"Sort-on jamais de nos montagnes ?". Nous pouvons passer toute une vie, la tête enfouie, à parcourir des galeries souterraines, à rechercher le moindre petit faisceau de lumière. On peut se perdre, mais il faut toujours continuer à avancer…
Doute,
fébrilité,
quête…
"C'est le travail de toute une vie".
Une vie, deux vies… "Ma femme me laisse avoir deux vies. Une le jour et une la nuit. Elle se couche toujours plus tôt que moi, mais elle ne dit rien quand je reste encore éveillée trois ou quatre heures. Elle sait que c'est pendant ces moments-là que j'écris le plus et le mieux. Mais parfois, elle me demande de venir me coucher en même temps qu'elle, pour m'avoir à ses côtés quand elle s'évanouit dans le sommeil. Alors je le fais. Une fois qu'elle est endormie, je reste à côté d'elle, même si mon ordinateur me siffle de venir le nourrir de ce qui me passe par la tête. Quelque chose me dit que je suis plus utile contre son dos."
Confidence,
délicatesse,
tendresse,
ou simplement le pur amour.
Les histoires sont courtes comme un paragraphe, comme deux pages ou quatre pour la plus longue, et racontent avec humour,
légèreté,
fantaisie,
fragilité
et causticité, des instants de vie d'hommes et de femmes.
Ils sont jeunes, vieux, seuls, en couple, bien ou mal accompagnés, en décomposition, en analyse, en expectative, heureux, déconfits, désireux de poursuivre, las d'un quotidien sinistré ou fade, et s'attardent dans ces "instantanés". Leurs réflexions sont les nôtres. Nous avons tous vécu
leurs petits bonheurs,
leurs solitudes,
leurs vides,
leurs souvenirs d'enfance,
leurs désenchantements,
leurs déclarations d'amour,
leurs évidences…
Il est doux de voir à travers une nouvelle, un homme se réfugier dans son cache-nez pour retrouver sa mère, comme s'il se lovait sur sa poitrine… Il est rentré dans une parfumerie, a demandé à la vendeuse de vaporiser son écharpe d'un parfum spécial, il s'est trouvé un square tranquille, s'est assis, a attendu, a fermé les yeux, s'est enseveli dans l'écharpe et s'est rappelé. Besoin de sécurité, d'amour… Maman, j'ai mal à l'âme, tu me manques…
Il y a aussi l'histoire de cette vieille dame qui a connu les horreurs de la guerre, la déportation, deux veuvages, qui a élevé seule ses enfants… toute une vie à trimer… Ils la voient vieille, elle est désormais sur le banc de touche. "Pour un dimanche d'octobre il fait encore beau et doux, ils se disputent pour une histoire de projet de loi concernant une taxe à 1,3% sur l'épargne. Ils disent tous les trois qu'ils ont peur de l'avenir. Je les ai toujours entendus dire ça. Sans doute estiment-ils que je suis trop vieille pour me demander ce que j'en pense, alors je leur propose de se resservir une tasse de thé." Une vision juste de notre monde, de la peine et beaucoup d'élégance.
Et cette femme qui tombe de vélo et qui se retrouve aux urgences… Son mari est fort, un roc, il garde son calme alors qu'elle pisse le sang. En fait ? et elle ne s'en doute pas … il s'en fout. Tout simplement, il s'en fout. Il est "insensible".
Un repas entre amis qui s'étire, et, au "digestifs + digestifs + digestifs", qui prend des voies impudiques et lascives.
C'est impitoyable, intelligent, très bien raconté, précis, si sensible et criant. C'est parfois mélancolique, désabusé, mais souvent drôle. L'éventail déployé nous offre tant de sentiments et d'expériences mâtures et infantiles ! Les histoires se succèdent toutes différentes, on les pénètre, on les reconnaît car elles sont des images de notre société, notre entourage, nos maisons. Ce recueil de nouvelles est délicieux !
Un livre que j'ai plaisir à vous recommander…
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Son univers ? Quotidien, immédiat : des couples, des hommes seuls, des femmes lasses, la plupart du temps urbains, modernes, fatigués, indifférents. Son génie [David Thomas] consiste à les croquer en deux phrases (un record), avec une simplicité déconcertante. A quoi s’ajoute, souvent, une chute impeccable.
Lire la critique sur le site : Chro
Ils sont là, dans ma bouche, nombreux. Ils sont prêts à sortir mais je ne sais pas pourquoi je suis incapable de les libérer. Je les garde comme un ruminant conserve longtemps la nourriture entre ses mâchoires, je les garde pour qu’ils finissent tout naturellement par fondre dans ma gorge. Je ne dis pratiquement rien, je suis quelqu’un de très silencieux. Ceux qui vivent avec moi s’en sont accommodés, cela ne les gêne plus. Parfois, j’entends des proches me suggérer que cela me ferait certainement du bien de dire ce que j’ai sur le cœur, ou ce que je pense, ou ce que je ressens. Il m’est arrivé de me laisser convaincre et de penser que, effectivement, s’exprimer était sans doute la meilleure des solutions pour se sentir plus léger, plus souple et faire corps avec les autres et la vie. J’ai essayé, plusieurs fois, mais je n’ai jamais réussi, ça s’est toujours passé de la même façon : j’ouvre la bouche, j’inspire comme quand on est sur le point de prendre la parole, et puis je la referme. Et toujours, cette phrase qui me traverse l’esprit : est-ce bien nécessaire ?
"... Ma femme me laisse avoir deux vies. Une le jour et une la nuit. Elle se couche toujours plus tôt que moi, mais elle ne dit rien quand je reste encore éveillée trois ou quatre heures. Elle sait que c’est pendant ces moments-là que j’écris le plus et le mieux. Mais parfois, elle me demande de venir me coucher en même temps qu’elle, pour m’avoir à ses côtés quand elle s’évanouit dans le sommeil. Alors je le fais. Une fois qu’elle est endormie, je reste à côté d’elle, même si mon ordinateur me siffle de venir le nourrir de ce qui me passe par la tête. Quelque chose me dit que je suis plus utile contre son dos."
J’ai parfois la sensation de m’accrocher de plus en plus aux aspérités de la vie. Ce qui me paraissait comme insignifiant il y a trente ans me semble aujourd’hui lourd, laborieux. Jeune, je n’étais curieux de rien mais je m’émerveillais de tout ; aujourd’hui, si je suis curieux de bien des choses, pratiquement plus rien ne m’étonne. J’étais prêt à tout croire alors que, maintenant, je ne crois presque en plus rien. Avant, j’avais peu d’opinions mais je parlais beaucoup et, paradoxalement, depuis quelques années, plus mon jugement s’aiguise, se précise, s’affine, et plus je me tais. A vingt ans, je voulais rencontrer le plus d’hommes possible, à présent je n’aspire plus qu’à voir la terre et ses paysages
Je me dis souvent qu'il ne faut jamais négliger les jolies choses, elles sont aux hommes ce que les points d'eau sont aux bêtes.
"... Pour un dimanche d’octobre il fait encore beau et doux, ils se disputent pour une histoire de projet de loi concernant une taxe à 1,3% sur l’épargne. Ils disent tous les trois qu’ils ont peur de l’avenir. Je les ai toujours entendus dire ça. Sans doute estiment-ils que je suis trop vieille pour me demander ce que j’en pense, alors je leur propose de se resservir une tasse de thé."
La communauté du prix Orange du livre a récompensé "Un silence de clairière", de David Thomas (Albin Michel), roman choisi parmi une sélection de 6 ouvrages découlant d'une pré-sélection de 35 livres.