Une des grandes de la littérature africaine, et même, selon
Alain Mabanckou dans son discours inaugural au
Collège de France, »la plus grande romancière africaine »
Aminata Sow Fall.
Dans «
l'appel des arènes » un livre qui scintille d'intelligence, d'analyse entre la tradition et la modernité de ce Sénégal des années 80, l'auteur ne nous parle pas d'un sujet rabattu, la situation des femmes, vues souvent comme des victimes, ni de la polygamie, mais d'une famille moderne, avec un fils unique.
Lorsque le couple est parti en Europe pour faire des études, l'enfant de 3 ans a été confié à sa grand mère au village.
Voilà, l'enfance de Nalla a été baigné de contes universels, Siga Ndiaye /Eurydice, Banji Koto /le petit poucet. Il a compris quelles étaient ses racines, voyagé dans l'histoire de son peuple, aimé l'héroïsme et le surnaturel, partagé les mythes fondateurs que sa grand mère lui a offert avec son amour, avec aussi son chagrin d'avoir perdu un fils, et son lien à la terre qui nourrit et qui fait oublier non pas l'absence des morts, car ils sont là, bien présents, les morts, mais le chagrin de les avoir perdus.
C'est ça la vie, lui dit elle.
Livre avec retours en arrière, à la manière cinématographique, sans explication et pour expliquer le présent.
Le présent, c'est que le petit Nalla est distrait, ne réussit pas en classe, et sa mère Diattou, campagnarde qui a tronqué ses racines en partant étudier en Europe est navrée, offusquée que l'éducation supérieure qu'elle pense la meilleure pour lui ne lui convienne pas ; elle pleure, cette mère aimante, sans se rendre compte que son amour est lui même tyrannique, et qu'elle s'emporte à la moindre contrariété.
Selon ma lecture personnelle bien entendu, le personnage clé du livre est le Maitre Niang, qui essaie de comprendre la distraction « par moment » de Nalla, et découvre que le son du tam tam envoute le petit.
Niang comprend très vite l'aliénation des parents, d'autant plus dangereuse qu'elle est collective : ayant perdu leurs racines, ils n'acceptent pas que leur fils retrouve ces racines, le passé, la gloire de ce passé, qui s'exprime, concrètement, dans le son du tam tam , durant les joutes des arènes, ponctuées par les poèmes des griots autour du baobab sacré.
Aminata Sow Fall nous invite, et quelle somptueuse invitation, à découvrir le monde des arènes (combats entre hommes, avec rituels mystiques, chants de bravoure destinés à galvaniser les lutteurs, conjuration du mauvais sort, cortège des marabouts, priant pour la victoire, à l'aide de talismans, de gris gris et de bains rituels) ainsi que le monde terrien, à où on peut s'enraciner avec bonheur, les d'oiseaux dits du Paradis, les palmiers qui se balancent en s'entrelaçant, les pains verts de baobab « la rosée peu à peu se dissipe et les joyaux de cristaux qui tout à l'heure ornaient les feuilles pleuvent sur l'herbe grasse. »
Ecriture très subtile, entre l'éblouissement devant la beauté de la nature africaine, et le courage princier des combattants, puisque le combat est ponctué de poèmes déclamés par les griots, faisant appel à des faits glorieux du passé, aux faits héroïques des combattants, rendant aussi les spectateurs fanatiques, enfin entre l'analyse de cette famille sénégalaise, le père, Ndiogou, aristocrate parti étudier en Europe, conciliant, mesuré, comprenant le petit, comprenant que leur éducation avait échoué, que sans qu'ils s'en rendent compte la tige avait pliée et la mère, sortie une bonne fois de ses racines, aliénée, ne se rendant pas compte que l'univers qu'elle veut faire adopter par son fils est le sien propre. Enfin, Nalla, l'adolescent qui par des rencontres humaines sort de sa solitude, retrouve le monde de sa grand mère, ses racines, sa terre, le tam tam qui tape dans le coeur. Selon le Maitre Niang, il a coupé le cordon ombilical avec sa mère, et l'a renoué avec sa grand mère « Un des signes de notre temps. Signe encourageant, d'ailleurs meilleur que le vide, peut être même le salut :.. La grand'mère, c'est encore la terre…. le lien avec la terre. »
Grand roman, subtil roman, ponctué de mots en wolof, réflexion sur la liberté à donner à celui que l'on éduque, sur la mort, jamais définitive, sur l'éveil d'un adolescent prêt à aimer ceux qui le rapprochent de son enfance magique ; livre qui de plus, nous fait connaître la lutte africaine, plus populaire au Sénégal que le football. C'est dire.