------------ Note de lecture pour Huis clos ------------
« L'enfer, c'est les Autres. » (p. 93, Scène 5), je connaissais la citation, il était temps que j'en connaisse le contexte.
Il m'est difficile d'écrire une note sur cette pièce de théâtre, dont je connaissais trop d'éléments, ayant ainsi perdu le plaisir de la découverte, celui d'être désorientée par les premières scènes et de comprendre petit à petit, en même temps que les personnages eux-mêmes ; je n'ai pas eu le plaisir de me demander ce que tout cela signifiait, tellement je connaissais les grandes lignes des exégèses habituelles et tant il m'a été impossible de les oublier.
C'est bien dommage, car au-delà de cela, j'ai apprécié cette pièce au style sec et direct qui dit sans détour la difficulté d'être et surtout la difficulté de faire coïncider l'idée que l'on a de soi et ce que l'on est vraiment. Et c'est là que les autres sont un enfer, parce que c'est leur regard qui nous obligent à nous voir comme nous sommes et non comme nous croyons être. C'est ce regard qui nous fait bourreaux les uns des autres, volontairement ou à notre corps défendant. Ce livre me fait me demander à quoi pourrait bien ressembler le paradis, si l'enfer ce sont effectivement les autres, leur seule existence et leur simple présence ?
Voici une lecture qui m'a donc réconciliée avec Sartre (et ce n'était pas gagné d'avance !). J'espère que j'aurai l'occasion de voir cette pièce au théâtre un jour, car la mise en scène et le jeu doivent probablement renforcer son message et le sentiment d'inéluctable qui se dégage de cette pièce. Si elle n'apporte pas beaucoup de réponse, elle exprime bien, au moyen d'une métaphore, cet existentialisme que Sartre défendait, et auquel Camus a apporté une touche d'espoir qui n'existe pas ici. Ici, il ne reste que le constat amer et lucide de Garcin pour conclure cette grinçante comédie humaine qui n'aura pourtant jamais de fin : « Eh bien, continuons. » (p. 95, Scène 5).
------------ Note de lecture pour Les Mouches ------------
Je ne connaissais rien de cette pièce de théâtre avant d'en commencer la lecture, et j'ai été surprise, en voyant la distribution des personnages d'y découvrir Oreste, Electre et Clytemnestre. Les mouches n'est donc autre que la réécriture de cet épisode de la mythologie grecque où Oreste, pour venger le meurtre de son père, tue le nouveau roi d'Argos et sa propre mère, devenant d'un même coup d'épée justicier et matricide.
Si la pièce met du temps à se mettre en place et que les tergiversations d'Oreste au cours du premier acte m'ont un peu lassée, le propos gagne en intensité dans le second acte et, surtout, dans la joute verbale entre Oreste et Jupiter une fois le crime commis.
Cette pièce est bien-sûr sur la liberté de l'individu. Jupiter, et avec lui toute religion, est largement mis à mal par un Oreste transpercé par la réalisation de sa liberté. Et c'est une pièce sur le remords, les mouches en étant la vivante métaphore. Si la partie sur le remords ne m'a pas tout à fait convaincu, même si la réaction d'Electre, dépassée par son crime et par la réalisation de ce qu'elle a fait et le contraste qu'elle incarne face à Oreste est bien amené, la vision de la liberté que donne cette pièce semble déjà un résumé des positions existentialistes de Sartre.
Oreste, exilé pour échapper à la mort auquel le régicide Egisthe voulait le vouer, a reçu une éducation sans entrave. Mais cette liberté est difficile à porter, elle est légère, tellement légère qu'Oreste ne semble pas toucher terre et survoler sa vie et ce monde. C'est son acte radical qui l'ancre dans le monde et le met sur son chemin à lui et à nul autre. En bon Sartrien, Oreste nous dit que l'action est indispensable, et surtout une action en accord avec ses principes. « Mais que m'importe : je suis libre. Par-delà l'angoisse et les souvenirs. Libre. Et d'accord avec moi. » clame-t-il à sa sœur qui elle est rongée par le remords (p. 224, Scène 1, Acte 3). Oreste se révèle certes fort, au-dessus des Dieux, inflexible, mais peut-être amoral aussi, et c'est là qu'il me semble que le système de pensée de Sartre a ses limites, mais c'est une autre histoire.
Enfin, je ne peux m'empêcher de revenir sur le contexte historique, puisque cette pièce a été créée en 1943, au Théâtre de la Cité dans un Paris occupé. Pourtant, je n'ai pu y voir l'appel à la résistance que certains veulent y lire. Il est certes question d'engagement (et cet engagement semble pouvoir être légitime jusque dans l'assassinat), mais rien, absolument rien, ne me fait penser à la Résistance, que Sartre a d'ailleurs bien peu défendu. J'ai vu dans cette pièce un message beaucoup plus large, et certainement pas l'acte d'un Sartre politiquement engagé. Cela permet certes à cette pièce de conserver tout son intérêt au-delà de l'époque qui l'a vue naître ce qui doit être mis au crédit de Sartre l'auteur, mais cela fait me semble-t-il un argument de moins pour les défenseurs de Sartre l'homme.
