«
Par la fissure de mes mots » est un petit recueil composé d'une vingtaine de poèmes de la poétesse haïtienne
Evelyne Trouillot (la soeur de l'écrivain
Lyonel Trouillot). le bleu turquoise rafraichissant de la couverture peut faire croire en une poésie exotique, une poésie des îles, plages et cocotiers…Il n'en est rien. Enfin, pas tout à fait.
Certains de ces poèmes ont été écrits en janvier 2010 aux lendemains du tremblement de terre qui ravagea Haïti. Des « mots fissurés, cabossés » pour raconter le malheur, la pauvreté mais aussi pour crier avec délicatesse l'amour, un amour sensuel et coloré, pour son île. Une poésie pour recoller les morceaux, recoudre les lèvres béantes d'une terre exsangue, cette « terre en parenthèse d'étoiles ».
"Je viens d'une terre entre montagnes
et coeurs éteints
Un ciel mi-haut mi-bas
Espace ouvert
Où plus rien ne bat
Que la béance d'une douleur
En accordéons désaccordés"
Entre la page et le néant, entre soleil et épouvante, à travers les fissures, entre chaque lézarde, au sein même des meurtrissures, du puits des chagrins, la poésie d'
Evelyne Trouillot déploie ses feuilles luxuriantes, exotiques, colorées. Une poésie sans règle, sans rime, sans raison, une poésie à l'image de la nature, sauvage, vibrante et généreuse.
La sensualité a la part belle dans ses poèmes, cette sensualité qui reprend ses droits malgré la douleur, qui reprend le dessus et recouvre de sa beauté, de ses odeurs, de ses frémissements, les décombres même. Repousser les bris, le coupant, retrouver la rondeur du désir, les bulles d'intimité.
Puiser dans la nature, dans les couchers de soleil, dans le rire des enfants, l'espoir, et mettre à l'honneur les couleurs de cette île bordée d'une mer, infinie, entre-deux de vert et de bleu, bordée de décombres jaunasses, telles des herbes blondes, cet intermède immense où la vie en tous sens abonde. Recevoir les rayons juteux du soleil au creux des reins, l'extase rouge orangée des aubes et des couchers. Par la fissure des mots d'
Evelyne Trouillot jaillit la vie, envers et contre tout.
"Je bois ma terre
Par la fissure de mes mots
Bris de bleu
En convalescence
Brins de rêves
Egarés entre ma paupière et
L'incertitude de la mer
(…)
Mais nos flétrissures gardent encore
Des poussières de lumière
Qui m'arrivent
jusqu'au sexe"
Et, grâce à cette poésie, retrouver dignité et redonner espoir, se redresser, se relever, tordre la douleur en jets éblouissants d'images fortes, inoubliables, en extraire toute l'essence. En faire un baume apaisant, salvateur, pour cicatriser et tenter de refermer les failles.
"Une femme regard lacéré
Tripes à nu
Rassemble ses entrailles
Son baluchon de claques et de peaux
Ficelées à sa nuque
Fière
Et le soleil mourant salue ses pas
De reine libérée"
Le titre de Jean d'Amérique, Soleil à coudre, sa poésie qui claque, ses images choc, me reviennent en mémoire, effluves patriotes. La poésie d'
Evelyne Trouillot m'a également profondément émue. Il s'agit, de même, d'une poésie pour recoudre et reconstruire. Un grand merci à toi Pascal [ @TerrainsVagues ] pour cette magnifique découverte, tu as le don de me faire découvrir régulièrement une poésie singulière, sensorielle et sensuelle, qui me parle beaucoup !
"Un jour la vie aura goût terre mouillée et mangue mûre".