Ours debout, c'est à dire
Luther Standing Bear (1868-1939), était un Indien progressiste. Fils du chef Standing Bear, Luther a connu, enfant, le mode de vie des Sioux à l'ancienne. Les grands rassemblements de saison, la vie dans les tippis, la chasse aux bisons. Bien vite, les dissensions apparaissent au sein de la grande tribu des Sioux, notamment lorsque quelques chefs, Spotted Tail entre autres, cèdent des territoires aux Blancs sans consulter leur peuple. Les hésitations à signer les traités, les départs pour les réserves indiennes, rythment la vie des derniers Indiens libres. Lorsque Standing Bear comprend que l'homme Blanc est sur le point de dominer définitivement la race indienne, il suggère à son fils de s'adapter pour survivre. C'est ainsi que le jeune garçon sera parmi les premiers écoliers indiens. C'est à l'école de Carlisle qu'il reçoit le prénom de Luther. Toute sa vie,
Luther Standing Bear aura à coeur de démontrer qu'il peut être aussi intelligent, aussi travailleur qu'un Blanc. Même si son jugement sur les Blancs est lucide, il ne peut s'empêcher de les prendre un peu en modèle. En témoigne l'ambivalence de ses réflexions, son désir d'occuper certains postes, ses rapports aux Blancs… Lorsqu'il participe à la tournée européenne du Wild West Show de Bill Cody, il a même cette étrange réflexion : Luther est notamment chargé de veiller à ce que ses compagnons ne boivent pas. Un jour qu'il les surprend en état d'ébriété, il dit "nous eûmes quelques ennuis avec les Indiens" !!! Phrase assez révélatrice de son état d'esprit d'alors.
Il est content de sa grande maison, de sa batterie de cuisine, de ses beaux vêtements de blancs… et aime occuper des postes à responsabilité. Par ailleurs, l'éducation reçue à l'école lui permettra de ne pas passer le reste de sa vie sur les réserves de Rosebud ou Pine Ridge. Il s'exilera à Washington, puis en Californie, où il travaillera pour le cinéma.
Etait-il un traître à son peuple ? Non, il souhaitait sincèrement le bonheur des siens, il aurait aimé en finir avec le racisme et le chômage sur les réserves, prouver que l'homme rouge valait bien le blanc, et cela était forcément tout à son honneur. Mais ce qui m'a gênée, c'est que cet homme s'éloignait peu à peu des valeurs de son peuple. Un rien, quelques réflexions, Luther s'excuse de la crédulité ou de la ferveur de ses compatriotes (par exemple, il condamne implicitement la fameuse danse des esprits qui devait annoncer le renouveau de l'identité indienne. Il ne participa d'ailleurs pas à ces cérémonies). En quelques lignes seulement il évoque le massacre de Wounded Knee, alors qu'il passe des pages à relater sa carrière au sein de différents postes, notamment dans un grand magasin.
Il annonçait déjà ces Indiens progressistes qui s'opposèrent aux traditionalistes au cours des années 1960 et 70 dans les réserves, provoquant des conflits sanglants, vendant leurs terres et leurs âmes pour une poignée de dollars. La seule différence est que Luther était réellement de bonne foi. Mais il ne se rendait absolument pas compte de ce que cela impliquait, vivre sur un pied d'égalité avec les Blancs. C'était renoncer, à plus ou moins long terme, à la culture et l'identité indienne.
Luther Standing Bear, dernier grand chef des Sioux Oglala, a certainement produit un témoignage capital aussi bien sur le plan historique que sur le plan ethnologique, qui permet de mieux comprendre comment certains Indiens ont pu en arriver à composer, voire à se laisser assimiler par la culture des Blancs, dans l'espoir de vivre une vie meilleure.