Je n'ai pu cependant m'empêcher de penser à l'Antigone d'Anouilh, qui, je l'ai découvert, a été créée à peine six mois plus tard, en février 1944 au Théâtre de l'Atelier. le même procédé de la réécriture d'un mythe est utilisé, avec ici un message de liberté de penser et de nécessité d'agir contre un ordre jugé injuste, même si la lutte est perdue d'avance, bien plus clair. Antigone m'a semblé une pièce beaucoup plus forte que Les Mouches, qui happe du début à la fin et ébranle profondément le lecteur, une des rares pièces que je relis avec plaisir et que j'espère vraiment pouvoir voir un jour. Les Mouches, au début plus lent même si le troisième acte dédommage le lecteur pour cette faiblesse, est aussi une lecture qui donne à réfléchir et qui, même si elle n'emporte pas tout à fait mon adhésion, me fait penser que, décidément, j'aime le Sartre de ses premiers écrits, qu'il y a une vision de la vie dans laquelle puiser, et je ne manquerais pas, dans la salle d'un théâtre ou dans les pages d'en livre de venir à nouveau m'y abreuver.
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Après un long moment d'absence, ou de petits passages rapides sur Babelio, je signe mon grand retour pour mon plus grand plaisir. En effet, il est parfois difficile de concilier vie familiale, vie étudiante, vie babélienne. Cependant, je suis certaine que vous me comprendrez. Trêve de ma petite personne, je poste cette critique avant tout pour cette pièce de théâtre, non mais oh !
Je n'ai pour l'instant lu que la première pièce, Huit-Clos ( honte à moi ! ). Je dois avouer que n'étant pour l'instant pas experte en philosophie (puisqu'il s'agit de ma première année), cette pièce quoique bien tournée, ne m'a pas réellement captivée durant les quatre premières scènes, je précise qu'il n'y en a que cinq. Pour être honnête, je n'y comprenais rien. Mais je dois avouer qu'après avoir étudié quelques aspects en classe, elle m'a bien plus parlé, je me suis même demandé pourquoi j'étais passé à côté du sens ! J'en suis donc venu à une nouvelle lecture, plus calme, moins rapide, afin d'attacher de l'importance à chaque passage pour lequel mon attention se portait.
J'en ai donc conclut qu'il ne s'agissait pas que d'une simple fiction mais d'une réelle réflexion sur le regard des autres.
En effet, Sartre veut montrer le caractère puissant du regard à travers des personnages forts qui dans la pièce sont morts. Inès, pour résumer, est une garce, intelligente et homosexuelle. Estelle, quant à elle, est une idiote et hétérosexuelle, elle a également un ego surdimensionné. Enfin, le seul personnage masculin est Garcin, un homme lâche qui ne supporte pas ce qu'il est, il a peur du regard des autres et du jugement des hommes. Chacun est dans une quête de respect et de reconnaissance de l'autre. Bien sûr, cela créera des conflits qui scanderont la pièce. Il ne faut pas faire taire les conflits. Le regard de l'autre ne témoigne donc pas de notre véritable identité, elle en est subit.
C'est un réflexion sur l'autre qui peut tous nous toucher, car au fond, qui n'a jamais essayé de paraître dans une volonté de plaire à autrui ? Qui n'a jamais eu peur d'être mal jugé pour ses actes ou l'image qu'il renvoie ? Toutes ces questions sont celles, en gros, posées par Sartre ce qui rend cette pièce de théâtre bien plus intéressante qu'aux premiers abords.
Bonne lecture à tous !
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Suis je un fan de Jean Sol Parte ?
Si l'on en croit la désencyclopédie, probablement tenue par le digne rejeton de Bison Ravi, "Jean-Sol Partre (1905-2005) est le plus grand philosophe louchant depuis que René Descartes fantasmait sur le strabisme. Son premier louchage de plomb, L'être et le néant, constitue la base du rien du tout de la philosophie de l'après-guerre. Fumant jusqu'à 42 paquets de Gitanes par jour, il aurait causé à lui seul le réchauffement de la planète et fut exécuté à Kyoto."
Je m'en défendrais bien : sa tête ne me plait pas, le culte qui lui fut rendu dans les années 50-60 m'agace, et certains de ses engagements politiques me semblent, vus du XXIème siècle, totalement out... je ne ferais donc pas partie, c'est sûr, de la foule en délire l'accueillant pour sa dernière représentation au Parc des Princes... pardon ok ça c'était Johnny...
mais bon pour les mêmes raisons j'aime pôôôô les idoles.
Et pourtant...
