Peu de figures ont suscité autant de fantasmes que Jacques Foccart (1913-1997). le « Monsieur Afrique » du général
De Gaulle, de
Georges Pompidou et, dans une moindre mesure, de
Jacques Chirac a très tôt senti le soufre. Il incarna longtemps la politique menée par la France dans ses colonies africaines et ses dérives : réseaux occultes, barbouzeries en tous genres, financement occulte des partis politiques... La figure emblématique de Foccart est devenue un symbole honni pour tous les contempteurs de la Françafrique. le mythe avait la vie d'autant plus dure que l'homme cultivait le mystère, s'exprimant rarement en public, préférant l'ombre à la lumière.
Sans doute
Pierre Péan avait-il consacré à « l'homme le plus mystérieux et le plus puissant de la Ve République » une biographie en 1990. Mais le goût pour la polémique y prenait le pas sur la recherche de la vérité. Sans doute aussi, au crépuscule de sa vie, Jacques Foccart a-t-il entendu sortir du silence, en publiant successivement les deux tomes de ses mémoires (Foccart parle) et les cinq tomes de son Journal de l'Élysée. Mais toute autobiographie appelle sa contre-expertise. Aussi le travail de
Frédéric Turpin, qui était en chantier depuis de longues années, était-il particulièrement attendu. L'historien, spécialiste du gaullisme et de la décolonisation, n'était pas le moins bien placé pour se faire.
Si le souvenir de « Foccart l'Africain » reste vivace, la biographie de
Frédéric Turpin souligne que l'homme ne se réduisait pas à cette seule dimension. D'ailleurs n'avait-il pas mis les pieds en Afrique avant les années 50. Ce catholique convaincu, vibrant patriote était devenu gaulliste pendant la Résistance en prenant la tête d'un maquis dans l'Orne. Il avait rapidement rejoint le Rassemblement du peuple français (RPF), le parti politique créé par
De Gaulle en 1947. En raison de sa bonne connaissance des Antilles – il avait passé une partie de son enfance en Guadeloupe et venait de créer une société spécialisée dans l'importation de produits tropicaux – il se vit confier la charge des questions ultramarines dans le nouveau parti gaulliste et, en mars 1950, un siège de conseiller de l'Union française. C'est à cette occasion qu'il se fit un « réseau » parmi les parlementaires africains – qui exercèrent ensuite les plus hautes fonctions dans l'Afrique des indépendances – et parmi les Français de l'Empire.
C'est à la même époque, auprès du général, que Jacques Foccart développa un « réseau » d'un tout autre genre. Constitué d'anciens résistants rompus à la pratique de la clandestinité, revenus pour certains à la vie civile, enrôlés pour d'autres dans l'armée ou au service Action du SDECE, ce réseau voue au général une fidélité sans faille. Devenu secrétaire général du RPF en 1954, Foccart peut utiliser ses compagnons pour accompagner
De Gaulle dans la prise du pouvoir en mai 1958. Auprès de lui à Matignon puis à l'Élysée en janvier 1959, il est certes nommé secrétaire général pour la Communauté et les
Affaires africaines et malgaches, mais il tire l'essentiel de son pouvoir et doit sa réputation déjà sulfureuse au contrôle qu'il exerce sur les services secrets et sur le SAC, le service d'ordre gaulliste.
Les développements consacrés aux questions africaines ne contiennent aucune révélation tonitruante. On n'y lira rien qu'on ne sache déjà sur l'amitié qui unissait Foccart à Houphouët-Boigny, sur sa proximité avec Léon Mba qu'il a sauvé en 1964 et avec Albert Bongo qu'il a aidé à prendre le pouvoir à la mort de ce dernier, sur son rôle durant la guerre du Biafra. Baron du gaullisme, Foccart survit au départ de son « patron » et conserve les mêmes fonctions avec
Georges Pompidou. Mais Valéry Giscard d'Estaing s'en sépare – même si une cellule africaine subsiste à l'Élysée que dirige René Journiac qui fut l'un de ses plus proches collaborateurs. Jacques Foccart se rapproche de
Jacques Chirac qu'il conseillera à la mairie de Paris, à Matignon en 1986 et à l'Élysée en 1995.
L'honnête travail de
Frédéric Turpin réussit à dépasser la légende noire qui impute à Foccart tous les maux de la Françafrique. Il ne constitue pas pour autant un procès en réhabilitation du « Monsieur Afrique » des débuts de la Ve République.
Frédéric Turpin n'exonère pas Jacques Foccart de ses responsabilités. Mais il les remet en contexte. Pratique de la clandestinité, dévotion au général
De Gaulle, absence de scrupules dans l'exécution des ordres, primat donné à la légitimité sur la légalité. : autant de traits de caractère acquis pendant la Résistance dont Jacques Foccart ne s'est jamais départi une fois arrivé au pouvoir.