Dans l'épilogue
Luce van Torre s'interroge :
« Et au nom de quoi devint-elle criminelle ? Au nom de la suprématie de la femme sur l'homme ? Et qui tua-t-elle ? Cet homme qui de par son existence, ses prétentions de mâle, la niait ? Ou l'image d'elle-même qu'elle lisait dans son regard, et qui la révélait femme vaincue, impuissante, qui avait subi, accepté cette violence masculine qu'elle prétendait combattre et qui s'était reniée, cette femme idéale qu'elle n'avait pas du être ? Par orgueil, ambition, vénalité. Tuant Georges Bessarabo et se détruisant elle-même ». (page 235)
En vérité si
Louise Grouès (de son nom de jeune fille) intéresse aujourd'hui ce n'est pas seulement pour une histoire de malle, mais aussi pour son action de féministe contre le mâle dominant et en conséquence de femme de plume (plus journaliste qu'écrivaine).
Louise Grouès nous amène à Lyon où elle passe l'essentiel de son premier quart de siècle (ponctuellement elle se rend dans les Basses-Alpes où résident ses grands-parents paternels), au Mexique de 1895 à 1900 et de 1914 à 1916, à Paris à la Belle Époque, dans la seconde partie de la Première Guerre mondiale et au début des Années folles. Cela permet de découvrir le milieu clérical lyonnais, les troubles révolutionnaires au Mexique que
Louise Grouès ne comprend pas (car ils vont à l'encontre des intérêts des émigrés français d'origine alpine, milieu auquel elle appartient), le féminisme à la Belle Époque et le crime d'une femme trompée et inquiète de voir sa fille d'un premier mariage devenir la maîtresse de son second mari (un juif originaire de Roumanie Ismaël Weissmann se faisant passer pour Georges Bessarabo).
Au n°3 du square
La Bruyère à Paris le 30 juillet 1920, eut lieu l'"affaire Bessarabo" ; un homme d'affaires est assassiné par son épouse une femme de lettres, fer de lance du féminisme radical dans les années qui précèdent la déclaration de guerre d'août 1914. Si le livre n'est pas centré sur cet évènement, il consacre une place négligeable à lui et à ses conséquences.
Il s'agit là d'un livre qui permet d'aborder de façon un peu superficielle à la fois le personnage et l'époque
Louise Grouès vit. Qu'on en juge page 203 où on n'apprend strictement rien sur le contenu de l'ouvrage "De la Patrie à la Matrie" publié en 1920 alors qu'est porté un jugement négatif sur celui-ci :
« Elle reprend la plume pour de nouveau affirmer la suprématie du matriarcat. Un système de pensée obsessionnel, qu'elle ne critiquera jamais. Une pensée fossilisée qui n'évolue pas et ne s'adapte pas. Elle écrit un texte, en 1917, de la patrie à la Matrie et l'autoéditera en 1920 avec une tendre dédicace à sa petite-fille Marie-Louise Benavides ». (page 203)
Il faut se reporter aux pages 157 et 158 pour inférer très vaguement une partie du contenu possible du livre. L'ouvrage généraliste de Christine Bard "Les filles de Marianne : histoire des féministes 1914-1940" nous en dit bien plus page 115 sur les idées portées par le livre et l'état d'esprit dans lequel se trouve Louise (
Héra Mirtel de son nom d'écrivaine) peu avant qu'elle ne passe à l'acte :
« Ainsi la poétesse
Héra Mirtel, qui publie en 1920 aux éditions de la Matrie "De la patrie à la matrie ou du bagne à l'éden", où elle évoque l'âge d'or révolu du "temps de la Matrie, qui précéda de plusieurs siècles la Patrie où régna la Mère, qui précéda de plusieurs siècles la Patrie où règne le Père, chaque femme croyait enfanter des frères et des soeurs aux enfants des autres femmes". L'enfer patriarcal est symbolisé par une femme dépravée qui séduit les hommes rn leur ôtant toute volonté. La spectatrice de cette décadence crée une colonie matriarcale fondée sur des règles saines. Elle oppose la maternité, symbole de la régénération morale, à la sexualité, assimilé à l'"ordure", avec quelques images antisémites à l'appui».
En résumé, on est dans une biographie qui prend des contours qui s'approchent plus du roman historique que d'un livre d'historienne. Bref ce n'est pas certain qu'avec ce livre la pensée de
Louise Grouès retrouvera la place non négligeable qui devrait être la sienne dans l'histoire du féminisme à la Belle-Époque. Toutefois le grand public trouvera un plaisir à la lecture du récit d'une vie aventureuse et les féministes ainsi que les historiens auront envie de faire des recherches complémentaires afin de mieux comprendre les idées qu'elle véhiculait et qui semblent servir pour partie de socle aux féministes radicales.