L'arrivée des italiens en Belgique, fin des années 50. L'histoire véridique est vécue et racontée par un petit garçon italien. C'est parfois à mourir de rire et parfois à grincer des dents. Ce livre me touche particulièrement parce que je suis italienne et je vis près de la région où se déroule l'histoire.
On retrouve la cantine des italiens, on se souvient du langage italo-belge inventé par les enfants belges et italiens, des disputes entre les italiens de différentes régions d'Italie, des enfants qui détruisent en 1 minute le travail d'un vieil italien qui se cassait le dos à faire pousser des légumes sur les terrils.
Il s'agit néanmoins du drame de l'émigration. Et l'histoire pourrait être la même actuellement pour les slaves, trucs et autres étrangers qui changent de pays par la force des choses.
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Le livre est non seulement un hommage d'un fils à son père, mais aussi un hommage à tous ces hommes qui ont quittés leurs familles, leurs terres, leur pays pour venir "s'enterrer" dans le ventre de la terre belge.
La préface est de ce livre est magnifique, écrite avec tellement de justesse et avec ce qu'il faut pour donner de l'émotion.
Les personnes qui ont vu le spectacle "Les fils du hasard" et qui ensuite lisent ce livre retrouvent les mêmes codes, cette même émotion qui nous transporte dans cette communauté.
J'ai également été ravie de découvrir plus en détail l'histoire de cette région du centre connue pour son tourisme minier, mais qui a dû batailler dur et qui a souffert avant d'être inscrite au patrimoine européen, ainsi qu'au patrimoine mondial de l'Unesco.
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Je me rappelle qu'en fin de sixième, on nous a demandé ce que nous comptions faire plus tard. Dans notre classe, en particulier dans les sections B et C, la majorité se destinait à l'école technique ou à l'usine. Franco, Nino, Rosario voulaient devenir électriciens; Joseph et Pippo mécaniciens; Arturo et Peppe menuisiers et puis les autres qui ne savaient pas. Moi, en accord avec la sentence que mon père avait rendue des années plus tôt, j'ai répondu que je voulais devenir médecin. Stupeur! Notre brave instituteur a failli s'étrangler. Il s'attendait à tout sauf à ça, le pauvre. Il m'a expliqué, le premier moment de surprise passé, que pour ce faire, il allait me falloir de longues études très chères et surtout il allait me falloir être très intelligent. En tous cas, beaucoup plus que je ne l'étais. J'ai trouvé ses arguments tout à fait acceptables mais ça n'a pas été l'avis de mon père quand je les lui ai rapportés. Il a piqué une de ces crises bleues où tous les saints du Paradis sont devenus cocus et toutes les saintes putains: "Porco Diavolo! C'est moi qui décide si mon fils est intelligent ou non! s'il doit aller à l'école jusqu'à cinquante ans pour devenir dottore, eh bien il ira jusqu'à cinquante ans!"
En fait, parmi les longues listes des malheurs que l'immigration déversait sur sa tête, celui que ma mère considérait être le plus terrible à supporter - la véritable déchéance humaine - était sans aucun doute le fait qu'elle ne pouvait pas s'habiller avec raffinement. Donc, dans cet ordre d'idées, un départ pour Charleroi était pour elle une occasion exceptionnelle de sortir sa garde-robe. C'est pourquoi elle préparait à chaque fois le voyage très soigneusement et longtemps à l'avance.
Pourtant, ce jour-là, rien n'avait annoncé un départ. Pas même le bain obligatoire. Et lorsqu'on m'a dit qu'on partait voir les Zii de Charleroi, j'ai tout de suite compris que quelque chose ne tournait pas rond.
C'était un après-midi en plein milieu de la semaine, mon père n'avait pas été travailler. Il avait passé toute la matinée, avec d'autres hommes, chez Pépino a écouter la radio et à déchiffrer des journaux qu'on avait ramenés de Morlanwelz :"Qu'est-ce qu'il dit?"
- Aspetta, tu vois bien que je lis !
- Il dit qu'il y'a 2 à 300 morts !
