Le 26 juillet 2007, dans l'amphithéâtre de l'université Cheik
Anta Diop de Dakar, le Président de la République s'est adressé aux jeunes d'Afrique. Ce discours, rédigé dans le style volontiers lyrique du conseiller spécial de l'Elysée,
Henri Guaino, a suscité des critiques sévères, en France comme en Afrique. Rarement propos présidentiel aura fait couler autant d'encre. Les articles de presse se sont multipliés. Quelques mois plus tard, les premiers livres paraissent, en attendant d'autres qui sont annoncés. Altermondialiste, féministe, anticolonialiste, l'ancienne ministre malienne de la culture
Aminata Traoré n'était pas la moins bien placée pour tirer à boulets rouges sur le discours de Dakar.
Trois séries de reproches ont été adressées à ce texte.
La première concerne l'absence de toute repentance pour les fautes commises à l'époque coloniale. Ce silence était prévisible, le candidat
Sarkozy ayant clamé haut et fort qu'il fallait cesser de rougir de l'Histoire de France. Pour autant, ce long discours débute sur une reconnaissance explicite des crimes commis durant la colonisation : « Je ne suis pas venu nier les fautes ni les crimes ; car il y a eu des fautes et il y a eu des crimes (…) le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. ». Pour autant
Aminata Traoré ne s'en satisfait pas qui reproche au Président français son manque de cohérence : on ne peut dit-elle reconnaître une faute sans assumer la responsabilité de cette faute.
La deuxième est l'espoir déçu d'une nouvelle politique africaine. On attendait du discours de Dakar qu'il marque une rupture par rapport aux pratiques décriées de la Françafrique. Cette rupture avait été annoncée à Cotonou en mai 2006 par le candidat
Sarkozy. Restait au nouveau Président à la concrétiser. Hélas, le discours de Dakar ne disait rien de neuf, sinon l'annonce du « grand destin commun de l'Eurafrique », un concept assez flou qui s'est avéré remonter à l'entre-deux-guerres. Et, plus grave encore, le choix des étapes du premier périple africain de
Nicolas Sarkozy, entre le Sénégal où le président
Abdoulaye Wade est accusé de dérive autoritaire et le Gabon où
Omar Bongo incarne jusqu'à la caricature les dérives de la Françafrique, a été stigmatisé.
La troisième et principale critique adressée au discours de Dakar est l'arrogance des propos du Président :
Aminata Traoré évoque la « gifle » reçue par le continent noir (p. 25). La quasi-totalité des commentateurs dénonce le discours culturaliste, voire essentialiste qu'un Président plein d'arrogance de l'ancienne puissance colonisatrice ne se serait jamais permis ailleurs qu'en Afrique. le Président et sa plume auraient repris, presque mot à mot, des passages du chapitre consacré par Hegel à l'Afrique dans La raison dans l'histoire : « le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire (…) Jamais il ne s'élance vers l'avenir (…) Dans cet univers où la nature commande tout (…) il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès ». Ces propos réducteurs, qui semblent puiser dans les fonds les moins reluisants de l'ethnologie coloniale du XIXème siècle (Levy Brühl,
Léo Frobenius, Placide Tempels), sont contredits par les recherches en sciences humaines qui montrent, au contraire, l'historicité des sociétés africaines.
Nicolas Sarkozy a reconnu le « faux pas » commis à Dakar. En se rendant en mars 2008 en Afrique du Sud, en y rencontrant
Nelson Mandela et en prononçant devant le Parlement sud-africain au Cap un discours rédigé cette fois-ci par la cellule diplomatique, il a voulu corriger cette erreur. Mais il n'est pas certain qu'il y soit parvenu.