(...) et la pluie frappe à présent les vitres de biais avec une violence progressive, une sorte d'épanouissement de plus en plus tragique, elle cherche à effacer mes projets rêves espoirs promesses qui marquent les fenêtres de traces indélébiles.
Je voudrais dire à la pluie qu'elle n'a pas besoin de se donner tant de peine.
Je suis peut-être seule à savoir qu'elle est en train de tout abîmer ; mais cela ne regarde personne d'autre qu'elle et moi.
J'abandonne.
C'est un moment dont j'apprécie l'aspect fuyant, secondaire : la nuit n'est pas terminée, le jour est ailleurs, suspendu peut-être au fond du ciel ou caché derrière les haies ; une sorte d'indifférence dont on peut dire qu'elle est de couleur grise et mouillée descend vers les toits, adoucit les habitants, les arbres, les silhouettes ; moi-même je ne puis ni ne veux y échapper : au cours de cet entracte, je n'ai besoin de penser à rien, pas même à respirer.
Pourtant j'ai pris depuis longtemps l'habitude d'accorder plus d'importance aux fragments de secondes qu'aux siècles ; il m'est arrivé de vivre d'étonnantes aventures entre deux inspirations d'air.
On est vieux, on est sourd, de toute façon on n'a pas envie de se parler, on se hait (...), on sait tout de l'autre, d'avance, avant qu'il ait ébauché un geste, et on ne peut plus le supporter. Mais à l'intérieur de chacun, que de rêves, de souvenirs, d'amours mal éteints, clignotant encore dans ces vies infinies.
Et il arrive qu'on ne puisse recréer l'ordre qu'au-delà d'un désordre-clair, une espèce de 'tremblement d'âme', comme on dit 'tremblement de terre'. Les natures violentes et vraies ont besoin de cela pour s'affirmer conserver une petite place que personne n'a le droit de leur disputer.
Ah vous écrivez : émission du 02 septembre 1977
Trois écrivains au sommaire de ce magazine littéraire de
Bernard PIVOT:
Georges CONCHON pour "
Le sucre"
Dominique ROLIN pour "Dulle griet"
Alexandre ASTRUC pour "Le
serpent jaune"