"
Une croix sur l'enfance", titre polysémique, terrible quel qu'en soit le sens: fin d'une enfance heureuse? ou enfance étouffée par la croix, symbole de la religion catholique?
Vendée, avril 1960.
Jean-Pierre - Jeanjean pour les siens - un gamin ordinaire, un peu souffreteux, petit dernier d'une famille modeste et pratiquante - apprend, à l'issue d'une récollection, qu'il a été "appelé" à devenir prêtre. Dépassé, ne pouvant se confier ni à ses aînés (un frère revenu cabossé de la guerre d'Algérie, une soeur qui s'est hâtée de fuir la cellule familiale), ni à ses parents ( un père "taiseux" retranché dans son jardin, une mère cassée sur son travail de couturière), il devient, à la rentrée scolaire, le matricule 550 au Séminaire de Chavagnes- en-Paillers.
Là, de la 6ème à la 4ème, privation de liberté, tortures subtiles, sexualité brimée et mutilée, et surtout solitude, seront son quotidien. Une chape de silence s'abat sur sa vie: les lettres aux parents sont censurées, les vacances se déroulent sous la surveillance lointaine du directeur de conscience, et sous celle, directe, du curé du village. S'ajouteront lors d'un changement de confesseur, des attouchements dont il apprendra plus tard qu'il n'était pas seul à les subir.
Mis à la porte pour non-adhésion aux règles, il reste muré dans sa solitude, vit sa liberté retrouvée comme une chute, ne sait pas s'adapter à la vie ordinaire, et ne parvient à nouer de dialogue ni avec ses nouveaux condisciples, ni avec ses parents. Sa plus grande souffrance sera la rupture du lien avec sa mère, jusqu'à la mort de celle-ci.
Ce livre comporte trois niveaux de lecture. C'est une trajectoire individuelle. C'est aussi un témoignage sur la Vendée paysanne des années 50-60, où un fils prêtre est à la fois une élection divine et une promotion sociale. Enfin, est posée la question plus large du recrutement sacerdotal dans ces années.
On songe à "
Allons z'enfants" et au petit Simon d'
Yves Gibeau, broyé lui aussi par la férule des écoles militaires. Mais la différence réside dans la violence de la rébellion du jeune garçon et dans la sobriété du témoignage.
Ici, même si on comprend que cette "croix sur l'enfance" ait marqué l'auteur au fer rouge, on regrette la pluie de métaphores un peu faciles et hyperboliques ("Javert en soutane", "dresseurs" pour les prêtres, "grand chaudron", "abattoir à ciel ouvert" pour le Séminaire, "Réunion tupperware précédant notre agrippement" "schizophrénie comportementale" , pour les méthodes) qui affaiblit finalement l'ensemble. La généralisation permanente finit par ôter de la crédibilité au récit: aucun rayon d'amitié, aucune figure positive, à une exception près. On aurait pu être bouleversé: on sort de là un peu lassé, un peu coupable, aussi de ne pas éprouver plus de compassion pour cet enfant qui n'a pas pu, n'a pas su se rebeller.