Soyez bon pour le Poète,
Le plus doux des animaux,
Nous prêtant son cœur, sa tête,
Incorporant tous nos maux,
II se fait notre jumeau ;
Au désert de l'épithète,
II précède les prophètes
Sur son douloureux chameau ;
II fréquente, très honnête,
La misère et ses tombeaux,
Donnant pour nous, bonne bête,
Son pauvre corps aux corbeaux ;
II traduit en langue nette
Nos infinitésimaux,
Ah ! donnons-lui, pour sa fête,
La casquette d'interprète !
Mélancolies manutentionnaire
(…)
J’ai dans mes sabots de la paille,
Avec un bel épi qui dépasse et me raille ;
La porte ne s’ouvre pas,
Le poêle ne fume pas,
Et j’entends qu’on ne vient pas.
Être bien seul avec soi-même,
Ah ! c’est un mets bien délicat !
Des soldats rient ; mais c’est derrière ma fenêtre.
Ils s’éloignent ;.
Tout est derrière ma fenêtre,
La vie, les caporaux, les corvées,
Et la fourragère et son cocher laid.
Je me rends visite à moi-même
Et bien que ce plaisir fût longuement mûri,
Il me trouve tout ahuri !
(…)
LES POÈMES DE L'HUMOUR TRISTE
À Ventura Garcia Calderón
À moi-même quand je serai posthume.
Tu mourus de pansympathie,
Une maligne maladie.
Te voici couché sous l'herbette
— Oui, pas de marbre, du gazon,
Du simple gazon de saison,
Quelques abeilles, pas d'Hymette. —
On dit que tout s'est bien passé
Et que te voilà trépassé...
Ces messieurs des Ombres Funèbres
Vers le fond fumeux des ténèbres
Te guidèrent d'un index sûr
Mais couronné d'un ongle impur.
Et c'est ainsi que l'on vous gomme
De la longue liste des hommes...
Horizontal, sans horizon,
Sans désir et point désirable,
Tu dors enfin d'un sommeil stable.
— Ah ! dans l'eau faire un petit rond !
— Tu mourus de pansympathie,
Une maligne maladie.
Jules SUPERVIELLE – Introduction à son œuvre (Conférence, 2017))
Une conférence d’Adeline Baldacchino, intitulée « Jules Supervielle - Cœur de vivant guetté par le danger », donnée le 4 février 2017 à l’Université Populaire de Caen.