"Voilà l'étude où nous écrivions nos premiers poèmes..."
dit Bernis au Narrateur lorsqu'ils se souviennent de leur enfance.
Et s'il y a trois parties dans ce roman, on pourrait dire qu'il y a trois poèmes différents. D'abord, le poème de l'aviateur et de la terre vue du ciel, soit essentiellement la première partie, lorsque les paysages défilent, que le pilote admire le désert et le ciel étoilé. Seul dans son véhicule, il défie la nuit, la tempête, les Maures présentés comme des sauvages. C'est un héros moderne, un chevalier qui accomplit une quête, arriver à l'heure et apporter le courrier qui relie les amants du monde. C'est le poème des grands espaces et le poème de l'aventure, c'est de l'épopée. Il y a une tension dramatique, puisque les différents postes guettent l'avion et l'aviateur, se donnant des nouvelles.
J'ai beaucoup apprécié cette partie, qui ressemble un peu à
Terre des hommes que j'avais déjà lue. D'un point de vue historique, c'est la description des premiers temps de l'aviation, où chaque vol réussi est encore une prouesse collective, où chaque mécanicien et chaque boulon ont leur importance. C'est aussi le temps de la colonisation, même si elle semble bien faible cette présence française au milieu du Sahara, bien inutile aussi.
Le deuxième poème est un chant d'amour lyrique sur le ton de l'élégie. Bernis et le Narrateur aiment tous les deux depuis l'enfance Geneviève. C'est une princesse de conte de fée, abandonnée, seule, si seule. Oui, c'est un chant d'amour triste, on comprend dès le début toute la souffrance de Bernis qui, tel Orphée, n'a pu sauver celle qu'il aime. Je parle de lyrisme, car cet amour est raconté dans son cadre, cette vieille demeure de famille, cette campagne écrasée de soleil ; comme pour l'aviateur, la nature et le paysage ont une place très importante pour l'amant. C'est cependant la partie que j'ai le moins appréciée ; certes, elle permet d'humaniser Bernis, de le relier au monde des hommes plutôt qu'uniquement parmi les héros volants, mais Geneviève est présentée de façon trop rapide pour qu'on puisse s'attacher à elle et la comprendre, ou ressentir de l'empathie.
La troisième partie, le troisième poème, pourrait être celui de l'amitié qui unit les deux hommes, Bernis et le Narrateur. Souvenirs d'enfance, études partagées, mêmes goûts pour l'aventure, mais aussi même sens du devoir seuls dans le ciel ou dans le sable. Et cette amitié s'achève tragiquement.
Un beau et long poème donc, un peu déséquilibré cependant pour moi dans sa construction puisque l'histoire d'amour n'avait, selon moi, pas besoin d'être aussi longue.