Grand spécialiste du théâtre classique
Jacques Scherer a, entre autres, édité les deux premiers tomes de la Pléiade consacrés au théâtre du XVIIe siècle.
La dramaturgie classique, dont la première édition date de 1954, a tout de suite été un ouvrage de référence, fréquemment cité par les spécialistes. Une nouvelle version révisée par son épouse a paru en 2013.
C'est un très gros volume, qui passe progressivement en revue la technique des auteurs dramatiques telle qu'elle se met progressivement en place au XVIIe siècle. Scherer considère que le moment essentiel dans la formation des normes de la création dramatique sont les années 1630-1640. Ces nouvelles normes naissent d'une tradition littéraires, mais aussi d'une philosophie de la littérature, et aussi des attentes du public et des contraintes de la représentation. Leur fixation donnera lieu à des débats passionnés.
Jacques Scherer découpe son analyse en trois parties. Il aborde d'abord ce qu'il appelle la structure interne des oeuvres, c'est à dire « les problèmes de fond qui se posent à l'auteur dramatique quand il construit sa pièce, avant même de l'écrire » . Il range dans cette catégorie les personnages, les règles de composition de l'intrigue et l'organisation de différentes parties. Ces règles vont aboutir dans ce qu'on appellera l'unité d'action. Parallèlement, et pour des questions de vraisemblance, l'unité de temps deviendra incontournable. Mais ces règles vont être adoptées avec souplesse, car il ne s'agit pas de perdre les spectateurs en route, et pour maintenir l'intérêt, les auteurs vont privilégier l'action, de mieux en mieux conduite grâce à des techniques plus maîtrisées. La pièce épurée, dans laquelle l'action est simplifiée au maximum, est l'exception sur les scènes.
Dans la deuxième partie,
Jacques Scherer s'intéresse à ce qu'il appelle la structure externe, la « mise en oeuvre » des principes directeurs, guidée par les préoccupations scéniques. L'auteur y passe en revue des questions telles que les décors, les conditions matérielles d'une représentations, comme par exemple l'absence de rideau, la nécessité d'interrompre le spectacle à peu près toutes les demi-heures pour moucher les chandelles, la taille réduite des scènes. Ces conditions jouent sur la composition, la liaison entre les scènes devient ainsi indispensable, compte tenu du temps souvent nécessaire aux acteurs pour venir au devant de la scène. C'est à ces contraintes qu'il rattache l'unité de lieu, qui est nettement moins respectée que l'unité d'action et de temps. D'autant plus qu'il faut satisfaire le goût du public, qui aime être ébloui par ce qu'il voit, et qui compte tenu des conditions de la représentation (une bonne partie du public est debout pendant le spectacle) peut se montrer vite agité.
La troisième partie du livre est consacrée à ce que l'auteur appelle « L'adaptation de la pièce au public ». Il y classe les vraisemblances et les bienséances, et considère que les spectateurs qui au final décident de ce qui est vraisemblable, ou qui même peu vraisemblable il a envie de voir, et ce qui est bienséant. Ce dernier critère varie d'ailleurs dans le temps, certains éléments qui ne choquaient personne, se mettent à le faire avec des changements de moeurs. Il y a aussi les stratégies des auteurs, comme
Corneille, qui trouve dans l'histoire des justifications qui lui permettent de contourner des interdits et de convaincre le public.
L'auteur souligne dans la conclusion, mais il l'avait démontré tout le long de son ouvrage, l'évolution permanente de cette dramaturgie classique, sa souplesse et vivacité. Elle s'élabore en partant d'un désir de renouveler, de perfectionner une pratique théâtrale, où le texte, même si essentiel ne trouve sa légitimité que dans la représentation et dans la rencontre avec un public. C'est d'une certaine manière une construction collective faite par les auteurs, les théoriciens, et aussi les spectateurs de par leurs réactions.
C'est un ouvrage très riche et dense, même s'il est écrit d'une manière très abordable, en évitant des terminologies absconses et en s'appuyant sur de très nombreux exemples concrets. Néanmoins, il vaut mieux connaître déjà quelque peu le théâtre du XVIIe pour ne pas se perdre dans tous les auteurs et théoriciens. Sa longueur, ses analyses poussées, le destine plutôt aux amateurs éclairés, ou aux lecteurs vraiment intéressés par le sujet, plutôt qu'à quelqu'un qui voudrait s'initier.