Patti Smith a beaucoup compté pour moi durant mon adolescence, elle peuplait mon univers musical, elle devint pour moi une sorte d'égérie, simple, attachante, fidèle et vagabonde à partir du moment où j'ai posé sur une platine ce vinyle flamboyant que fut pour moi l'album "Horses". J'aimais son rock chaleureux et endiablé, sans en comprendre encore toutes les subtilités.
C'est donc en territoire conquis que je suis venu vers ce texte, ce n'était d'ailleurs pas la première fois que je découvrais
Patti Smith autrement que par sa musique.
Par la grâce échevelée des mots,
Patti Smith nous invite ici dans le New Jersey de son enfance. J'ai eu l'impression d'entrouvrir la vieille porte d'une maison abandonnée en pleine campagne, du lierre et des belles-de-jour grimpaient aux murs fissurés, tandis que les herbes trop hautes du jardin, agitées par un vent d'automne, me rappelaient les chemins de ma propre enfance.
Une mélancolie sourde m'a tout de suite envahi, comme celle qui a sans doute envahi l'autrice, écrivant vers l'âge de quarante-cinq ans ce récit de quelques tranches de sa vie.
Glaneurs de rêves pourrait ressembler à un conte de fées tant l'enchantement est présent, mais tout ce que contient ce récit est cependant vrai, ce qui n'empêche pas la féérie de s'inviter dans ces pages.
Elle nous raconte l'histoire d'une petite fille pleine d'imagination qui trouvait de la magie en toutes choses.
Dans ses yeux étonnés, l'infime devenait splendide ou monstrueux. Parfois elle disparaissait brusquement de l'autre côté du paysage, tout en demeurant là bien présente pour les autres, les siens.
L'écriture de
Patti Smith m'a tout de suite empli d'une joie singulière, indicible.
M'entraînant dans un royaume sans roi, elle convoque des personnages bien réels, sa famille, des voisins et puis cet homme étrange et familier, qui vend des appâts pour la pêche en rivière, il est seul ou presque depuis que sa femme est décédée, ce presque est juste là pour rappeler qu'elle est enterrée dans son jardin et qu'il veille sur elle comme peut-être elle veille sur lui...
Les lieux de son enfance sont présents, bruissent et scintillent dans ces pages. On pourrait entendre le bruit du vent, la respiration des étoiles.
Des fleurs sauvages, une vieille grange noire peuplée de chauves-souris...
Patti Smith a cette façon presque irréelle de faire glisser la lumière sur les mots.
Cette lecture oblige à la lenteur et cela m'allait bien aujourd'hui.
Sous le reflet d'une lune bienveillante, la lumière de ce livre m'est devenue fraternelle comme le fut la musique de son autrice, jadis.
Patti Smith porte une relation sensuelle avec les souvenirs de son passé, qu'elle porte en elle comme des talismans. J'ai senti à sa façon de prier, même de manière profane, que le sacré la reliait à ce passé si cher et si intime même lorsqu'elle le fait revenir aussi dans ses chansons, dans ses dessins, une manière incertaine de rechercher quelque chose de plus grand qu'elle en ouvrant une vieille porte couverte de lierre et de belles-de-jour...
Ce livre est un hymne à la vie.
Des photos parfois venues de son album de famille illustrent les textes.
Patti Smith maîtrise cette qualité d'écriture qui rend ces pages si lumineuses.
Mais qui sont ces
Glaneurs de rêves ?
Allongée dans les herbes, contemplant le ciel où se tisse le mouvement des nuages, tandis que les blés sauvages d'un champ égrènent sans relâche les gestes de mains invisibles,
Patti Smith convoque ce peuple féérique qui réinvente l'imaginaire de l'enfance.
D'où vient cette magie du paysage ? À qui appartiennent ces mains invisibles qui façonnent les versants opposés qui se parlent ? L'endroit et l'envers.
Alors le vieux monsieur qui vend des appâts pour la pêche en rivière lui souffle un jour l'idée : ce sont les
glaneurs de rêves.
J'ai été touché par son émotion palpable, cette joie simple et inouïe, mais parfois le chagrin n'est jamais loin lorsqu'un chien traverse une route, tandis que ses yeux savent déjà qu'il va mourir... Au loin un camion roule vite, trop vite et la petite fille sait déjà que c'est trop tard... Elle n'a pas pleuré, moi si...
Se reconnectant aux souvenirs de son enfance,
Patti Smith fait de ce texte autre chose qu'une simple autobiographie : c'est une constellation d'étoiles qui nous donne peut-être simplement envie de cultiver la bonté du coeur.
Soudain, au détour d'une page je découvre une photo qui m'est familière et je me dis tiens je connais cette tête-là, ces yeux à la fois innocents et effrontés, c'est celle très célèbre d'
Arthur Rimbaud. Lui aussi fait presque partie de la famille tant il est intime avec l'autrice.
La poésie de Rimbaud, elle l'a découverte quand elle avait quinze ou seize ans, fascinée par sa langue, l'espace qu'il avait créé, volant d'ailleurs un jour dans une librairie le recueil de
poèmes Illuminations tout comme
Jean Genêt vint à
Proust en volant lui aussi un de ses livres. Rimbaud était son arme secrète, lui donnant confiance en elle, c'est peut-être là que tout a commencé.
Il y a quelque chose de sacré dans la poésie, dans le vent, dans l'échancrure des nuages, dans les blés qui flottent comme des vagues dans le vent, dans les fous rires d'un enfant, dans les yeux d'un chien qui sait qu'il va mourir, quelque chose qui nous élève plus haut que nous, nous mettant en accord pour certains avec la nature et pour d'autres avec le divin, chacun trouvant son compte.
Rimbaud est toujours à ses côtés, dans sa musique, dans ses vers, dans ses dessins, dans ses photographies, dans ses pas...
Il y a quelques temps,
Patti Smith a racheté la maison d'enfance d'
Arthur Rimbaud pour en faire prochainement une résidence d'artiste...
« J'ai fouillé les nuages en quête d'augures, de réponses. Ils se mouvaient à toute vitesse, trame délicate, en forme de dôme. le visage de l'art, de profil. le visage du déni, béni. »
Lire ce livre m'a fait un bien fou.