Quelle lecture, Morbleu, et si je n'ai pas réussi à me luxer la mâchoire avec le rire, parfois ce rire a fusé tout seul. Il y a une vigueur et un tel foisonnement d'idées que cela donne par moments un petit vertige, comme si l'auteur avait tellement de messages à faire passer que cela se bousculait et partait dans tous les sens.
LE THÈME: c'est l'histoire de Ignatius J.Reilly à La Nouvelle Orléans en 1963, un loser magnifique, obèse, trentenaire, vivant encore chez sa mère, spécialiste de
Boèce et de littérature médiévale et affublé de tous les défauts du monde. C'est un anti héros patenté. Je ne lui ai trouvé aucun côté sympathique ou emphatique: c'est un désastre humain fait d'un obèse sédentaire, hypochondriaque, imbu de sa personne, asocial, délirant, excentrique, mélancolique, intellectuel marginal, caustique, phobique, anachronique, menteur, fabulateur, aigri, misogyne, homosexuel refoulé, sale, désordonné, scatologique, nihiliste, décalé, grossier, méprisant, arrogant, égocentrique maladif, bourré de tics, capable de dire « décidé à ne fréquenter que mes égaux, je ne fréquente bien évidemment personne puisque je suis sans égal« . Et à côté de cette montagne de défauts, surgit un être si déboussolé, si profondément humain, si érudit, si hypersensible, si voué au désaccord universel. Il finit toujours par ramener tout à ses "obsessions autour de la vulgarité à la face de la théologie et de la géométrie, du goût et de la décence" (sic), c'est son leit motiv.
Et cet énorme personnage vit aux crochets de sa mère car il est incapable de travailler, de rester soumis et neutre. Sa mère, excédée et criblée de dettes par la faute d'Ignatius, le somme de travailler. C'est le début d'une série d'aventures calamiteuses pour tout le monde jusqu'au climax final. Et comme dit Ignatius « il faut affronter l'ultime perversion, aller au travail ».
En revanche, il passe le plus clair de son temps vautré et enfermé dans sa chambre à noircir des cahiers Big Chief où il consigne ses expériences avortées, ses diatribes contre le monde entier, les accusations contre le siècle et les lettres qu'il voudrait envoyer à la copine activiste et totalement toquée.
Dans son discours, Ignatius ne parle pas, il pérore et traite tout le monde assez mal y compris sa pauvre mère et c'est très drôle car anachronique. La drôlerie émane de la totale inadaptation d'un tel personnage vis-à-vis du monde entier.
Les personnages secondaires sont fabuleux : sa mère castratrice pour commencer qui noie son désespoir dans l'alcool qu'elle cache dans le four; la meilleure amie de la mère, l'italienne Santa; le policier Mancuso neveu de Santa; la copine activiste, fugueuse et folle, Myrna Minkoff; Miss Trixie la comptable sénile; le couple Lévy propriétaires de l'usine à pantalons Lévy (un clin d'oeil aux jeans Liváis?); Lana Lee la tenancière du bouge Les Folles Nuits; Miss Annie la voisine-espionne; le cacatoès de Darlene et tant d'autres, et mon personnage préféré le « nègre » Jones, balayeur du bouge, un summum de bon sens, de la drôlerie et de la bouffonnerie fine.
C'est un roman excellent, reflétant de façon si détaillée la vie des petites gens à La Nouvelle Orléans, avec en profondeur une critique sociale acerbe restée très actuelle, 30 années après la publication (emplois sous payés, société de consommation, TV, cinéma, etc). C'est un bijou d'humour noir, absurde et transgresseur avec quelque chose de profondément tragique.
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