Un livre singulier sur les relations familiales. Un jeune homme atteint du SIDA demande à sa soeur d'en informer sa mère. Tous se retrouvent finalement chez la grand-mère et l'histoire familiale se déroule sous les yeux de deux amis, ce qui ouvre le huis-clos et apporte un certain décalage à la situation. Un livre que j'ai trouvé très direct, presque cru, tant les relations intergénérationnelles sont dures.
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Pendant un moment encore, personne ne surgirait dans ce paysage ; les vagues continueraient de déferler et de se retirer sans témoins ni spectateurs. La mer n'avait aucun besoin du regard d'Helen. Au cours de ces heures-ci, pensa-t-elle, ou au cours des longues heures de la nuit, la mer était davantage elle-même, monumentale et inaccessible. Il lui parut évident soudain - comme si toute cette semaine l'avait conduite par échelons successifs à cette seule intuition - que les humains étaient superflus, que cela n'avait aucune importance qu'il y ait des humains ou non. Le monde continuerait. Le virus qui détruisait Declan , qui le faisait crier d'impuissance au lever du jour, ou encore les échos et les souvenirs qui revenaient à Helen dans la maison de sa grand-mère, ou l'amour pour son mari et ses fils dont elle ne parvenait pas à ranimer l'écho en elle, tout cela n'était rien. Et, en cet instant, au bord de la falaise, elle sentit pleinement que ce n'était rien.
Des images, des résonnances, de la douleur, des petits désirs et de petits préjugés. Tout cela ne signifiait rien, comparé à la dureté résolue de la mer. Tout cela signifiait moins que l'argile sèche de la falaise rongée par le vent, emportée par la mer. Ce n'était pas seulement que cela disparaîtrait : cela existait à peine, cela n'avait aucune importance, cela n'avait aucun impact sur cette aube froide, sur ce paysage marin désert, isolé, où l'eau brillait dans la lumière du jour et choquait Helen avec sa beauté maussade. Ce serait peut-être mieux, pensa-t-elle, si les humains n'existaient pas, si la révolution du monde, la mer scintillante et la brise du matin se déroulaient sans témoin, sans quiconque pour sentir, se souvenir, mourir, ou tenter d'aimer...
LE MAGICIEN - COLM TOIBIN