Voyage en République de Crabe

Cette histoire m'a fait penser aux récits de voyages des écrivains de la mouvance surréaliste, comme le Voyage en Grande Garabagne d'Henri Michaux, le Mont Analogue de René Daumal, ou encore des écrits de Julio Cortazar, André Dhôtel… Alfred Jarry et Franz Kafka ne sont pas très loins non plus.
C'est une sorte de carnet de voyage, le déroulement est racontée en bande-dessinée, entrecoupée de doubles pages explicatives décrivant la faune, la flore, les us et coutumes... Maya est envoyée pour l'envoi d'un colis particulier en République du Crabe, une île isolée, dans un pays fermé au tourisme et à toutes relations avec le monde extérieur. Seules y sont autorisés trois étrangers par an, et pas en même temps, pour une durée maximum d'un mois. le dessin à un côté naïf et fantastique, la manière de représenter les décors fait penser aux gravures des pays de l'Est. Les illustrations sont magnifiques, le rythme de la mise en page, les constructions, le côté imbriqué, les perspectives naïve, tout cela fait rêver et pourtant le voyage n'a rien d'idyllique. Maya ne parvient pas à s'intégrer, à communiquer, à s'adapter, c'est un voyage au pays de l'incompréhension, on va de surprises en surprises, organisation kafkaëenne, atmosphère difficilement supportable, hostilité des autochtones, on s'embourbe dans cet univers, au sens propre comme au figuré. On s'immerge dans ce pays sans parvenir à s'accrocher, tout glisse comme la boue omniprésente, le graphisme fait ressortir les sons feutrés, les odeurs lourdes et opère comme un voile qui pose une frontière infranchissable avec cet étrange pays, et pourtant on en ressort émerveillé, comme si on sortait d'un rêve étrange, beau et inquiétant à la fois.
J'ai adoré.

Ce lire, je l'avais feuilleté plusieurs fois mais je ne m'y étais jamais attelée. Finalement, j'ai cédé et je suis rentrée assez vite de l'histoire (alors que je ne m'y attendais pas)
On suit les aventures de Maya, une livreuse un peu particulière dans la très fermée et mystérieuse Île du Crabe.
L'histoire est fraîche et dépaysante, l'aventure est intéressante et Maya est très sympa.
Outre l'aventure de l'héroïne, racontée en BD, l'histoire est parsemée de double-pages 'documentaires' reprenant les us, coutumes et spécificités de l'île.
Le dessin est inattendu, dans une mouvance un peu cubiste, très irréguliaire et assez surprenante. La mise en couleurs est assez minimale et se limite à des tons gris, noir et beige. C'est assez spécial mais c'est bien fait et, après quelques cases, on se fait vite au style.
En tout cas, bravo à Tarmasz, quelle imagination!

Ce qui fait tout le charme de cette bande dessinée, c'est le côté découverte, carnet de voyage, encyclopédie, avec des petits inventaires de tout ce qui caractérise la République de Crabe. Architecture, objets, faune et flore, écussons, mythologie, politique, saisons, métiers... tout y est vu à travers l'oeil de Maya qui découvre en même temps que nous, ce qui donne un point de vue subjectif entre innocent et ironique, souvent plein d'humour, et en tout cas super intéressant. Plus que l'histoire en elle-même, c'est ce micro-univers ultra détaillé qui montre l'étendue du talent de Tarmasz à inventer, créer et broder autour de multiples références et idées personnelles. Mille fois mieux que le guide du routard, on s'y croirait, on sent déjà l'odeur des oignons.

Ce qui est aussi bien pensé, comme elle l'a expliqué elle-même dans un podcast, c'est que le monde décrit est volontairement pas du tout paradisiaque. L'île de Crabe est même plutôt étouffante, à vrai dire, on sent d'ici la moiteur, les odeurs, la tension et la méfiance. L'administration nous prend en grippe, le voyage est interminable, les gens sont assez peu chaleureux. Bref, on est contents d'être de l'autre côté du livre. Et pourtant, Tarmasz réussit à nous enchanter à l'aise.

L'histoire est très bien bouclée, le passage entre narration et volets encyclopédiques est bien mené. Concernant les visuels, le tout est très dynamique, alternant différents formats de cases et pleines pages, le contraste entre les lavis de noir et la couleur jaune / dorée est simplement parfait pour nous mettre dans l'ambiance. Les personnages sont super expressifs, en général, même dans leurs façons de ne pas l'être, et la technique de dessin de Tarmasz les rend très mouvants, loin d'être figés ; les décors s'emboîtent harmonieusement.

Bref, j'ai tout adoré, et je suis impressionnée de la maîtrise de l'ensemble, à la fois très minimaliste et complexe, et même si je n'ai pas envie d'une suite parce qu'il n'y en a pas besoin, j'ai envie de voir encore des nouveaux mondes et des missions impossibles ! Points en plus pour le format et la dorure.

(voir la critique intégrale et quelques images sur le blog)
Lien : http://lecombatoculaire.blog..

Je découvre un style prometteur et une histoire simple mais attrayante qui fait sourire. le voyage d'une livreuse de colis dans un pays inconnu, ses galères, ses découvertes.