Le talent de
Jérôme Soligny on a pu le découvrir mille fois. Il y a quelques jours encore, le rock-critique décrochait ses photographies d'une exposition à Villerville alors qu'il signait comme chaque mois ses articles pour Rock&Folk dont il constitue aujourd'hui l'une des plus belles plumes. On l'imagine même peaufiner, entre deux et trois heures du matin, des chansons à la guitare et mettre un peu d'ordre à Writing on the Edge, son anthologie d'articles qu'il faudra bien sortir un jour. Si on connaissait également son talent de biographe et de traducteur, on ne se doutait pas que cela lui laisserait le temps d'écrire un roman, fut-il en partie autobiographique. Alors on a entendu parler de ce roman au fil du temps... on en a connu les péripéties de publications et c'est avec une certaine fébrilité que l'on tint la première fois le livre dans la main : Quel territoire de la vie et l'oeuvre du Rock-Critique normand allait-on découvrir ?
«
Je suis mort il y a vingt-cinq ans. A vingt-cinq ans. D'une mort pas belle. D'abord tombé, le bec dans le sable, sur la plage de Coney Island»
En ouvrant le livre on tombe tout d'abord sur une très jolie préface de Kent, autre artiste protéiforme, autre esthète survivant. Que Kent préface
Jérôme Soligny, cela vient comme une évidence tant ces deux là ont des choses en commun.
Les premiers mots ne laissent planer aucun doute. le titre de ce roman n'est pas une métaphore. C'est un beau titre mais, on le découvre vite, c'est aussi un titre terrible qui annonce une histoire qui ne l'est pas moins. Celle de "Christophe", de "Yann" -certains retrouveront peut-être les vrais noms de ces deux personnes qui ne sont pas tout à fait n'importe qui...-,
De Claire, de Valentin et de bien d'autres qui forment un groupe d'amis au coeur des années 1980. Un groupe d'amis vu à travers les yeux d'un narrateur qui se meurt. Six pieds sous terre, le narrateur se remémore en effet ses derniers jours alors que résonnent les mélodies de son enfance.
« Les gens qui vivent dans un port le savent tous : les aspirations y sont plus grandes qu'ailleurs. »
Le roman est ainsi constitué de tranches de vies normandes éclatées dans tous les hauts lieux de la musique rock. Les amis, les amours, les premiers succès musicaux, les virées à Paris, tout s'enchaine en de brefs chapitres où le style de vie a autant a voir que la vie elle-même. On parle d'art de vie, on parle de lieux de vie : le Havre, qui demeure le théâtre principal de cette histoire, New-York, Paris, Londres mais aussi, hélas pourrait-on dire, l'Afrique. Hélas dis-je, car berceau de la maladie nouvelle, encore inconnue, attrapée au milieu des années 1970 par le narrateur. Mais en lieu et place d'une triste chanson sur le sida, il s'agit ici d'une célébration de la vie, de l'amitié, d'une jeunesse perdue mais sublimée. Célébration de la vie mais également, forcément, récit de cette bataille inégale contre la maladie.
Ce narrateur fut un ami proche de
Jérôme Soligny qui se glisse ici dans sa peau, quelques années après comme pour rendre un ultime hommage. Inutile de chercher le vrai du faux nous disait-il il y a peu pour une interview sur ce roman mais impossible de faire abstraction, impossible de mettre de côté la sincérité qui se dégage du récit. Rien ne sonne faux, inventé ou déplacé. Il y a des passages à vous transpercer le coeur et à vous faire réfléchir sur le vrai sens de l'amitié et de la vie sans que cela ne soit jamais lourd ou redondant. On faisait confiance à la plume de
Jérôme Soligny pour cela : c'est un pari gagné.
Un dernier mot sur les nombreux fantômes qui traversent le récit. Pas de Name-dropping, pas d'artifices pour mettre le lecteur en confiance, juste des ombres que l'on croise au détour d'une avenue ou d'une affiche :
Françoise Sagan dont on cherche l'appartement dans Paris, The Smiths que l'on écoute dans la décapotable, cheveux au vent et la certitude d'avoir la vie pour soi. Sauf qu'on ne l'a pas toujours. Ce livre est un hommage à ceux là. Ceux qui ne l'ont pas toujours mais qui ont autre chose : des héros et parfois des amis plus forts que tout.
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