L’Enfant de cendre
I
La rose de ce monde est l’enfant de la nuit
Établie dans la blancheur du jour
Effacée par le jour
Donnant sa lampe de fraîcheur à tous les arbres
Puis reprise et dévastée par le jour
Oh les violons recourbés par les fleuves
Endormis dans de la joliesse et dans la mort
Ainsi que rose obscure ouverte au cœur
Violons sont-ils, gardés par la parole
Comme un excès de neige
Les mots, les morts de l’apparue des neiges
Voici leur déchirure
Aveugles de cela que leurs yeux pleurent
Dans un pays de plâtre et de vent nu
Où vient de nuit le songe de l’amour
La terre autour brûlant ses fleurs
L’Enfant de cendre
IV
... Et le ciel déchiré, l’enfant d’amour
Habitera notre chambre mortelle
Sa gorge en flamme éblouissant les fleuves
Et son amour est un enfant de cendre
Colombe de ma vie étroite femme
Corps inutile et noirci par les fleurs
(« le vent, dit-elle, est le plus triste de nos fils »)
Colombe de ma vie étroite flamme
Assise dans les arbres
Sous l’infini de ces étoiles vertes
Adossées à la poussière d’arbre
Et toi dans tout cela
Dans tout cela disant la fin du vent
L’Enfant de cendre
II
La terre autour, celle qui brûle encore
Est si brûlée par la beauté du site
Qu’elle va avec son âme jusqu’aux fleuves
Serrant son linge d’eau profonde et de pensée
Dans l’éclat tendre de l’éclat comme une feuille
Tremblée brillant dans l’eau soudain très longue
Tremblée brillant dans l’eau très longue de l’esprit
Comme une feuille est l’eau précieuse et pure
Où vient briller l’étoile insubstantielle
Fille d’octobre et la voici presque verdir
D’être si seule et visitée du froid
A la fenêtre où la galaxie brûle
Et toute neige au fond de ce goudron
Feuille de givre et de cassante nuit
Epée de la pierre absolue, notre séjour,
Ce petit bois traversé par les fleuves
Cernant la femme et le museau du sein
Venu brûler la neige en sa brûlure
Puis s’endormant avec les yeux impossibles
L’Enfant de cendre
III
Et l’arc est impossible
Et la flèche est impossible
Et le centre est impossible
Et le cœur est impossible
L’enfant de qui les poumons sont les rosiers
Et la parole où vient s’abriter la neige
L’heureuse courbe de la mort liant la vie
À tout ciel impossible
À la pierre à la pluie
À la pitié de la pierre et de la pluie
À la pierre où toute fin devient pluie
Le site internet de Salah Stétié : http://salahstetie.net
Photographie : Portrait de Salah Stétié réalisé en 2011 par Stéphane Barbery (tous droits réservés)
En raison des événements tragiques que nous vivons, l'équipe des “Racines du Ciel” (émission diffusée sur France Culture tous les dimanches) a décidé de changer le programme de ce dimanche 11 janvier 2015. Lors d'une rencontre avec Salah Stétié ce jeudi 8 janvier 2015, grande figure intellectuelle qui s'est toujours engagé contre toutes les formes de fanatisme, Frédéric Lenoir et Leili Anvar lui ont demandé de réagir comme intellectuel et ancien ambassadeur du Liban, comme homme de culture qui a consacré plusieurs ouvrages à l'islam spirituel, comme amoureux de la France aussi, au drame qui se déroule en ce moment même dans notre pays.
Écrivain et poète de réputation internationale, homme d'action et diplomate, Salah Stétié est un intellectuel d'origine libanaise et de culture musulmane, devenu une figure incontournable de la poésie de langue française. Ses mémoires, “L'extravagance” (Robert Laffont), retracent son parcours exceptionnel, ses passions, ses combats et ses engagements.
Invité :
Salah Stétié, poète, diplomate
Thèmes : Idées| Poésie| Proche Orient| Salah Stétié| Charlie Hebdo
Source : France Culture
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