Mythologie de la presse gratuite

On les a tous vu ou lu ces journaux gratuits distribués à la sortie du métro. Que représentent-ils ? Qu'est-ce qu'ils peuvent bien nous dire de notre société de consommation ? C'est à ces interrogations que cherche à répondre la collection Myth'O!. Dans ce court essai d'une centaine de pages, Rémy Rieffel suit un plan classique avec définitions, chiffres et historique dans un premier chapitre. Puis on entre dans le vif du sujet avec des citations de Roland Barthes, Jeremy Rifkin et d'autres. Au final c'est toute l'évolution de la presse gratuite et de son lectorat qui est retracée à grands traits. L'ouvrage est synthétique et agréable à lire. On n'y trouve pas de thèse à proprement parler mais plutôt des questions posées et des inquiétudes partagées par l'auteur. Celui-ci se fait volontiers critique mais toujours raisonnablement.


Au pire il compare «les gratuits» au fast-food des publications périodiques. Avec brio il décrit ce moment postmoderne où la paresse s'empare de la presse, où on se dépêche de lire des dépêches. Il faut que ça soit simple, rythmé, enjoué, léger, convivial, dynamique ou dramatique. Et surtout personnalisé. Il faut que ça nous parle pour qu'on ait envie de lire. On appelle ça un média pull, il doit attirer le lecteur à lui, le séduire. C'est difficile, la cible visée - trentenaires plutôt actifs et urbains - étant occupée par d'autres loisirs numériques. Les frontières se brouillent entre monde des idées et champ du divertissement, bienvenue dans l'ère de l'infotainment. Finit le temps des journaux qu'on "élit" et qu'on lit, de bout en bout, religieusement et régulièrement, parce qu'on a pris un abonnement et un engagement, parce qu'on partage ses valeurs et qu'on apprécie sa ligne éditoriale. L'info est dorénavant un bien de consommation courante comme un autre, soumis à la loi de la proximité et du moindre effort. Son contenu est apolitique, ahistorique, aseptisé. La presse est désacralisée, la politique désenchantée, le niveau baisse… C'est le déclin ?


Le point d'interrogation est ici très important, car Rémy Rieffel n'oublie pas de mentionner les bons côtés du phénomène. Son texte est très nuancé, avec un idéalisme venant parfaitement contrebalancer le pessimisme de certains propos. Une dizaine d'années après la parution de cet essai, ni le tout gratuit, ni le tout numérique ne sont encore advenus. C'est internet, la concentration des médias et l'extension de la sphère marchande qui menacent aujourd'hui. Rieffel avait raison de nous alerter car qui dit marchandisation dit clientélisme, logique de demande consumériste et non d'offre culturelle. Son plaidoyer pour la pluralisme est toujours pertinent. Et son idéal du citoyen éclairé et informé, plus que jamais d'actualité.