« …comme si, par la copulation, j’allais découvrir l’Amérique. »
Docteur Spielvogel, voici mon existence, mon unique existence, et je la vis au milieu d’une farce juive ! Je suis le seul fils dans cette farce juive.
Avec une existence comme la mienne, Docteur, qui a besoin de rêver ?
Seigneur Jésus, un juif dont les parents sont toujours vivants est un gamin de quinze ans et restera un gamin de quinze jusqu'à leur mort !
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""Alex, promets-moi de ne pas risquer ta vie en faisant des folies." Mon Père de nouveau: "Parce que tu es la fleur des pois Alex!" dit-il, dérouté et au bord des larmes devant mon départ imminent de la maison, "et nous ne voulons pas que cette fleur se brise avant longtemps!"
Seigneur Jésus, un Juif dont les parents sont vivants, est un gamin de quinze ans et restera un gamin de quinze ans jusqu'à leur mort !
Toujours est-il que Sophie m'a maintenant pris la main et , le regard voilé, attend que j'aie énoncé en bredouillant le dernier titre de gloire qui me vienne à l'esprit, la dernière action édifiante que j'aie accomplie , puis elle prend la parole , "Mais pour nous, pour nous, tu es toujours un bébé, chéri. " Ensuite vient le chuchotement, le fameux chuchotement de Sophie que tous les gens présents dans la pièce peuvent entendre sans même tendre l'oreille, elle est si attentionnée, "Dis-lui que tu regrettes ! Donne-lui un baiser ! Un baiser de toi changerait le monde. "
Un baiser de moi changerait le monde ! Docteur ! Docteur ! Ai-je dis quinze ans! Excusez-moi, je voulais dire dix, je voulais dire cinq! Je voulais dire zéro. Un Juif dont les parents sont vivants est la moitié du temps un bébé sans défense. Ecoutez, venez à mon aide! Et vite! Libérez-moi de ce rôle que je joue dans la farce juive du gosse étouffé ! Parce qu'elle commence à perdre son charme à trente-trois ans !
Mais s’agit-il bien de misère humaine ? Je l’imaginais plus noble ! Une souffrance chargée de sens –peut-être plus ou moins dans l’esprit d’Abraham Lincoln. Une tragédie, pas une farce ! Quelque chose d’un peu plus sophocléen, voilà ce que j’avais en tête. Le Grand Libérateur et ainsi de suite. L’idée ne m’avait à coup sûr jamais effleuré que je finirais par tenter de libérer de l’esclavage ma seule biroute. LIBEREZ MA PINE ! Le voilà, le slogan de Portnoy ! La voilà l’histoire de ma vie, tout entière résumée en trois mots grossiers et héroïques.
Quant à moi, jamais je ne m’approcherais de cette piscine, même si on me payait –c’est un bouillon de culture pour la polio et la méningite cérébro-spinale, sans parler des maladies de la peau, du cuir chevelu et du trou de balle –le bruit court même qu’un gosse de Weequahic qui s’était aventuré un jour dans le bain de pieds entre le vestiaire et la piscine était véritablement sorti à l’autre bout sans ongles à ses orteils.
Et puis à Athènes elle menace de sauter du balcon à moins que je ne l’épouse. Alors, je m’en vais.
Alors que tous les autres fils ont assuré leur postérité, eh bien voilà ce qu’il a fait, lui –il a chassé le con. Et le con shikse, qui plus est ! Chassé, reniflé, lapé, shuppé, mais par-dessus tout, il y a pensé. Jour et nuit, au travail et dans la rue –à trente-trois ans d’âge, et il rôde toujours dans les rues, avec les yeux hors de la tête. Un vrai miracle qu’il n’ait pas été réduit en bouillie par un taxi étant donné la façon dont il traverse les grandes artères de Manhattan à l’heure du déjeuner. Trente-trois ans, et toujours à mater et à se monter le bourrichon sur chaque fille qui croise les jambes en face de lui dans le métro. Toujours à se maudire de ne pas avoir adressé la parole à la succulente paire de nichons qui monta vingt-cinq étages seule avec lui dans l’ascenseur ! Puis à se maudire aussi bien pour le motif inverse !