à Cavafy,
C'est l'hiver. Recroquevillé dans l'embrasure
enneigée il contemple à la lueur mourante
du crépuscule une gravure japonaise : un cheval
à crinière et queue bistre bondit sur le vert
des herbes que l'ocre de sa robe marie au ciel
encore pâle pour se dérober à hauteur d'un arbre
embourgeonné. Il comprend alors ce qu'il scrute
du fond de sa tristesse, la danse du printemps
Laure IV
à leur antienne
tant de charme les effarait à incarner
les amants qui boivent
à l'heure ancienne des provinces
en rompant de gris leur bonheur
tout chagrin du jour confondu musique
— sur toi Laure de bataille qui ne vois plus
les oiseaux dans les roses du matin —
aux milliers de tombes anonymes (sic)
quand le sommeil me tombe de fatigue,
de vieillesse, d'ennui, d'horreur
je vous dis : menstrues, copulations, prêtres, fosses,
rires, fêtes, poètes, mariages, je vous parle prose
et vomissures
et la mère morte
et toi qui me sauves, Laure, dans tes yeux olive
mon or des jardins pour ta fillette Hannah
Aisances
les lieux les cabinets d'
comme un orage revient sur le lieu de ses éclats
de voix ouvrières dans un garage les voix
de nous tous prises dans une durée de nuages
et peut-être Maupassant vogue dans son ballon
et Schopenhauer joue de sa flûte quotidienne
les voix de femmes lasses succombées
(mariée éclaboussée de lait)
dans leur boîte les morts attendent patients
les poètes contemplant déféquant le ciel gris
étrangement là chez eux parmi ces tombes
où les noms tombés de nos faces désignent
notre déconfiture
où très soudain une naine s'est mise ivre
à se pleurer
L'os innominé
des heures j'aurai appris ta face
ma repentie pécheresse
ton maintien calme de couseuse qui
ne s'ouvre plus qu'à la nuit
yeux baissée sûre d'être vue
aimée pardonnée de toutes bontés
sur ce vase de parfums
incliné vers la lumière
comme les lavandières agenouillées dans leur auguet
nous engloutis sous la brume en pluie
à l'èbe ou à la nèble
À Thomas Gray
je me suis couché sur la dalle de delphine de custine
de tout mon long
j'ai étreint son absence
et baisé ses froides dates
du château sa robe montait par les chemins creux
jalonnés de source
en compagnie d'un chien jusqu'à l'église de campagne
dans le même silence, plus tard, que vous
j'ai vu le coq, le clocher d'ardoise et l'orme creusé
dans la sacristie j'ai cherché son fantôme
entendu gémir la chaire et crisser les chaises
puis j'ai sonné l'angélus
à l'époque où je me sentis devenir fou 1980
ayant voulu faire un poème de nos os
Jude STÉFAN – Le bon plaisir d’Orbec (France Culture, 1999)
L’émission de radio « Le bon plaisir », par Jacques Munier, diffusée le 3 juillet 1999 sur France Culture. Invités : Jacques Réda, Michel Chaillou, Alina Reyes et Michel Sicard.