Ce livre arrive précédé d'une réputation telle que j'ai hésité longtemps à me servir une portion de cette potatoe pie. J'ai fini par l'embarquer dans mon cabas en faisant mon marché à la Bibliothèque. Sans me rendre compte que c'était une édition en gros caractères. Je m'en suis accommodée.
Les premiers chapitres m'ont demandé un effort de lecture: on entre directement dans l'intimité des personnages en lisant leur courrier, ce qui est d'une totale indiscrétion et absolument inconvenant. Peu à peu, chaque correspondant va émerger et se préciser à travers les échanges de lettres et le lecteur commence à s'intéresser à une certaine Juliet, son éditeur Stanley, son amie Sophie, et un certain Mark, admirateur mystérieux qui lui envoie sans arrêt des fleurs.
Tout cela est raconté au début sur un ton bien léger et futile, bien que l'on soit juste à la fin de la guerre, à Londres.
C'est alors que survient un nouveau correspondant, Dawsey Adams, fermier et féru de poésie. Cet admirateur du critique et poète
Charles Lamb se trouve en possession d'un livre ayant appartenu à Juliet. Il décide de lui écrire pour qu'elle lui procure d'autres livres de son auteur favori. Car notre homme habite à Guernesey, territoire anglais qui dut subir l'occupation allemande pendant plusieurs années. Les livres ont servi de combustible et les librairies ont disparu.
Progressivement, nous découvrons en même temps que Juliet le récit de ces quatre années de privations et de souffrances sur l'île, et le courage de ses habitants obligés de vivre en vase clos au milieu de leurs occupants.
A mi-chemin entre la France et l'Angleterre, ils voient passer au-dessus d'eux les bombardiers qui s'acharnent sur leur patrie. Privés de tout contact, ils imaginent le pire. Les pêcheurs n'ont plus le droit d'aller en mer, les radios sont confisquées, les journaux interdits. Parmi la population, une forme de résistance et de solidarité s'organise. Les ressources de nourriture, de vêtements, de médicaments se font rares.
Dernier bien à partager: les livres. Et la fameuse "potatoe peel pie", au cours de réunions nocturnes animées, qui permettent d'oublier un peu l'angoisse de la situation.
Une figure énergique et intrépide ranime le courage de tous, c'est celle d'Elizabeth, jeune femme libre et forte, dont la personnalité se révèle dans ces temps difficiles. On comprend que c'est elle qui soutient le moral de la communauté et s'active sans cesse auprès des plus faibles et des malades.
Au fil du récit, les épisodes tragiques ou inattendus rendent la lecture plus émouvante, à tel point que cette petite île devient un monde à elle toute seule, et qu'on ne voudrait plus la quitter.
Ce livre a été écrit par deux femmes, dont l'une est morte avant la publication, et n'aura j'espère, malgré son succès, jamais de "suite".
Un film doit sortir en 2020. Puisse t-il avoir tout le sel et la saveur des patates de Guernesey, et saluer la mémoire de ses habitants.