Le vieux con serait donc
Roland Topor ? Ah, ah ! vous y avez cru, pas vrai ? Quand même…
Les
mémoires d'un vieux con sont des mémoires FICTIVES, c'est-à-dire que
Roland Topor ne se sent absolument pas concerné en tant que protagoniste –seulement en tant que parodieur ricanant. Les victimes de son ironie sont les artistes avant-gardistes de la première moitié du 20e siècle. S'inscrivant de leur plein gré dans le domaine de l'art comme s'il s'agissait d'une secte moderne, profitant à l'occasion de quelques menus privilèges mondains et financiers, on comprend que ces artistes « avant-gardistes » aient pu s'attirer le mépris d'un
Roland Topor au regard critique, surtout lorsque leur seul mérite est celui de savoir « graver des Klee dans la purée à la fourchette ».
Roland Topor se glisse donc dans la peau d'un ancien jeune con devenu vieux con (on ne se refait pas) et qui, n'ayant plus d'idée pour renouveler l'art, décide de consacrer les dernières années de sa vie à se lancer des fleurs, reconstituant ainsi son aura de gloire par un enjolivement biographique. Nous n'avons pas le temps de tourner autour du pot, ni de jouer au plus subtil.
Roland Topor dégaine et envoie attaque après attaque, pulvérisant son vieux con sous des clichés faciles qui font sourire mais qui finissent par ensommeiller à force de consensualisme. Critique de la bourgeoisie, assimilation de l'art moderne à la défécation, arrivisme des artistes et des collectionneurs, branlette intellectuelle… qui sait si cette déflagration n'était pas effectivement hallucinante au moment de la publication du livre en 1975 ? En tout cas, son propos n'a plus rien de surprenant aujourd'hui.
Roland Topor se laisse d'ailleurs prendre au piège de sa propre critique : si son vieux con est un mégalomane prétentieux qui étale les noms de ses relations (Picasso, Chagall, Matisse,
André Breton, Méliès,
Proust, Einstein…) et de ses contributions majeures dans les domaines de la peinture, de la littérature et même de la science, se prétendant de tous courants et de toutes découvertes majeures du siècle précédent,
Roland Topor ne fait pas mieux et nous dégoûte si bien de toute cette mondanité qu'on aimerait parfois le laisser seul face aux héros qu'il dégomme.
« le cartooniste, Steinlen, ému par mon aventure, accepta de payer à ma place. Par Steinlen, je fus présenté à France qui m'employa comme pègre pendant deux mois. le temps d'écrire L'île aux pingouins. Mais Anatole payait mal. Je fis un peu de journalisme avec
Albert Londres, sans vraiment me passionner pour ce métier ingrat. »
Toutes ces mémoires sont écrites à la manière de ce listage laborieux et la blague devient bientôt trop répétitive pour convaincre.
Roland Topor permet à son amertume ironique de se déverser en ces termes : « L'art est jouissance comme le bonheur. Il est immoral comme lui. Vive l'argent ! Vive l'Avant-garde ! Vive le communisme ! » et, encore une fois, le voilà pris à son propre piège. D'autres après lui (et en même temps que lui) avaient déjà fait leur cette antienne sur le mode de la sincérité sans vergogne. Presque quarante ans après la publication de ce livre, tous les esprits l'ont enregistrée. L'art, c'est immoral. L'art, c'est monnayable. le vieux con avait raison ! Et il a vieilli à toute allure, parce que
Roland Topor n'a pas su être assez méchant pour surpasser la vénalité d'une certaine mondanité artistique.
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