Un silence étouffant c'était installé dans la pièce. Un de ces silences ou tout le monde attend, comme une bouée de sauvetage ou que quelqu'un l'interrompe très vite tant il te prend à la gorge. La fumée de plusieurs paquets de Mervil répandait une odeur âcre et piquante qui faisait pleurer les yeux de certains.
- Ma allez, qu'il exagère toujours ! … S'il fallait croire tout ce qu'il raconte !
- Mais qu'est-ce qu'on est venu faire ici !
- On donne des noms?
- Non! Mais il dit qu'il y'a beaucoup d'italiens.
- Moi, je retourne au pays !… Je ne reste plus ici !
- Il y'a quelqu'un qui a des parents là-bas?
- Moi, j'ai un beau-frère.
Voilà pourquoi on partait subitement à Charleroi.
1956, Marcinelle, le Bois du Cazier. Une mine s'écroule entraînant avec elle 263 mineurs dont plus de 200 sont italiens. C'était au mois d'août et je ne me souviens plus s'il y'avait du soleil ce jour-là.
Toutes les sirènes des charbonnages de la région se sont mises à gémir. l'Etoile est restée silencieuse ce jour-là. Une voiture nous a déposé à Marcinelle. C'était la première fois que je montais dans une voiture. J'ai trouvé cela très gais.
Tout au long du trajet, j'ai vu défiler devant moi des paysages noirs, des maisons sombres, des trams livides et des gens consternés.
Les sirènes de trois camions de pompiers qui passent à toutes vitesse stoppent la voiture.
Lorsque qu'on s'est arrêté une deuxième fois, nous sommes arrivés.
Mon oncle était sain et sauf. Nous l'avons trouvé sur le pas de la porte attendant je ne sais qu'elle venue présidentielle. Il m'a semblé très vieilli. A peine étions-nous entrés qu'il s'est mis à nous raconter, comme s'il voulait s'excuser d'être encore en vie.
Je n'ai plus qu'un vague souvenir de ce qui s'est passé par la suite, mais je peux dire que quelque chose avait changé à l'Etoile. Pendant plusieurs jours, les sujets de conversations tournaient tous autour de la catastrophe et on parlait de retour au pays. Pas mal avait déjà pris la décision de rentrer, d'ailleurs.
La bande de gosse de la cantine maigrissaient à vue d'oeil. Toto, mon meilleur copain a disparu un jour, tout comme Sanson et Scugnizze … Ils avaient suivi leur père qui allait reprendre, comme si rien ne s'était passé, l'élevage des cochons ou la culture des olives. La Belgique deviendrait pour eux un souvenir parmi tant d'autres, une parenthèse de plus.
Et toi, papa, pourquoi n'es-tu pas retourné aussi? Pourquoi n'es-tu pas allé reprendre ce métier de barbier qui sent si bon le savon et l'eau de toilette?
En fait, tu vois, si je me coupe des bouts de doigts, c’est pour ne pas perdre la tête !… Tu vois, le danger, c’est la résignation. Le danger, c’est quand tu laisses le sort te tomber dessus comme les saisons d’une année. Tu vois, tu supportes et puis tu t’habitues et tu finis par trouver normal que la vie soit comme ça. Ton cerveau se vide et dans la tête, t’as plus que de la polenta. Et moi, la polenta, je l’aime dans l’estomac, pas dans le crâne !…
Et nous, ceux de la deuxième génération, nous sommes passés à côté d'eux sans jamais les avoir vus totalement. De leur vie, nous n'avons retenu ce qui intéressait notre propre histoire, donnant de l'importance à ce qu'eux considéraient comme simples anecdotes. Nous, on parle de la mine, eux de la guerre et du fascisme. On retient les corons, eux la misère du pays...
Mon père disait "C'est le sirocco qui est mauvais pour les poumons des mineurs."
C'était aussi un homme tranquille qui se réfugiait dans le silence comme d'autres dans un lit douillet. Il disait toujours : "Si tu dis quelque chose qui soit plus beau que le silence, alors parle. Sinon, tais toi !"