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Nipimanitu : L'Esprit de l'Eau » de
Pierrot Ross-Tremblay (2018, Prise de parole, 124 p.) est un petit recueil de poésies, avec la spécificité que l'auteur est un Innu de la communauté d'Essipit. Il commence son parcours avec une thèse en Angleterre, à Colchester, University of Essex sur la résistance des Essipiunnuat (Innus d'Essipit) pendant la guerre du saumon des années 1980.
Les Micmacs avaient l'habitude, et le droit, de pêcher le saumon sur la rivière Ristigouche, une des plus belles rivières en Amérique du Nord, mais elle était réservée à l'élite américaine ou canadienne. En 1981, le gouvernement québécois de
René Lévesque demande alors aux Micmacs de lever leurs filets. Refus, et sanction de la part de 500 policiers venus de Québec et Montréal contre les 150 pêcheurs. « Ils sont venus dans le village. Ils ont bousculé les gens. Ils ont menotté ceux qui pêchaient. Ils ont détruit les filets. Ils ont battu des personnes. Ils ont appelé nos femmes des bâtardes, des putains. Ils ont pissé devant les gens, devant les enfants ». C'est le début d'un mouvement dans les communautés des Premières Nations et des Innus lèvent des barricades sur la Côte-Nord. La Commission des droits de la personne s'en mêle, puis avec les jugements et la Constitution de 1982, les Premières Nations retrouvent finalement le contrôle de leurs rivières. C'était une répétition générale de la crise d'Oka : les médias, un problème de fond mal compris par tout le monde, une intervention de force et un potentiel de catastrophe ». Crise qui oppose les Mohawks au gouvernement québecois durant l'été 1990. La crise interfère avec les référendums pour l'indépendance du Québec. Une fracture se produit entre l'approche des médias anglophones et francophones. Une photo de l'affrontement entre un Mohawk et un soldat de l'armée canadienne résume toute la symbolique de la crise qui devient un « lieu de mémoire ».
Pierrot Ross-Tremblay devient observateur à la Commission présidentielle pour les droits humains du Guatemala, directeur de la recherche au Centre de la francophonie des Amériques et responsable de la recherche au Centre des Premières Nations Nikanite. Il est depuis professeur à l'Université Laurentienne, Il a codirigé le numéro de la revue « Liberté » intitulé « Premiers Peuples : cartographie d'une libération » et plus récemment un épais mémoire « Thou Shalt Forget » (Tu n'oublieras pas) (2019, Institute of Commonwealth Studies, 312 p.) que l'on peut trouver en pdf sur Internet. J'y reviendrai, car c'est un document important sur la souveraineté, la résistance et l'oubli de la culture des Premières Nations du Canada.
Son premier recueil de poésie, « Nipimanitu / L'esprit de l'eau » (2018, Prise de Parole, 134 p.) montre une écriture poétique qui témoigne d'une relation très forte et très spirituelle à l'environnement. C'est généralement le cas de ces textes qui invitent à une « réconciliation universelle ». Il suffit pour cela de consulter la liste des titres « Les nectars I / Adorations / Les confluences I – Immanents festins » ou « Ecume / Circonstance / Chrysalide ».
C'est une poésie de mots, ou plutôt bouts de phrases, sans verbe. « Des roseaux lunatiques / Abris de quiétudes / Au refuge estuaire de douceur / L'arcade libéré » ou encore « Au chagrin des peu nantis / Un soleil simple et soudain / La paume offerte céleste / Feu d'endurance / Au visage ébloui ». Ces suites de noms t d'adjectifs font comme un flot continu d'expressions, matérialisant « l'esprit de l'eau ».
« Amants fidèles / Au clair d'une lune entière / Nos ébats sont des feux / Prières d'enfants torrents de rire /Miroir des saintes tendresses // Parcours indécis des affluents / Entre les sables et les roches / le lichen et les nouvelles pousses / Les effluves du jour s'amoncèlent / Se marient et s'unissent // Duplication et multitude / le rythme naissant croît / Et se meut la soif plénière / L'appel est lancé // Nipimanitu ». Il faut reconnaître que c'est parfois à la limite de la mysticité ou de l'ésotérisme.
C'est quelquefois plus poétique. le soleil grand-père des ombres / Illumine de son destin / le soulèvement, tendres trèfles / Marguerites effrontées / Aux détours inconnus / Nuit de nos corps / Orages et éclairs / Fine glace ».
Quoi qu'il en soit, je pense que l'important dans son oeuvre réside dans ses écrits sur la culture et la perte (et le désir de retrouver) la souveraineté de leurs territoires d ces Premières Nations. On pourra consulter à ce sujet l'excellent site https://kwahiatonhk.com/ qui traite de la culture et du salon du Livre des Premières Nations qui a lieu maintenant chaque année dans la région de Québec à la fin du mois de novembre. Plus qu'un évènement littéraire, c'est un lieu de rencontres entre les auteurs des Premières Nations et le public.