En utilisant ainsi comme seul levier éducatif la honte que j'étais censé éprouver pour mes erreurs, les dames Vallat ont encouragé chez moi l'angoisse de me montrer indigne de la confiance qu'elles mettaient en moi, et finalement celle de me montrer indigne de moi-même. Car comment penser qu'elles aient fait un mauvais choix en m'accordant leur confiance? Hélas, avoir été élevé dans le culte de l'excellence ne prépare guère à accepter les à-peu-près de la vie quotidienne. Pire encore, cette exigence pousse parfois à se haïr ou à se mépriser soi-même, ce qui conduit tôt ou tard à haïr ou à mépriser ceux auxquels rien ne nous lie d'autre qu'une relation simplement humaine. Le désir de perfection est l'ennemi de l'humanité.
Finalement, j'ai partagé avec mes parents, et probablement avec la plupart des humains, le souci de continuer à vivre et à me battre "malgré tout". Notre vie n'est publique que pour ceux qui la regardent de l'extérieur. Elle est d'abord une affaire privée, et je persiste à penser que seuls les malades et les imbéciles croient qu'une reconnaissance officielle peut leur épargner de se confronter à la dure tâche de vivre.
Pour reconstruire sa personnalité, il faut se comporter un peu comme ces grands-mères qui, dans mon enfance, rapiéçaient encore les chaussettes. Elles commençaient par glisser un œuf en bois à l'intérieur pour que le trou soit bien visible. C'est un peu ce que nous faisons lorsque nous acceptons de nommer la honte. Puis, patiemment, elles renforçaient d'abord le tissu là où il était endommagé, à la périphérie du trou, et c'est seulement ensuite qu'elles tiraient des fils pour le boucher. C'est exactement de la même façon qu'il nous faut travailler les blessures de honte. D'abord les rendre visibles en les nommant, puis retrouver les émotions qui les ont accompagnées mais que la honte a étouffées, et enfin reconstruire à partir d'elles ce qui a été détruit. Car la honte est une tueuse d'émotions et il faut parfois un long travail sur nous-mêmes pour retrouver celles qu'elle nous a cachées. Dans toute situation génératrice de honte, il existe en effet aussi de la colère, de l'angoisse, de la tristesse et de la rage. Retrouver ces émotions, c'est retrouver la vie là où la honte a failli imposer la mort. C'est le rôle du psychothérapeute que de rendre ce travail possible. Mais l'enfant que j'étais n'avait pas de psychothérapeute.
Quand on pense au "lien social", on imagine en effet aussitôt des relations faites d'empathie, d'attention réciproque et de solidarité. De tels liens existent bien entendu, et ils sont libérateurs, mais il existe aussi des liens sociaux mortifères et la honte en est un, peut-être le pire de tous. C'est pourquoi celui qui éprouve ce sentiment ne doit pas seulement en chercher la cause à l'intérieur de lui-même, mais aussi dans son entourage et parmi ses ascendants, autrement dit parmi ses collatéraux et ses ancêtres. Car aucune honte ne prouve rien: ni sur sa cause, ni sur sa légitimité, ni même sur la génération qui a été à son origine.
La mémoire familiale garde de moi le souvenir d'un enfant sujet à de terribles crises de rage. Il faut dire que ma mère m'avait initié à l'efficacité d'ouvrir régulièrement les vannes de la colère pour tenter de réduire les montées d'angoisse. Mon jeune âge me rendait en outre incapable de rien comprendre à ses changements d'humeur brutaux, et plus encore de m'y préparer. J'étais donc condamné à absorber comme une toxine la violence qu'elle me faisait vivre pendant ses métamorphoses, sans autre possibilité que de la vomir par intermittence.
État des lieux et enjeux
Avec la participation de Nora ABED, Gisèle APTER, Angélique BELMONT, Stéphane BOUCHARD Dana CASTRO, Nele DE WITTE, Bénédicte DEFONTAINES, Naomie DESIREE, Emmanuel DEVOUCHE, Haddia DIARRA, Philippe DRWESKI, Capucine DUBOIS, Quentin FRULEUX, Sara GABRI, Carlo GALIMBERTI, Richard GNASSOUNOU, Sarah HAMMAMI, Marianne JOVER, Gilbert LACANAL, Fredi LANG, Alice LECOQUIERRE, Andra LUNGU, Carine MILCENT, Sylvain MISSONNIER, Gladys MONDIERE, Clotilde PERREVE, Virginie PICCARDI, Fanny REDLINGER, Bertrand SCHOENTGEN, Serge TISSERON, Emmanuelle TRUONG-MINH, Inès UTRILLA, Tom VAN DAELE, Ilaria VERGINE, Xanthie VLACHOPOULOU
Un état des lieux sur les pratiques psychologiques à distance, en France et ailleurs, piloté par des acteurs majeurs de cette discipline.
Cet état des lieux des pratiques à distance des psychologues, en France et au niveau international, a pour objectif de nourrir les réflexions et les pratiques des professionnels et des chercheurs. En effet, les récentes et rapides évolutions de ces modes d'intervention facilitées par l'usage des TIC (technologies de l'information et de la communication) génèrent des débats éthiques et méthodologiques qui s'inscrivent dans les transformations du champ de la santé. Ainsi la télépsychologie, discipline encore assez nouvelle, est amenée à se développer de façon structurée grâce aux résultats de la recherche et aux apports des professionnels de terrain.
Si la pandémie COVID-19 en a généralisé l'utilisation pour permettre le maintien d'un lien ou d'une écoute dans une situation alors particulièrement anxiogène, elle a révélé la nécessité d'une meilleure formation des psychologues pour cerner les problématiques pratiques, techniques, méthodologiques, théoriques et déontologiques. Certains cadres existaient avant la crise dans le contexte scientifique plus large de la cyberpsychologie mais ils restent à enrichir voire à construire dans une démarche collective pour les inscrire dans le champ social, institutionnel et réglementaire. Les auteurs, acteurs majeurs de cette discipline, y contribuent.
Dans la collection
Cybercultures
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