Même si on lui attribue certains traits communs avec celle
De Lautréamont, des surréalistes ou encore d'
Apollinaire, la poésie de
Pierre Reverdy reste à part. dans un registre qui lui est particulier, il s'est démarqué des courants littéraires de son époque.
Témoignage de la singularité de l'écriture de
Pierre Reverdy, son recueil Les
flaques de verre, publié en 1929 à la Nrf. Cet ouvrage regroupe des textes en prose écrits entre 1919 et 1928, textes qui avaient figuré auparavant dans diverses revues et catalogues. Ces
poèmes ont été le fruit d'un travail étroit avec de nombreux artistes peintres et amis du poète qui en ont assuré les illustrations (malheureusement absentes dans le présent recueil) :
Juan Gris,
Pablo Picasso, Georges Braque,
Henri Matisse ou encore Henri Laurens.
La poésie de
Pierre Reverdy définit en creux un espace, celui d'une autre réalité qui n'est pas celle qui nous est familière, visible, tangible. C'est une réalité autre, qui reste à la lisière des choses, se déplace le long des apparences, une réalité tout imaginaire qui fonde son écriture poétique. Reverdy intériorise la réalité, la métamorphose, la transforme sans toutefois l'imiter ou la caricaturer, ni la déposséder de la perception que nous en avons, comme l'on fait les surréalistes.
« J'interroge le silence et l'erreur ; j'interroge la fatalité de la marche, le pêle-mêle du malheur. Chaque mot qui sort et s'aligne doit être un chaînon de la liberté luisante que je gagne. » *
La poésie de
Pierre Reverdy est comme une fabrique d'images, par laquelle le poète contient, met à distance les revendications, les instances du réel. Selon lui, la poésie ne réside pas dans les objets, les êtres ou l'étendue d'un paysage, elle se niche tout entière dans l'esprit, dans la réserve d'imaginaire que chacun porte en soi. La réalité est la source, la condition de notre imaginaire, mais elle n'est pas en soi porteuse d'imaginaire. Seul le langage est en mesure de faire naître en nous la parole poétique.
La poésie de
Pierre Reverdy a tout à voir avec la réalité, même si elle s'en démarque avec précaution. Son écriture est faite de nuances, où les images portent en elles une résonnance, un rythme, un accord secret qui la rend mystérieuse et belle.
« LES IMAGES DU VENT
D'un bout à l'autre, la ligne s'assouplit et se retire- les landes délavées repliant leurs miroirs et les buissons noircis agitant des images - des gestes indécis et de larges grimaces, loin du ciel. Il est à peine l'heure de sortir sous la pluie les routes sont perdues entre les - quatre points et l'air venu de haut et de toutes les sources plane entre les tournants, aux marges des poteaux. L'âne court dans le champ désert et sans abri. La voix qui roule dort dans un repli du vent aucune tête ne dépasse l'herbe rase, liée de ruisseaux creux et secs qu'il faut sauter. Au tranchant lumineux luit la crête des vagues. Un mouvement discret, direct vient au passage où les mains détachées flottent sur le courant sous le regard aigu, la pointe fixe d'un feu rouge vivant et calme dans la nuit. »
(*) extrait de la Porte à portée – p. 167
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