle à un autre exilé, le russe Alexeieff (qui partagea son exil américain), pour le dessin de L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, de Cervantès. Un bouleversant ouvrage sur l'édition, la guerre, l'exil et les lettres ; un travail de recherche de toute beauté.