O rage, O désespoir ! son oeuvre trône en bonne place dans ma bibliothèque. Pire : j'ai lu vite et sans effort particulier chacun de ces Mots, sans Nausée, en un huis clos délectable, des mouches d'intelligence plein les yeux, et l'Existentialisme ne m'a pas empêché de me salir les mains, ni de me prendre des murs... bien au contraire...
Bref, que je le veuille ou non, je dois beaucoup à Jean Paul Sarte et je ne peux que louer sa qualité d'écriture -rien d'avant-gardiste, c'est vrai, mais c'est précis, efficace, et porteur d'émotion malgré tout- , ses éclairages philosophiques, et la force de ses engagements -à l'époque- anticonformistes. Et, justement à cause de cela, je suis certain qu'il pardonne, depuis sa tombe de Monparnasse, à ceux qui tournent en dérision l'idée fausse que s'en font ceux qui ne l'ont pas lu.
Le Huis Clos et les Mouches auront sans doute été parmi mes préférés.
Que font Garcin, Estelle et Inès dans ce huis clos théâtral ? Ils se débattent dans un enfer où le regard des autres leur renvoie la vérité de leur existence humaine, générant ainsi leur auto-torture psychologique du fait des actes qu'ils ont accompli et sont à présent incapables d'assumer.
c'est génial de simplicité, implacable, et ça résume bien la thèse existentialiste : oui, on peut exister en tant qu'être libre, (l'existentialisme est donc bien un humanisme) ; on est même condamné à l'être , par ses actions, sauf à être "un lâche" ou "un salaud" , mais le revers de la médaille a pour nom responsabilité.
Les Mouches, autre pièce de théâtre, d'inspiration antique et qui me fait penser pour cela aux pièces de Giraudoux, traite aussi de la culpabilité, du repentir et de liberté. Les mouches (Erynies) n'y sont pas instrument de punition mais vecteurs de repentance, non dans un sens religieux (pour gagner le paradis) mais humaniste : il s'agit d'assumer avec bonne foi sa responsabilité, regagnant ainsi sa liberté...
Quel courage que de faire jouer en 1943, en pleine occupation, cette pièce où la peste infectieuse s'étend sur le pauvre peuple d'Argos, et qui constitue ouvertement un appel à la résistance...
Après, assumer sa liberté/responsabilité existentielle... cela demande aussi beaucoup de courage et est plus facile à dire qu'à faire. Il ne suffit pas de lire Sarte ou Eidegger pour y parvenir. Je finirai donc par une critique : j'ai trouvé plus dans les conseils pratiques de maîtres bouddhistes ou dans la méditation que dans la lecture de Sarte des raisons d'espérer parvenir à ce grand idéal. La même critique pourrait être portée sur Nietzche. A défaut de propositions plus pragmatiques et abordables pour qui n'est pas un "grand homme" ou "une grande femme", le repli nihiliste contemporain n'est pas bien loin... ce qui explique sans doute que notre XXIème siècle soit plus sensible au crash désespéré de Saint Ex ou au wanderung solitaire de Tesson qu'aux mises en scène responsabilisantes de Sarte ou au prêche admonestatoire de Zarathoustra...
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« Huis clos » ou comment « Loft story », « Secret story » et compagnie n'ont rien inventé.
Pour Jean-Paul Sartre, l'enfer se résume à une pièce où se retrouvent enfermées pour l'éternité trois personnes qui ne se connaissent pas : Garcin, un journaliste ; Inès, une ancienne employée des Postes, lesbienne ; et enfin Estelle, la femme d'un vieil homme riche. Au fil de pièce, nous découvrons pourquoi ces personnes sont en enfer et comment chacune se cache derrière le masque de la mauvaise foi. Nous assistons également à leurs échanges où la violence, l'humour, le désespoir et la révolte se disputent. Une pièce, trois personnes, trois canapés, et à tout jamais, le regard de l'autre sur soi, pour l'éternité.
La fameuse citation de Sartre « L'enfer, c'est les autres » prend dans cette pièce toute sa dimension. Je ne reviendrai pas sur les débats qui se sont enflammés sur cette réplique. Je retiens juste de cette célèbre pièce la manière dont Sartre nous révèle à nous-mêmes à travers autrui. Généralement, on prend conscience de nous-mêmes par la vision de nous-mêmes que nous renvoient les autres. le jugement des autres nous façonne et pèse sur nous. Se délivrer de ce jugement se résume à accomplir notre liberté d'homme. Nous ne sommes en effet libres que si nous nous affranchissons du regard des autres, regard prenant sans lequel souvent nous n'existons pas. Tandis que continuer à subir l'autre révèle notre lâcheté et devient notre enfer. Pour les personnages de Sartre, il est donc trop tard. Ils sont morts et condamnés à subir cette relation à l'autre.
Une pièce très courte, simple et directe, qui se lit d'un trait.
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